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Billet de blog 26 août 2012

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Le cul entre deux gauches

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Curieuse expérience que ce week-end de la fin août 2012, entre Grenoble et La Rochelle, pour qui continue  à considérer Jean-Luc Mélenchon comme une voix authentiquement socialiste, longtemps équipier du pédalo PS ancré dans le port charentais toutes les fins d’été.

Aujourd’hui porte-drapeau du Front de gauche, porte-parole, porte-révolte, porte-exigence, porte-principe, porte-poème aussi, Jean-Luc Mélenchon est une voix libre qui n’a rien perdu de sa fougue présidentielle. Une voix qui porte, mais dont on se demande si elle parvient à passer au-delà des Terres Froides, par-delà Lyon et le massif central, jusqu’au grand aquarium de la Rochelle qui jouxte l’Université d’été du PS et de ses nombreux ministres qui font des ronds dans l’eau.

Il n’en arrive peut-être là-bas que quelques échos déformés, deux ou trois bons mots qu’il aurait tort de nous refuser : le verbe est comme la vie, il ne faut pas lui ôter tout plaisir ! Mais ce ne sont pas les envolées lyriques qui comptent. L’ode à la liberté, scandé au travers des vers de La Fontaine (le chien et le loup, ceux qui ont assisté au meeting du vendredi 24 août comprendront), est aussi un hymne à l’autonomie des citoyens qui peuvent et doivent rester libres et maîtres du pouvoir entre deux élections. On retrouve dans l’appel au référendum sur le traité européen l’exigence démocratique d’un peuple souverain chaque jour. Cette exigence que la gauche, tant socialiste que communiste, avait eu quelque peu tendance à oublier ces dernières décennies : pour se rafraîchir la mémoire écouter l’entretien indispensable avec le non moins indispensable Cornélius Castoriadis sur Médiapart. http://www.mediapart.fr/journal/france/060812/chris-marker-cornelius-castoriadis-une-lecon-de-democratie

Reste que pour que le peuple soit souverain, que les citoyens se sentent maîtres de leur destin, il faudrait que la gauche qui vient de remporter les élections présidentielles et législatives continue à tendre l’oreille. Les militants des partis politiques, dans la théorie du moins, servent à cela. Et à La Rochelle, la consigne a bien été donnée : les militants doivent écouter… Ecouter ce que dit le gouvernement, et le soutenir. Cela nous rappelle les bons souvenirs de 1997, des militants à sens unique, qui écoutent les ministres et répètent la bonne parole sur les marchés, plutôt que d’écouter sur les marchés, et de répéter la bonne parole aux ministres…

Un dialogue de sourds peut s’installer entre le Front de gauche et le Parti socialiste, pour ne parler que de ces deux acteurs là. On sait parfaitement comment ce dialogue se déroulera, pour avoir été militant socialiste entre 1997 et 2007 : François Hollande grand chef sympathique, Jean-Luc Mélenchon trublion sympathique ; l’un proteste, propose et vitupère, l’autre sourit, calme et ignore. Oh, ne ramenons pas ce dialogue de sourds à un simple tête-à-tête, bien d’autres en furent, parfois temporairement, les acteurs : Lienemann et Dray à la gauche socialiste, Vidalies et Maurel puis Emmanuelli,  Montebourg et Peillon pendant un temps, et Fabius lors du référendum, et Hamon qui a au dernier congrès ramassé les survivants... Ensemble ou séparés, tous ceux-là ont pesé 15 à 20% du parti socialiste, sous le regard amusé d’une majorité légitimiste. Le conseil national du PS, pendant plus de 10 ans s’est nourri de débats tout sauf féconds entre ces camps-là, tout juste agrémenté de quelques pittoresques contributions de farfelus droitiers.

Quel bilan ? Des mises en gardes à Lionel Jospin, traitées par le mépris, jusqu’au 21 avril que l’on connait. Un plaidoyer pour rejeter le social-libéralisme et le social-défaitisme, jamais entendu. Une mobilisation contre le traité constitutionnel européen, légitimé par le vote du peuple français, et dont la gauche du PS est sortie auréolée d’une image de traître dans le pire des cas, de Cassandre dans le meilleur : à coup sûr, sans une once de reconnaissance pour avoir été en phase dès le début avec la position des citoyens français… Et puis l’épisode Royal : après le « mon projet n’est pas socialiste » de Lionel Jospin, c’est tout le parti qui tombe dans un « ma candidate n’est pas socialiste » ! De gauche, certes, on le lui reconnaît : une gauche compassionnelle, qui aussi réhabilite l’ordre et la justice sociale, se convertit à l’écologisme et revendique la démocratie participative, curieux mélange parfois efficace, souvent populaire, mais sans aucun rapport avec le cœur de ce qu’est le socialisme ou même la social-démocratie.

De la cohérence, Aubry élue à la tête du PS en bâtit, avec un projet collectif qui se remet à avoir un peu de souffle et d’ambition, dans un parti semble-t-il apaisé… Le centre de gravité du PS aurait-il, enfin, bougé un peu vers la gauche, lors de cette période d’opposition à Sarkozy et de préparation des présidentielles ? Peut-être, mais alors pourquoi avoir voulu Strauss-Kahn pour défendre ce projet, comme Emmanuelli en appelant à Delors en 1995 ? Que d’incohérences ! Entre-temps, le Front de gauche faisait ses premières armes...

Pour quel résultat, une fois encore ? Un parti socialiste hégémonique, qui bâillonne ses élus, ses ministres, ses militants. Un parti socialiste qui a fait de la finance son ennemi, mais qui est tellement indécrottablement pro-européen qu’il se refuse à la confrontation avec l’Allemagne lorsque celle-ci est, comme en ce moment avec Merkel à sa tête, la complice évidente des spéculateurs. En face, un Jean-Luc Mélenchon plus remonté que jamais, tout auréolé qu’il est des 4 millions de Français qui ont voté pour lui à la présidentielle : une assise bien plus solide, reconnaissons-le, que celle qu’il tirait jadis des voix réunies par la Gauche socialiste ou le courant Nouveau Monde lors des congrès du PS !

Et nous voilà repartis : Jean-Luc proteste, propose et vitupère, et François… Que va-t-il faire, François ? Pour le moment, il a envoyé au front Jean-Marc Ayrault, qui sourit, calme et ignore… On se prend à rêver : « Moi Président, je veillerai à ce que la voix du Front de gauche, qui appelle à voter pour moi, soit également entendue ! »… Sauf que non, cet engagement-là n’a pas été pris lors du débat de l’entre-deux-tours !

Heureux les socialistes qui n’ont jamais voté communiste ou front de gauche au 1er tour d’une élection afin de contribuer à ancrer leur parti bien à gauche ! Heureux les socialistes qui ont toujours été depuis vingt ans dans la majorité rocardo-jospino-hollandaise ! Heureux les communistes, qui n’ont jamais vraiment espéré qu’un gouvernement socialiste pût satisfaire leurs aspirations au changement social ! Heureux les gauchistes qui restent debout, toujours prêts, comme les scouts, pour la prochaine révolution qui, nécessairement, approche chaque jour un peu plus… Et mes condoléances à tous les autres, comme moi coincés le cul entre deux gauches ! Deux gauches qui s’ignorent et se renforcent mutuellement par cette ignorance même, sur le dos des pauvres benêts qui rêvent encore, comme moi, à une gauche de gouvernement qui, portée aux responsabilités par le vote, utilise le mandat qui lui a été confié pour opérer une transformation sociale en s’appuyant sur des partis et des syndicats à qui l’on fait confiance pour manier le tison et garder la flamme toujours vive ! In memoriam Jean Poperen…

Allez, restons optimiste, et oublions vite cette fin de mois d’août 2012. Bientôt la rentrée parlementaire, avec plein de députés et sénateurs de gauche qui vont aussi sur les marchés et n’oublient pas qu’ils voudront être réélus : si les Partis ne s’écoutent plus, peut-être qu’eux le feront et parviendront, en écoutant aussi le peuple, de deux gauches, à n’en faire qu’une, plus forte !

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