victoria Saltarelli

Abonné·e de Mediapart

1 Billets

0 Édition

Billet de blog 31 décembre 2021

victoria Saltarelli

Abonné·e de Mediapart

L'extrême droite et Antonio Gramsci

victoria Saltarelli

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce n’est pas nouveau, cela devient presque un tic nerveux ; désormais lorsqu’un chef ou une cheffe de file de l’extrême droite - car ça été le cas pour Marion Marechal Le Pen - veut montrer que chez eux il y a des intellectuels, qu’ils ou elles sont à la pointe de l’élaboration idéologique, au détour d’un exposé ou au milieu d’un discours qui se veut « de fond », ils citent Antonio Gramsci et son concept de « hégémonie culturelle ». Dernier en date le « polémiste » (étrange métier celui de « polémiste ») candidat à la Présidentielle.

Oui, Antonio Gramsci, celui même qui mourut après 16 ans de détention dans les geôles de Mussolini, condamné par un tribunal aux ordres du pouvoir fasciste qui voulait « empêcher ce cerveau de fonctionner », le faire « disparaître comme une pierre au fond de la mer ».

Et ce sont les héritiers directs de ces gens-là, les épigones de cette idéologie mortifère qui tint l’Italie sous son joug pendant vingt ans, pour enfin la faire sombrer dans une guerre catastrophique à côté de l’allié nazi, ce sont ces sombres personnages qui, sans vergogne, voudraient s’emparer de la mémoire d’Antonio Gramsci pour la salir.

Ne soyons pas dupes, ni les caciques du post-FN ni les « polémistes » n’ont sans doute jamais lu un texte de Gramsci et ils se limitent à répéter en boucle des phrases dont probablement ils n’ont pas saisi le sens.

Ou alors ils l’ont bien saisi mais ils ont aussi compris -vérité alternative enseigne – que plus c’est gros, plus ça passe. Ce n’est pas par hasard qu’on ait besoins d’argumenter pour réfuter l’idée que Pétain a sauvé des juifs au lieu de rejeter cette idée d’un revers de main. 

Car sinon ils n’utiliseraient pas les paroles d’Antonio Gramsci, celui même qui s’est battu toute sa vie pour que les classes populaires puissent s’affranchir de l’exploitation dont elles étaient les victimes.

La pensée de Gramsci n’est pas faite de poncifs et ce n’est pas un recueil d’aphorismes. On ne peut pas en sortir une phrase et se l’approprier même si, on l’imagine, choisir ses références chez un intellectuel de gauche, quoi de plus moderne et même d’avant-gardiste pour faire un pied-de-nez à ceux qui dénoncent le navrant simplisme des théories de l’extrême droite.

Gramsci était un marxiste. Pas un déclamateur acritique. Il avait étudié les textes de Carl Marx mais il ne les lisait pas comme un livre de prières. Analyser l’Histoire pour penser le futur, vérifier la théorie dans le concret, voilà sa méthode. Un exemple parmi d’autres : après la révolution bolchevique il avait écrit un article : « La Révolution contre le Capital » (le « Capital » n’étant pas ici le système économique mais le livre de Carl Marx) où il analysait les événements russes comme une remise en cause des théories marxistes qui avaient annoncé la Révolution comme phase ultime de dépassement du capitalisme dans les Pays les plus développés. Texte peu orthodoxe - et pour cela courageux - mais très lucide et clairvoyant. Car Gramsci savait observer et il voulait proposer une voie pour le progrès social. Et, justement, ça pensée était au service du progrès social, il voyait dans la culture partagée parmi les classes populaires la possibilité et la nécessité de leur émancipation. Lorsqu’il parle d’hégémonie culturelle il est en train d’analyser (dans ses Cahiers de prison) les raisons qui ont permis aux fascistes de Mussolini d’arriver au pouvoir. Il veut comprendre les causes de la défaite du mouvement ouvrier et paysan, ce même mouvement qui, pendant les deux années rouges (il Biennio rosso 1919 - 1920) semblait avoir amené l’Italie aux portes de la révolution. Il voulait analyser la déroute du parti qui, dans la théorie, était censé guider ce mouvement en tant que son expression politique. Et c’est en ce sens qu’il faut entendre le concept d’hégémonie culturelle. Pour cela, dans les « Cahiers de prison » mais aussi dans les nombreux articles qu’il avait écrit avant son arrestation, il s’intéressait à la littérature populaire, au théâtre, au rôle des intellectuels dans la société italienne. Pour cela, lorsque c’était possible, il s’entretenait avec ses camarades de prison dans des échanges censés approfondir la réflexion et former l'intellectuel collectif capable de diriger la société nouvelle.

Pendant toute sa vie Antonio Gramsci s’est battu contre le fascisme, il a été tué par le fascisme. Aujourd’hui les épigones de Pétain sont en train de le tuer un deuxième fois.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.