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Billet de blog 2 février 2022

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Le sexe comme construction sociale

Jeffrey Lockhart est doctorant en sociologie à l'université du Michigan. Ses travaux explorent le sexe, le genre et les politiques de l'identité. Il est l'auteur d'un billet intitulé « Sex as a social construct » ; en voici une traduction.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Qu'est-ce que les personnes, biologistes inclu·se·s, veulent dire quand elles disent « le sexe est une construction sociale » ? C'est bizarre, non ? Le sexe c'est biologique, pas vrai ? Parfois les gens entendent « construction sociale » et pensent « truc aléatoire entièrement décorrélé de tout le reste qu'on peut juste changer comme on veut ». C'est la posture du « Blank Slate » (Tabula rasa), et c'est un homme de paille. Ce n'est pas ce que les personnes veulent dire en réalité quand elles disent « le sexe est une construction sociale ». On veut parler d'un truc plus cool et bien plus légitime.

« Le sexe » est un mot humain pour l'observation de plusieurs choses différentes qui sont plus ou moins corrélées. Diverses choses tendent à évoluer ensemble : plus de masse musculaire, de testostérone, de testicules, de chromosomes Y, de sièges à la Cour Suprême des États-Unis, de peines de prison, de pilosité, de taille, de réduction d'espérance de vie... Tout ça est corrélé. Parce qu'on voit toutes ces choses semblant aller ensemble, et que les gens aiment trouver et nommer des structures, on regroupe les personnes dans des catégories – homme et femme – et on appelle cette catégorisation "sexe".

De façon importante cependant, le sexe n'est en rien les éléments physiques du corps (chromosomes, hormones, gonades, poils, masse musculaire...) ni aucun des éléments sociaux de la vie (tenue vestimentaire, emplois, centres d'intérêts, actes...). Le sexe, c'est notre nom pour les corrélations entre tout ceci. C'est une idée humaine. Donc le sexe est une « construction sociale » dans le sens où il est une idée que les gens ont débattue ensemble (sociale) et ont édifié (construction). Bien évidemment que l'on a construit le sexe en observant de « vraies choses » du monde, les gonades et tout. Le fait d'être socialement construit n'invalide pas ça.

Donc pourquoi insister sur le fait que le sexe soit une construction sociale ? Pourquoi montrer du doigt la différence entre « la réalité » des corps et nos descriptions humaines de ces corps ? Eh bien parce que notre description humaine de « sexe » sursimplifie les choses et parfois ces sursimplifications sont erronées et/ou nuisibles.

Quand on construit le sexe, on fait un ensemble de choix au sujet des choses qui en font partie. En 1900, l'éducation était très fortement corrélée aux gonades. On voyait pas mal de discours sur le fait que l'intelligence faisait partie du sexe, comme les ovaires. L'éducation, disait-on, pouvait même faire se dessécher les ovaires ! On entend moins ça maintenant que les femmes sont plus diplômées que les hommes. Trente ans plus tard, on a découvert des éléments chimiques qui semblaient corréler avec d'autres choses dans le sexe. Donc on a les ajoutés au reste dans notre idée de sexe, en les appelant « hormone mâle » et « hormone femelle ». Certains scientifiques ont été très mécontents de découvrir par la suite de « l'hormone femelle » dans de l'urine issue de pénis de cheval. Les pénis et l’œstrogène n'étaient pas censés aller ensemble ! On l'avait appelée « hormone femelle » précisément parce qu'on était sûr que c'était corrélé avec le fait de ne *pas* avoir de pénis. Encore aujourd'hui, on propose parfois de l’œstrogène pour traiter le covid parce que les femmes en meurent moins, et le sexe nous dit « œstrogène = femmes ». Les corrélations et différences biologiques que l'on pense appartenir au sexe varient avec le temps et le contexte social. Les femmes aujourd'hui sont bien plus proches des vitesses de course des hommes qu'autrefois (l'accès au sport a évolué), les scientifiques utilisent les différences sexuelles de taille comme mesure de « préférence du fils » (variation d'accès à la nourriture).

Il y a plein d'exemples de ce type, en témoigne un champ foisonnant en études des sciences et technologies sur le sujet. Et il y a un champ plus large et plus foisonnant encore de recherche des variations sexuelles en biologie, c'est-à-dire la façon dont caser différentes choses dans seulement deux catégories est incorrect. Une partie concerne la recherche sur l'intersexuation (par exemple un chromosome Y ne garantit pas le développement de testicules), mais la plupart du champ c'est juste de la science tristement basique sur le développement et le physique montrant les niveaux, les rythmes et les interactions complexes des différents éléments en rapport au sexe. Évidemment, si c'était juste des scientifiques qui parlaient entre elleux, je (l'auteur originel, NDT) je ne ferais pas de tweet, de billet de blog ou de dissertation sur le sujet.

Les choses deviennent vraiment bancales quand les gens commencent à faire des affirmations prescriptives à propos de la façon dont la société devrait être, à partir de leur compréhension du sexe. Malheureusement, on est au milieu d'intenses débats publics et de batailles législatives à propos du sexe. Par exemple : le THS (traitement hormonal de substitution) est de plus en plus (il est question ici des États-Unis, NDT) difficile à obtenir pour les personnes trans, mais il reste facile d'accès pour des personnes comme Joe Rogan (animateur radio américain controversé, NDT). Pourquoi ? Pour les personnes trans, le THS est une technologie qui défie et change les corrélations sexuelles attendues. Pour Joe, prendre de la testostérone ne fait que les confirmer.

Ici nous faisons l'erreur de confondre le sexe, notre idée humaine qui résume comment marche le monde, notre modèle mental, avec non pas la vérité sur le monde, mais avec la façon morale dont il devrait être. On confond la vérité descriptive d'une vague corrélation, « avoir entre 264 et 916 ng/dL de testostérone est souvent corrélé avec la présence du chromosome Y, d'un pénis, d'une barbe, etc. », avec l'affirmation morale « la testostérone doit être sous les 5 nmol/L si vous n'êtes pas né·e avec un pénis ».

Quand on dit que le sexe est construit socialement, c'est ce qu'on essaie de rappeler aux gens. Leur rappeler que nos idées sur la façon dont les choses sont et devraient aller ensemble ne sont que ça : des idées humaines. Parfois elles se trompent sur ce qui, en réalité, va ensemble. Et elles sont parfois immorales quand elles font des affirmations sur ce qui devrait aller ensemble (par exemple les femmes ingénieures). Si on se rappelle que le sexe est une affirmation humaine au sujet du monde, alors on a les outils pour le changer, pour le rendre plus précis, plus éthique.

Cette compréhension change aussi la façon dont nous parlons du sexe. Le sexe ne peut pas causer biologiquement des choses. Il ne peut pas être la source de différences. C'est notre nom pour parler de schémas que l'on observe. Parfois c'est une variable utile. Mais ça peut aussi parfois nous empêcher d'observer les mécanismes véritables. De la même façon, « être mâle » ou « être femelle » ne peut pas non plus causer des choses. Ce sont des noms pour les catégories socialement construites du sexe. Comme certains appels pour la précision linguistique le mentionnent, ils obscurcissent principalement les mécanismes sociaux et biologiques des phénomènes.

Certain·e·s seront prompt·e·s à répliquer que « le sexe c'est en rapport à la reproduction et aux gamètes ». Oui, en effet ! « Le sexe » c'est aussi un mot pour baiser, même quand ça fait pas des bébés, comme dans « faire du sexe ». Ce n'est pas le sujet des conversations sociales à propos de ces définitions de « sexe ». Personne ne se balade avec un pied à coulisse en mesurant la taille des gamètes pour déterminer l'accès aux sports, aux toilettes publiques, à la couverture santé, à l'éducation, à l'emploi, etc. De plus, ces conversations n'ont pas pour but d'écarter les personnes stériles. Personne ne dit que les nouveaux-nés garçons ne devraient pas avoir « homme » d'écrit sur leur certificat de naissance parce qu'ils n'ont pas encore de gamètes (le sperme). Personne n'essaie de retirer « femme » sur un permis de conduire ou de leur interdire l'accès aux toilettes publiques après une ménopause ou une hystérectomie (1 femme sur 9 a recours a une hystérectomie (aux États-Unis, NDT)). La reproduction n'est pas le véritable sujet. À la place, les gens essaient de déterminer le sexe sur la base d'un tas de choses corrélées comme la structure faciale, le tissu mammaire, la hauteur de la voix, la longueur des poils, les choix de vêtements, etc. C'est-à-dire qu'iels utilisent le sexe de la façon dont je le décris dans ce billet, pas au niveau de la reproduction. (Cependant il y a un paquet de fun facts dans la reproduction sexuée d'autres espèces où ça fonctionne vraiment différemment des chez les humains. Le sexe c'est compliqué, même d'un point de vue strictement reproductif. Si on est réellement intéressé par la biologie, pas juste pour la brandir en support de nos motivations sociales, le sexe est bien plus fascinant et bordélique que ce qu'on en dit habituellement).

Certain·e·s acquiesceront rapidement à mon explication, mais insisteront pour qu'on utilise le mot « genre » au lieu de « sexe ». Cette distinction vient du vieux et précieux argument féministe que beaucoup de choses dans la société ne devraient pas être liées à la biologie (les carrières, l'éducation, le travail domestique, etc). Les gens en faveur de la construction sociale du sexe sont en accord avec ça. Mais on va également plus loin en montrant que la compréhension des scientifiques et du grand public de la biologie derrière le sexe est socialement construite, de la même façon dont le genre est socialement construit. Et c'est là que le vaste corpus d'études en études des sciences et technologies est bien pratique.

D'autres ont critiqué mon usage de « corrélation », en disant qu'il y a de vrais liens causaux impliqués. Oui, absolument : des corrélations peuvent exister quand les choses sont liées de façon causale. N'importe qui ayant déjà eu recours à un traitement hormonal de substitution peut attester que s'injecter certains produits chimiques peut avoir d'importants effets sur le corps, par exemple. Les processus causaux impliqués dans la relation entre les divers composants du sexe sont longs et impliquent de nombreuses interactions complexes. La bonne science sur la biologie du sexe explore ceci et nous aide à réviser et à affiner notre concept de sexe (c'est-à-dire que c'est une bonne et nécessaire part de notre construction sociale du sexe).

Ce billet de blog a été adapté d'un ...relativement populaire... thread Twitter. Il a été traduit en allemand, en russe (deux fois), en espagnol, en japonais, et possiblement en d'autres langues m'a-t-on dit (et maintenant en français, NDT).

Fin de la traduction

Billet original : sex as a social construct
Traduction par Peha, d'Un Monde Riant

Par ailleurs, vous pouvez consulter ce billet sur le blog Ce N'Est Qu'Une Théorie, qui complète (avec 5 ans d'avance, haha) celui-ci :
le sexe comme construction sociale

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