Les cours de l’école taurine de Nîmes reprenaient le 14 novembre dernier dans les arènes. A la fin de l’entrainement j’ai rencontré le dernier vainqueur de« graines de toreros ». C’est un jeune homme lucide qui a la tête sur les épaules avec qui j’ai discuté. On a revisité sa saison, parlé de son avenir. Une discussion intéressante avec des moments de grande humilité. Cet apprenti torero « se cherche » encore, mais on sent que son ambition est de réussir. On le lui souhaite bien évidemment, et à la vue de ce qu’il a laissé dans les arènes tout au long de la temporada on peut penser qu’il a le potentiel pour le faire.
Inconnu au début de la saison il a connu une ascension fulgurante jusqu’à cette victoire à Saint-Gilles. Cette saison il devra confirmer son rang.

V.M : « Bonjour Alejandro. Peux-tu te présenter en quelques mots ? »
Alejandro Rubio : « Bonjour, je suis Alejandro Rubio, j’ai 16 ans, je vais au lycée Saint Vincent de Paul, à Nîmes, je suis en première GES. Avant de me mettre devant les toros je voulais être footballeur et au final ce sont les toros qui ont pris le dessus. »
V.M : « Comment t’es venu cette passion ? »
A.R : « Je ne saurais pas l’expliquer, c’est venu d’un coup. Mon oncle était au centre français de tauromachie il y a 20 ans. J’avais onze ans quand je suis venu voir une corrida ici à Nîmes mais ça ne m’avais pas attiré, j’avais trouvé ça bien mais sans plus. C’est un film sur Sébastian Palomo Linares qui m’a donné le déclic. La plupart du temps les corridas à la télé ne provoque pas de vocation, plutôt le contraire. Pour moi c’est différent, c’est même l’inverse (rire). »
V.M : « Le fait de voir ce film t’as donné l’envie de te mettre directement devant le toro ou revenir aux arènes en spectateur ? »
A.R : « J’aime me mettre devant le toro. Déjà avant je le faisais. Quand il y a une abrivado j’aime attraper les toros, ensuite je m’amusais à aller raseter les veaux et j’allais plus voir des courses camarguaises… Après avoir vu ce film c’est la corrida qui a pris le dessus, l’aventure m’a attiré, j’ai voulu le vivre de l’intérieur. C’est pour cela qu’un jour, avant de venir m’inscrire au centre, je suis allé à un toro piscine et j’ai pris une serviette pour toréer. (Rire). »
V.M : « Comment ça c’est passé (rire) ? »
A.R : « Mal (gros sourire), mais j’ai quand même voulu continuer et c’est pour cela que je suis venu m’inscrire au centre de tauromachie de Nîmes. Cela fait maintenant trois ans. »
V.M : « Comment tes parents arrivent à vivre cette passion ? »
A.R : « Au départ ma mère ne voulait pas que je torée mais mon père n’étais pas contre. Au final, ils m’ont dit que je pouvais le faire et aujourd’hui c’est l’inverse, mon père a plus peur que ma mère. »
V.M : « Tu arrives à gérer les études et les toros ? »
A.R : « Je ne vais pas dire que je préfère faire mes devoirs en rentrant chez moi après le lycée, ça serait mentir. Je préfère évidemment prendre une muleta ou un capote que de rester devant mon bureau ; mais bon il est clair que les études passent en premier et les toros ensuite. Les professionnels nous le font comprendre. Pour moi être torero c’est inné, soit tu l’es, soit tu ne l’es pas. »
V.M : « Et donc tu l’es ? »
A.R : « On verra bien (sourire). A l’heure actuelle je ne peux pas dire si je suis torero, je me cherche encore et surtout j’apprends tout le temps. »
V.M : « Qu’est-ce-que tu ressens au fond de toi ? »
A.R : C’est la passion avant tout. Je n’aime pas montrer aux autres que je suis torero ou qu’on me dise que je suis torero. Je suis modeste et je n’aime pas me mettre en avant devant les autres. »
V.M : « Depuis que tu es au centre tu vas souvent voir des corridas je suppose ? »
A.R : « Oui, bien plus qu’avant. J’essaye d’y aller le plus régulièrement possible et même si c’est des courses camarguaises, c’est le toro qui m’anime. En Espagne par contre je n’y suis allé que pour toréer. »
V.M : « Ta vision des toros c’est … ? »
A.R : « De plus en plus dur (sourire), plus j’avance et plus je ressens la difficulté. Quand je suis parti en Espagne j’ai torée avec un jeune de 14 ans et il m’a remis à ma place. J’ai vraiment pris conscience du travail qu’il fallait faire. »
V.M : « Le toro ça remet les pieds sur terre… »
A.R : « Oh oui ! Le toro en premier et les professionnels ensuite. Le fait est que le toro c’est la vérité. Quand tu es devant il te le dit, il te le montre, tu ne peux pas te mentir. »
V.M : « Si je te dis : le campo »
A.R : « Le campo c’est magique (grand sourire), quand tu arrives au campo et que tu vois la placita avec les toros au loin c’est vraiment extraordinaire. Je préfère des fois partir au campo pour toréer avec des professionnels plutôt que d’être dans l’arène. C’est sur que si je suis dans les arènes de Nîmes pleine je serais aux anges ; le campo ça reste quelque chose d’unique. »
V.M : « Qu’est – ce – que tu ressens devant le toro ? »
A.R : « Ça dépend du toro, comment il embiste etc… Des fois j’ai peur, mais comme tous les toreros. Il ne faut pas dire que nous ne ressentons pas ce sentiment parce-que ce n’est pas vrai. Par contre quand je me sens bien avec le toro je ressens énormément de plaisir. A Saint-Gilles durant la finale j’ai pris plus de plaisir avec mon premier toro parce qu’il collaborait bien. Mon second demandait plus, il était plus compliqué. La semaine d’après à Manduel c’était beaucoup plus dur. Le toro m’a vraiment remis en place, il n’était pas très bon mais par contre il avait beaucoup de force. Il fallait être présent, le toréer de près et être très attentif, à tout moment il pouvait te prendre. »
V.M : « Comment ça se passe dans ta tête à ce moment là ? »
A.R : « Je reste concentré sur ce que je fais mais je ne suis pas tout seul. J’écoute toujours d’une oreille les conseils des professionnels, moi ça ne me dérange pas, dans ces moments précis ça t’aide. Ceci dit, même quand je me sens bien avec le toro je garde une attention à ce que la cuadrilla me dit. S’il y a un petit défaut à régler il vaut mieux le faire de suite pour pouvoir profiter et transmettre l’émotion au public. »
V.M : « Ces gestes, qui transmette, viennent seul des fois non ? »

A.R : « C’est la technique qui le permet. Certes certains gestes viennent naturellement et instinctivement mais c’est toujours l’entrainement qui le justifie. »
V.M : « Tu peux me faire une analyse rapide de ta saison ? »
A.R : « Au début de la saison il y a eu des bas, c’est dû au fait que je n’étais pas assez centré, j’étais dispersé. Depuis que j’ai tué mon premier toro en mars j’ai eu envi de progresser, de travailler plus et d’apprendre. Quand j’ai vu ce jeune en Espagne mon envie s’est décuplée, ça m’a vraiment motivé plus que tout. Durant les étapes de « graines de toreros » j’ai compris qu’il y avait des gens qui croyait en moi et je me suis dit qu’il ne fallait pas les décevoir, je me suis donné à fond. »
V.M : « L’année dernière à la même époque, tu pensais pouvoir arriver en finale ? »
A.R : « Les professionnels m’ont dit que j’avais du potentiel, le physique d’un torero, je me suis arrimé pour y arriver, au final je me suis gagné les choses. C’est vrai que je ne m’attendais pas à faire laf inale, une demi-finale pourquoi pas. C’est quand j’ai gagné les deux corridas précédents la finale que je me suis dit que je pouvais arriver jusqu’au bout. »
V.M : « L’ascension est fulgurante. Premier toro en mars, victoire de « graines de toreros » en octobre. Comment tu as abordé cette corrida ? »
A.R : « J’ai essayé de relativiser en me disant quec’était une course comme une autre tout en sachant que c’était important. Avantle paseo un professeur, José Manrubia, est venu me voir en me disant quec’était important mais que bon si je ne gagnais pas ce n’était pas grave vu quec’était moi la surprise. Malgré cela je n’ai pas voulu le prendre trop cool parrespect pour tout le monde, il fallait que je confirme le fait d’avoir gagnéles deux demi-finales. »
V.M : « Comment as-tu vécu cette victoire ? »
A.R : « J’étais évidemment fier et content de moi mais je me suis vite tourné vers l’avenir. Je ne veux pas rester dans le passé, il faut aller de l’avant. Quand on voit que le Juli cherche encore la technique parfaite on se dit que la route est longue car on en est qu’au début. »
V.M : « Comment tu vois cette nouvelle saison ? Quels sont les toreos et les toreros qui t’inspirent ?»
A.R : « La différence est que je vais devoir confirmer cette victoire, je pars sur un autre état d’esprit pour prouver tous les jours que je veux être torero.
J’ai beaucoup de toreros qui m’impressionnent mais ce sont surtout Castella, El Juli, José Tomas ; pour l’art c’est Morante. Ils sont tous extraordinaires. »
V.M : « Quand je t’ai vu pour la première fois dans l’arène j’ai vu des gestes et une manière artistique de toréer. Comment tu te situes ? Tu aimerais faire primer l’art ou la technique avant tout ? »
A.R : « Pour l’instant je torée de manière classique. Pour moi la technique c’est primordial. Si j’arrive à dominer le toro et que je me sens bien devant lui pourquoi pas améliorer l’artistique. Je ne vais pas me priver de tels gestes c’est évident mais pour cela il faut avoir une certaine maîtrise technique. »
V.M : « Morantista ou Julista ?
A.R : « Ça dépend, Morante c’est plus dans le détail, quand il torée avec la ceinture c’est très profond. Je ne saurais pas choisir, quand les deux toréent bien, ils sont impressionnants. En ce qui me concerne, je me cherche encore, techniquement il faut que je m’améliore. Une chose est sure c’est que la corrida c’est un art. »
V.M : « Comment tu vois l’avenir ? »
A.R : « Pour être figura c’est pratiquement impossible. Quand tu vois José Tomás qui prend trois coranadas et qu’il reste là pour finirl a course c’est extraordinaire. Quand tu penses que Castella et le Juli sont en recherche constante pour améliorer leur technique histoire de frôler la perfection, tu te dis que c’est difficile et très long. Je ne sais pas encore si j’ai le potentiel pour y arriver mais en même temps il existe toujours des déclics à tous les niveaux. Après si le déclic ne vient pas, il vaut mieux être lucide, se retirer de devant les toros et se recycler. Je pense qu’il faut savoir prendre les opportunités au bon moment.
En ce qui concerne la tauromachie, je pense que ça ne s’arrêtera pas. Il y a de plus en plus de jeunes qui veulent devenir torero. Il suffit de regarder autour de nous et voir tous ces jeunes qui ont moins de 10 ans venir s’entrainer toutes les semaines avec envie et les yeux qui pétillent ; c’est vraiment génial et je pense qu’il y en aura de plus en plus dans l’avenir. »
V.M : « Tu te vois ou dans 10 ans ? »
A.R : « (Sourire) Je veux me voir ici à Nîmes dans le ruedo, les arènes pleines. Je veux faire toutes les férias importantes, je veux être Figura. »

V.M : « Je sais que tu aimes le Flamenco. C’est une musique qui t’inspires ? »
A.R : « (Grand sourire) J’écoute du flamenco à longueur de journée. Des fois je chante avec des copains et à force ils en ont marre mais moi ça ne me dérange pas. Pour moi, la tauromachie et le flamenco sont indissociables. Je n’avais pas vu la corrida flamenca ici à Nîmes, mais je sais que moi si on me met du flamenco à la place d’un pasodoble cela sera un autre monde. Ce style de musique me fait plus ressentir les choses, avec du flamenco je serais plus artiste c’est sur, ce serait un immense plaisir que de toréer avec du flamenco. »
V.M :« Alejandro, merci beaucoup, suerte y hasta pronto. »
Propos recueillis par V.Morelli