C'est le document le plus important du moment. Pourtant, en France, hormis deux sites confidentiels, aucun média ne s'est fait l'écho du rapport annuel du groupe BP sur l'énergie dans le monde, so(m)brement intitulé : "an unsustainable path". Soit : "une trajectoire insoutenable". Comme l'a malicieusement tweeté Jean-Marc Jancovici, "c'est un peu comme si le dealer s'inquiétait de la santé de son client". Reconnaissons néanmoins au dealer son professionnalisme : il connaît parfaitement le produit et son marché. De fait, les données statistiques du géant pétrolier britannique servent de référence pour l'ensemble des milieux académiques, économiques et politiques. Or, que nous apprend la cuvée 2018, qui a tout du millésime ?
1) En 2018, les consommations de « toutes les sources d’énergie ont augmenté plus vite que leur croissance moyenne des 10 dernières années, à l’exception des énergies renouvelables » : une hausse de 2,9%, quasiment le double de la croissance annuelle moyenne de la dernière décennie (+1,5%/an).
2) Les émissions de CO2 liées à cette consommation d'énergies essentiellement fossiles (à 84,7%) ont augmenté de 2%, contre 1,6% en 2017. C'est la hausse la plus importante des sept dernières années.
2018, l'année du décalage maximum
Bref, nous roulons à tombeau ouvert en sens inverse de la direction tracée par les accords de Paris, censés nous éviter le crash climatique : alors que nos dirigeants proclament qu'il faut découpler croissance économique et consommation énergétique (comprendre : produire plus mais avec moins d'énergie) mais également découpler consommation énergétique et émissions de CO2 (comprendre : plus d'énergies renouvelables neutres en carbone), on assiste à l'exact opposé : la croissance des énergies renouvelables stagne, et si l'on prend l'exemple édifiant des USA, l'augmentation de la demande d'énergie (+3,5%) a dépassé celle du PIB (+2,9%). Surpris par ce dernier fait, les experts de BP en ont identifié l'effroyable cause : le dérèglement climatique. L'hiver anormalement froid a entraîné une forte hausse du chauffage, tandis que l'été anormalement chaud a fait exploser la climatisation.
Voilà donc en place le plus parfait, sinistre, absurde des cercles vicieux : le dérèglement climatique augmente la consommation d'énergies émettrices de CO2, lesquelles augmentent le dérèglement climatique, lequel etc...
Laissons les mots de la fin à Spencer Dale, l'économiste en chef de BP :"lorsque nos successeurs se pencheront sur cette période, ils verront un monde avec une société de plus en plus consciente et demandeuse d'actions rapides contre le changement climatique, mais où toutes les données convergent imperturbablement dans le mauvais sens. Ils verront un décalage croissant entre les espoirs et la réalité. Dans ce contexte, je crains - ou plutôt j'espère - que 2018 soit l'année du décalage maximum". Oui, espérons-le...