Enfants à Tanger, esprits frappeurs catalans en vadrouille ou films d'un Brésilien inclassable (Júlio Bressane, ci-dessus)... la 8ème édition du festival de cinéma indépendant de Lisbonne nous entraîne dans la frange la plus stimulante de la création cinématographique : là où plus rien ne se contrôle.
Ci-dessous, une présentation du festival par Nina, l'une des programmateurs et notre rencontre avec l'inénarrable Júlio Bressane.
Júlio Bressane : rencontre avec l'homme invisible par Universcine
« Inventifs, innovants, ambitieux, singuliers, inspirés... » Tels sont les films de la 8e édition du festival Indie Lisboa, comme le proclame son affiche. De fait, qu'ils soient inédits ou déjà passés par d'autres festivals parallèles à têtes chercheuses, les surprises ne manquent pas. Au fil des sections (Observatoire, Cinéma émergent, Pouls du monde... ou tout simplement la Compétition), on y croise des films réalisés au centre du Fresnoy, le beau film chinois Winter Vacation de Li Hongqi ou La BM du Seigneur de Jean-Charles Hue (sortis il y a quelques mois en salles, en France)...
A guetter : Vous êtes tous des capitaines d'Oliver Laxe, expérience-fiction en noir et blanc réalisée avec des enfants à Tanger, où le réalisateur se met en scène dans une périlleuse mise en abyme : « Je voulais que le spectateur sache que je suis l'enfant parmi les enfants. Je voulais qu'il soit clair que le jeu et la création sont mes choix de résistance. Il fallait néanmoins que je tourne ces images, provoquer la vie et le mouvement. J'en ai dansé. J'ai choisi d'être le méchant du film ; d'incarner l'artiste néocolonialiste occidental typique. Je ne voulais pas transmettre l'image d'un bon missionnaire. Il était crucial pour moi de montrer que l'art est au-delà du bien et du mal, que tous les moyens sont bons pour faire des images. Le spectateur doit être conscient du fait que la personne cynique et stupide que je joue dans le film est la même qui ressent des choses en faisant le film... ».
La partie la plus attirante du festival reste néanmoins la section qui rend un hommage à un cinéaste. L'occasion de voir, de façon synthétique, pratiquement toute l'oeuvre d'un artiste est toujours rare et stimulante. Cette année, c'est le Brésilien Júlio Bressane qui se voit célébré. Bonheur. D'autant que ses films ne sont quasiment jamais projetés en France et que l'auteur en refuse la numérisation. Qui connait les quelques films selectionnés à la Quinzaine des réalisateurs du festival de Cannes dans les années soixante ( O Anjeu nasceu... ) ? Ceux réalisés par la suite pendant trente ans ont été difficilement exploités. En France, c'est en 2009, que l'on a pu voir son dernier film L'Herbe du rat, accueilli froidement et disparu très vite des salles.
Pourtant Júlio Bressane a un univers baroque qui a bien sa place aux côtés des francs tireurs du cinéma. A voir sa Cléopâtre (2007), tournée tantôt dans un décor de stuc et de voiles colorés qui évoquent certains shows ORTF, tantôt sur des rochers face à la mer, avec trois tapis au pied du fauteuil de la reine, on aurait envie de voir le cinéaste comme un très lointain et exotique cousin des austères Syberberg ou Schroeter. Un cinéaste qui, comme eux, invente sa forme hors du « goût » traditionnel.
Bressane impose un bric à brac typiquement brésilien, exubérant et littéraire, avec d'impératives envolées sexuelles. Filmer un sexe de femme en gros plan en préservant son mystère et la puissance du désir qu'il fait naître, n'est pas anodin. D'où l'image tient-elle, là, cette grâce d'échapper à la provocation, dans un tracé symbolique et cependant purement concret, à la Courbet ? Au spectateur d'en suggérer les réponses.
Est-ce le mouvement général, et parfois paradoxal, du film ?
Ce mouvement qui semble être celui de l'oeuvre entière (dont nous n'avons pu voir que quelques films) et qui donne l'impression de se profiler comme une sorte de Carnaval (braaaazil !) mais réinventé par un passionné de théâtre, de poèmes et de peinture, traversé de musique populaire comme de jazz strident (O Anjeu nasceu et son mysticisme de pacotille avec deux voyous sans foi ni loi, qui violent et égorgent), de révoltes underground « anti cinema novo » et de recherches stylistiques entre le kitsch et picturalisme classique.
Enfin, il faut mentionner la séance qui vaut tous les voyages. Avec le film qui répond à tous les critères énumérés par l'affiche du festival : « inventif, innovant, ambitieux, singulier, inspiré... ». Tel est en effet Finisterrae du catalan Sergio Caballero (lauréat d'un Tigre à Rotterdam). Une fantaisie qui laisse plus que sceptique ou enchante littéralement. Nous avons été enchantés. Dans un périple mystérieux, dicté par un oracle (un cercle de feu, dénommé « Oracle de Garrel », comme le Philippe Garrel du tout aussi symbolique Cicatrice intérieure), deux fantômes partent pour un long périple. Ils croisent une hippie, des animaux, des arbres pourvus d'oreilles... Les brouillards cachent des châteaux et les longues soirées nocturnes des deux compères tournent à la conversation presque potache. Il a été écrit qu'il y avait du Monty Python dans cette drôle d'aventure. Euh... N'exagérons rien. Non ? Mais il y a bien un esprit de dérision et de bricolage qui touche parfois à une poésie naïve proche du merveilleux. Les deux fantômes sont ainsi, tout simplement, deux draps blancs avec des trous pour les yeux. C'est aussi bête que ça. Mais ces fantômes qui semblent sortis du grenier de l'enfance n'en dévoilent que mieux leur sensibilité et leur distance ironique sur la vie. Parler de ses problèmes à un psy ? Pourquoi pas plutôt faire du sport et manger sain, conseille l'un à l'autre.
La traversée se fait ainsi à travers les mots et les sons (une forêts de paroles succède à d'autres paysages de silences, mais aussi des plages de musique, comme autant de moyens de locomotion) tout autant qu'avec images (au creux d'un arbre, comme au trou d'une serrure, on aperçoit ainsi des images underground du passé; les êtres et les animaux prennent des formes différentes -selon le degré de croyance du spectateur ?
Imaginé par un cinéaste qui est, jusqu'à présent, principalement l'initiateur d'un festival de musique (Sonar), Finisterrae séduit aussi par l'esprit « rock » qui l'a fait naître : cette envie de bousculer, d'être contre et de tourner le dos aux nécessités. Ici, le film n'existe que dans un désir qui ne doit rien au marché et tout à son auteur. Un film pour lui, pour son festival, pour entendre en images un son différent.
Et c'est d'ailleurs un très étrange rock que ce film un peu folk, un peu chant scout dissout dans un alcool punk. Des chevaux comme dans un théâtre de marionnettes pour des fantômes qui ne sont peut-être que les enfants qui n'ont pas su disparaître en nous. Et voilà que l'on voit des rennes qui parlent sous la neige. Merveilleux trip. Comment, après cela, ne pas avoir un final magique. Il l'est.
Philippe Piazzo