Vidal Cuervo
Militant libertaire
Abonné·e de Mediapart

12 Billets

0 Édition

Billet de blog 15 février 2023

Vidal Cuervo
Militant libertaire
Abonné·e de Mediapart

Palmade, trajectoire inevitable

Philosophie Magazine pense injuste et évitable la trajectoire de Palmade, chauffard qui fauche une famille de prolétaires. Bien au contraire, les deux trajectoires se rencontrent sans arrêt, quotidiennement, et avec le même résultat catastrophique, toujours pour les mêmes.

Vidal Cuervo
Militant libertaire
Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
modélisation de trajectoires de particules du mouvement brownien

Le redac' chef de Philosophie magazine, Martin Legros, y est allé d'un couplet sur l'obscure injustice du monde 1.

Convoquant Edgar Morin, puis l'abscons Mallarmé, il explique que non seulement le drame qui a causé la mort d'un enfant à naître et ravagé la vie de toute une famille était injuste, mais qu'en plus il n'aurait pas dû avoir lieu car ces deux trajectoires n'auraient pas dû se croiser.

Pourquoi ? Parce qu'entre la star (c'est ainsi qu'est décrit Palmade, étoile tombée mais star tout de même, comparable si on suit le ton du billet à Marilyn Monroe, ou Burt Lancaster, ou Mastroianni) et la famille de prolétaires, il n'aurait pas dû y avoir de rencontre.

Je pense exactement le contraire. Et non seulement ces deux trajectoires peuvent se rencontrer sur le plan très banal d'une route, mais encore se rencontrent-elles sans arrêt, quotidiennement, et avec le même résultat catastrophique pour les mêmes, toujours.

C'est tous les jours que les caprices de richards, de starlettes, de ministres et d'élus, de patrons et de sportifs dont la célébrité vaut passe-droit et impunité, nous massacrent. Nous écrasent de leurs lois, de leurs petites manies volatiles, de leurs frasques. Et celles-ci sont autant inscrites dans des lois et règlements que leurs sbires assèneront à coups de tonfa, que sous la forme de petites phrases, celles de Ruquier ou Hanouna, celles de Woerth ou Sarkozy, celles de Macron ou de Bolsonaro, ou encore sous la forme d'abus de pouvoir, d'abus de confiance, d'abus de position dominante, de délit d'initié, de viols, de détournements.

La présence de la coke est également le marqueur de la collusion du spectaculaire et de la violence systémique de l'économique et du politique. De Macron à Palmade, de Sarko à l'ensemble de cette constellation constituée de la jet-set, cercles politiques, émirs en goguette, footballeurs le nez dans la poudre et coupables de viol, ministres la gueule enfarinée...

Et les victimes ce sont, contrairement à ce que dit Martin Legros, ci-devant redac' chef de Philosophie magazine, justement toujours les mêmes. Non seulement victimes mais proies. Proies, exploité-es, ressources, chair à canon.

Il dit "quelque chose avait eu lieu, ici, qui n’aurait jamais dû avoir lieu. Le sentiment pur d’une injuste contingence."

Il parle encore du "sentiment étrange, presque nauséeux, que cela n’aurait pas dû avoir lieu, que cette mère enceinte de 7 mois, cet enfant de 6 ans et son père, cet octogénaire même légèrement blessé, aucun n’aurait dû croiser la trajectoire de Pierre Palmade".

Pourtant un chauffard c'est ce qui trace très exactement la trajectoire de victimes. C'est déjà à ce premier titre que Palmade et cette famille ont tout à voir.

(Alors il ne faut pas demander évidemment à ce magazine de vraiment faire de la philosophie, et encore moins de la philosophie politique. Son créneau est plutôt la pipolisation de la philo. Bref.)

Mais la réalité est exactement l'inverse de celle qui est avancée avec des trémolos dans la voix, et de grands enfoncements de portes ouvertes : ces deux trajectoires sont constantes, quotidiennes, planétaires, elles sont le sujet même du spectacle capitaliste qui aura tôt fait de l'accommoder à toutes les sauces (télévisuelle, journalistique, morale, judiciaire, et prochainement sans doute "humoristique" entre Hanouna et les réseaux sociaux), puis elle sera digérée et oubliée.

Ces deux trajectoires dessinent exactement la matière du capitalisme, celles du pilonnage auquel nous sommes soumis-es, du mouvement brownien dans lequel nous sommes jeté-es où des particules s'entrechoquent sans cesse, formant surchauffe et bouillonnement.

Quelle différence vraiment entre cet "accident" dont les composantes annoncent l'issue aussi fatale qu'inévitable, et le licenciement de 1000 personnes de Yahoo ? Ou des milliers de licencié-es mensuel-les de toutes les boîtes françaises ?

Quelle différence entre Palmade plein de coke, dépressif (pauvre chou) au volant d'une bagnole lancée à pleine vitesse, flanqué de deux complices évaporés, coupables de se trouver là et de faucher la vie des gens, et la disparition d'un village burkinabè aux mains de groupuscules militaires suscités par nos guerres, ou la disparition d'un cadre qui se suicide, d'un postier qui se suicide, d'une caissière qui déprime, d'une soignante qui est recrachée par un hôpital mis sciemment en faillite ?

Je ne vois que des trajectoires identiques, celles de la FNSEA qui broie des paysans, de cost-killers qui détruisent des profs, des écoles et des gamins pauvres, ou tout simplement pas riches, d'une gamine malienne violée par un soldat français, un soldat anglais, étasunien, un soldat de l'ONU. La trajectoire qui va du Sahel jusqu'à Rimini dessinée par la rencontre entre les intérêts de Bolloré en Afrique, la profitasyon locale et la misère occasionnée...

Palmade, sous la plume de ce rédac' chef, est devenu une star. Et il faut lire comment Edgar Morin est employé pour dorer l'image de ce mec qui, s'il eût sa petite gloire momentanée, est tout de même un oublié du vedettariat franchouillard des années 90-2000, un petit auteur de sketchs, un amuseur, qu'on voudrait excuser par avance en le calant aux côtés des auteurs, des acteurs de Hollywood...

Pour Philosophie magazine, Palmade, qui est coupable juridiquement, moralement mais aussi en tant que symbole d'un système de mépris, de meurtre, de broyage des vies, est une star déchue, un objet pour exprimer son lyrisme bien-pensant.

Une fatalité de trajectoires, improbables selon le journal, mais qui pourtant balayent nos vies au quotidien.

1. https://mailchi.mp/philomag/20230213lettre?e=07ce9962c4

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bienvenue dans Le Club de Mediapart

Tout·e abonné·e à Mediapart dispose d’un blog et peut exercer sa liberté d’expression dans le respect de notre charte de participation.

Les textes ne sont ni validés, ni modérés en amont de leur publication.

Voir notre charte