Un échange assez vif m'a opposé sur un blog à un (peut-être) professeur de classes préparatoires anonyme. En effet, une pétition assez mal rédigée, pour qui n'est pas du sérail, circule pour défendre la rémunération des professeurs de classes préparatoires, laquelle pourrait être prochainement amputée par Vincent Peillon, non pas en touchant au salaire, mais en touchant au prorata d'heures supplémentaires qui leur sont allouées d'office.
C'est ici :
http://www.petitions24.net/petition_unitaire_cpge
mes arguments et ceux d'un prof de prépa sont ici :
http://blogs.mediapart.fr/blog/francois-delpla/271113/vingt-cent-peillez#comment-4147590
Ayant tenté de faire l'effort de comprendre les tenants et aboutissants de cette histoire, j'ai subi à cette occasion quelques quolibets de la part de ce professeur de préparatoire, dont un magistral "Bon allez, on parle des revenus d'un DR au CNRS qui passe sa journée sur les forums de médiapart maintenant ?" Visiblement, les professeurs de Classes Préparatoires, n'ont pas l'habitude qu'on les contredise. Moi non plus cela dit. J'ai dû il est vrai essayer d'éclairer les lecteurs de médiapart sur la rémunération des professeurs de prépa, vers 9h15 du matin, mais cela me semble un argument assez spécieux pour faire taire un contradicteur.
Mais le plus surprenant est que le professeur en question ne m'a pas cru lorsque je lui ai annoncé mon salaire. Ayant écrit "mon salaire jusqu'à ce mois-ci était de 3450 euros; mais je ne me plains pas, j'aurais une prime pour la première fois de ma vie de 3000 euros cette année." Cette personne me répond charitablement : "Mais si vous vous plaignez. Vous n'avez même fait que ça. Et moi aussi, je vous plains (si vous dites la vérité, ce dont je doute). Car un DR devrait évidemment être mieux rémunéré."
Ainsi donc, les professeurs de classes préparatoires réclament des sous (ou plutôt, qu'on ne leur en prenne pas) sans même trop savoir quelles sont les rémunérations de cadres de la fonction publique ayant fait un cursus semblable, probablement davantage diplômés, et faisant avec dévouement également, leur travail. Peut-être faut-il que je scanne ma fiche de paye? Qui peut croire que je mente?
Dans le système des classes préparatoires, les enseignants ont bénéficié d'une sorte de réduction administrative de leur horaire légal, étant admis que la préparation des cours, les corrections de copies etc. prennent du temps aussi. Par conséquent, en vertu de décrets de 1950 et 1996, les professeurs de classes préparatoires ayant un peu d'ancienneté doivent faire 8 heures de présence face aux élèves, statutairement, mais comme un professeur est affecté à une classe pour l'ensemble de l'enseignement (maths ou physique), il doit nécessairement faire plus de 8 heures : chaque heure en plus est donc payée en heures supplémentaires (il y a des classes aussi à 9, 10 et 11 heures, mais se sont surtout les classes à 8 heures qui sont visées par la réforme, me semble-t-il). C'était une façon artificielle de les payer plus. De surcroît, ces enseignants font sur place après leurs cours, des heures dites de colles, qui arrondissent bien leurs fins de mois. Tout ceci, selon eux, est justifié par l'immense difficulté, l'extraordinaire dévouement, et le service rendu à la France par les classes prépas. On lira par exemple dans la défense pro-domo des classes prépas : (ici http://sauverlesprepas.wordpress.com/2013/11/27/le-prix-a-payer/) cette étonnante affirmation : "Comptant parmi les rares pôles d’excellence créateurs de richesses et d’innovation dont la France peut s’enorgueillir, les classes préparatoires sont pourtant l’objet des coups de boutoir d’un ministère en déroute".
J'imagine qu'il faut comprendre la richesse que constitue pour la France un élève sorti des classes préparatoires. Même si dans mon esprit, l'expression "pôle de création de richesses" s'applique plutôt à la Silicon Valley ou à Minatech. Au final les chiffres parlent d'eux mêmes, le revenu moyen d'un professeur en classes préparatoires est de : environ 47000 euros dans les 10 premières années, 49000 euros dans les 10 années suivantes,
57 000 euros dans les dix années suivantes; et pour les professeurs dits de chaire supérieure, 63000 et 70000 euros respectivement pour les dix premières années, puis au-delà. Il y a évidemment des disparités. Et s'il y a erreur, il y a urgence à rectifier ces chiffres.
Bien. Pour ceux que cela intéresse, le salaire d'un chercheur au CNRS ayant 22 ans d'ancienneté, comme moi est de 3450 euros+ 2 primes de 500 euros au milieu et à la fin de l'année. Soit environ 42000 euros annuels, à comparer au mieux, aux 63000 euros ci-dessus (j'imagine que la grille DR doit correspondre en "niveau" à la grille de "chaire supérieure"), au bas mot aux 49000 euros. Depuis quelques années, existe une prime d'excellence scientifique de 3000 euros nets par an, pendant 4 ans, sorte de treizième mois réservé à quelques uns. Au CNRS, cette prime est très controversée, de nombreux chercheurs la refusent spontanément (qu'en diraient les profs de prépa?), parfois sollennellement (tribunes dans Libé etc.), les syndicats s'y opposent, mais elle perdure.
Je vais avoir cette prime cette année pour la première fois de ma carrière, des circonstances familiales éprouvantes font que je ne peux pas la refuser. Je dis ça pour être complet, je sais que dans mon pays c'est mal vu de parler d'argent. Il arrive que les chercheurs fassent des heures supplémentaires pour arrondir leurs fins de mois, voire qu'ils donnent des conférences rémunérées. La différence avec les professeurs de prépa, est que ces heures doivent être "recherchées" quelque part, tandis que les suppléments qu'obtiennent les professeurs de classes préparatoires sont inhérents à leur travail, et même à les entendre, sont parfaitement normaux, et constituent un simple accroissement du salaire déguisé en heures supplémentaires, mais justifé par la nature et l'organisation de leur travail. Ce qui permet au professeur de prépa sus-dit, s'il existe, d'écrire sur un blog de médiapart :
"Et croyez-moi, corriger des copies est autrement plus pénible que de surveiller des embryons". (Il avait transitoirement écrit quelque chose d'encore plus minable, mais qu'il a retiré).
J'ajoute qu'il peut arriver aux chercheurs CNRS d'écrire des livres, pour des droits d'auteurs de l'ordre de deux ou trois mille euros (une année, après c'est plutôt cent ou deux cents); il existe quelques vedettes qui gagnent sans doute plus avec leurs livres.
Bref, tout ça pour dire que les rémunérations des professeurs de classes prépas, et la façon dont elle est acquise, me choque. Et qu'un professeur chargé de former nos enfants trouve que je "me plains", quand je le fais remarquer, est bas. Il me semble que c'est lui qui est venu sur le tapis avec mon salaire.
Je ne suis pas choqué par le salaire des chercheurs (je veux dire, ni par sa bassesse ni par son excès), notre paie n'est pas si mauvaise, et encore plus dans le contexte économique actuel, mais je le suis quand il m'arrive d'entendre des amis passés par le système des grandes écoles refuser un emploi à 5000 euros par mois, au motif qu'ils "ne travailleraient pas pour un salaire de misère".
Au cours de ma carrière, j'ai rencontré plusieurs fois des jeunes normaliens, ayant fait une thèse, qui ont préféré retourner enseigner en classes prépas, essentiellement pour la tranquillité d'esprit et le salaire, si j'ai bien compris. C'est en tout cas ce qui ressortait de mes discussions avec eux.
Quand dans un pays, on commence à considérer qu'il est préférable et mieux payé d'aller faire passer des colles et corriger des copies dans des lycées plutôt que de tenter pour soi, et pour les autres, l'aventure intellectuelle de la recherche, qui est censée déboucher sur des points de PIB, quand même; c'est que quelque chose ne va pas.Que les enseignants de classes préparatoires défendent leur gagne pain, sans même mesurer l'effet qu'ils produisent avec leurs pétitions, est symptômatique.
Enfin, que la formation de notre jeunesse, soit confiée à des personnes seules en chaire, qui se disent à ce point écrasées d'enseignement, de copies, de colles, au point qu'il faille leur devoir une infinie admiration pour l'immensité de leur dévouement, dénote d'un problème structurel dans la société. Dans le même temps, existe un vivier d'enseignants chercheurs, et aussi de chercheurs CNRS, qui pourraient faire de l'enseignement en direction de nos "futures élites", on pourrait aussi recruter des jeunes pour les décharger de ce travail atroce, et passer un peu de cette manne d'heures supplémentaires à d'autres qui sont au chômage. Mais non, nous regardons depuis l'université, ces professeurs exténués, justifier par cet épuisement leurs hauts revenus. Ici, les enseignants chercheurs sont épuisés aussi, mais pour d'autres raisons : on leur impose des cohortes trop importantes, d'étudiants de moins bon niveau qu'il faut "remonter".
Personne n'a demandé à ce que nos jeunes en "voie royale" soient éduqués par des gens à ce point au bout du rouleau qu'il faille gonfler leur salaire de 50% artificiellement, pour qu'ils puissent tenir le coup. Les professeurs de prépas ont pérennisé un système mandarinal d'enseignement, où seuls dans leur classe ils font la pluie et le beau temps, et par lequel ils justifient de façon circulaire le niveau de salaire qui leur serait dû. Accaparant tout le travail de formation, ils s'imposent par une servitude volontaire un travail impossible, par lequel ils réclament d'être largement rémunérés. De même, ils exigent circulairement d'être payés en heures supplémentaires, pour ensuite proférer des âneries comme "nous n'avons pas choisi de faire ces heures supplémentaires" (voir l'échange sur le billet ayant motivé celui-ci).
Pour quelle obscure raison, les professeurs en classes prépas devraient-ils exercer un métier aussi écrasant et aussi différent de celui des professeurs d'université du monde entier? Pourquoi diable le travail qui leur semble si lourd, ne pourrait-il pas être partagé, au moins avec les enseignants existants, qui pourraient aussi former les élites, de façon à soulager leur pression? Pourquoi pas? Parce qu'il existe une barrière idéologique, par laquelle cette caste est enfermée dans un discours et une attitude totale sinon totalitaire, vis-à-vis de leur enseignement, qui ne saurait s'exercer autrement que comme ça, dans le "système" des classes prépas et le cercle fermé des lycées, que, soi-disant, on nous envie ailleurs, et qui serait en train de faire des émules.
Si c'est si dur, d'enseigner en prépa, il faut diluer cet enseignement dans un espace et un corps plus grand. Sinon quoi? Sinon ceci.
Il y a peu je recevais un élève de 3e en stage d'observation. Parlant de son avenir, il me dit :
-ça a quand même l'air mieux aux Etats-Unis les études supérieures, je préfèrerais partir, plutôt que d'aller dans une classe prépa. Je ne veux pas aller au Lycée XX, il y a tellement de pression, il paraît qu'un tiers sont en dépression.
-Non ce n'est pas possible, ce sont des rumeurs qui circulent parmi les élèves, ce n'est pas possible.
-Non, non, ce ne sont pas les élèves qui disent ça, ce sont les professeurs."
Dans le même temps, je constate à l'autre bout de l'échelle que certains de mes amis, anciens de classes prépas, préfèrent aujourd'hui envoyer leurs propres enfants à l'étranger, plutôt que d'infliger ça à leurs enfants, pour un diplôme de moins bon niveau. Pire, on préfère encore une université de second choix, à l'étranger, plutot qu'une classe prépa en France. Tout le monde, évidemment, ne peux pas payer des études à l'étranger, mais il faut rappeler que les universités étrangères aussi offrent des bourses, post-bac, à des élèves méritants.
Un mouvement se dessine, qui va déplacer le rapport Classes-prépas/universités françaises, vers un rapport Universités étrangères/classes prépas, et les professeurs de classes prépas pourront contempler le résultat de ce système pervers.
Il est temps de fermer les classes préparatoires, de reverser le contingent de bons élèves en premier cycle universitaire, et d'affecter les professeurs de prépas, qui n'en peuvent plus, comme PRAGS en premier cycle.