Le 7 mars dernier s’est tenu le premier tour de l’élection présidentielle en Sierra Leone. Quelques jours plus tard, des dizaines d’articles publiés par des sites traitant principalement de nouvelles technologies ou de crypto monnaie, affirment que ce pays devient le premier au monde à avoir eu recours à la technologie dite du « blockchain » dans son processus électoral. Ils citent tous un homme. Leonardo Grammar, directeur général d’Agora. Une start-up basée en Suisse à qui l’on doit cette première. Les articles sont massivement partagés sur les réseaux sociaux.
Tout d’abord, comme moi, vous vous êtes peut-être posé cette question : c’est quoi un « blockchain » ? Faisons très court. C’est une technologie de stockage et transmission d’informations sans organe de contrôle. Le même type que celle utilisée pour générer le bitcoin.
Sur les réseaux sociaux, les utilisateurs qui partagent la nouvelle se félicitent de ce nouvel emploi du « blockchain ». En Sierra Leone, les gens qui découvrent cette information sont dubitatifs. Personne n’a entendu parler de l’usage de cette technologie avant, pendant ou après le vote. Pas un mot non plus de la commission nationale électorale (CNE) à ce sujet.
Quelques Sierra-léonais décident de mener l’enquête. Certains sites effectuent alors une discrète mise à jour. Ils évoquent désormais une utilisation du blockchain uniquement dans la province Ouest, mais ne manquent pas de préciser que c’est la plus peuplée du pays puisqu’elle comprend la capitale Freetown. L’un des articles les plus partagé1 jusqu’à maintenant avançait que 70 % des bureaux de vote du pays étaient équipés de cette technologie.
Les enquêteurs publient samedi en ligne les résultats de leur investigation. Selon eux, la Sierra Leone n’a pas eu recours à la technologie du blockchain pour voter. La start-up Agora, dotée d’un simple statut d’observateur, était présente dans seulement 250 bureaux de vote de la province Ouest. Moins de 3% des bureaux ouverts dans le pays. Même à l’échelle de la province, cela ne représente pas 10 % des bureaux de vote. Dimanche, Mohamed Conteh, président de la CNE sort du silence à son tour via un tweet « La CNE n’a pas eu recours à la technologie du blockchain à aucun moment du processus électoral ».
Mardi, la start-up Agora a réagi aux critiques via un communiqué. Sa lecture est intéressante. Elle apporte la preuve de sa présence en Sierra Leone, dans 280 bureaux de vote selon ses propos. Mais en voulant se défendre, elle confirme qu’elle n’avait qu’un statut d’observateur. Or un observateur n’est pas impliqué directement dans le processus électoral. Agora explique comment ses collaborateurs ont travaillé sur le terrain. Lors du dépouillement, les agents de la CNE montraient chaque bulletin aux observateurs et annonçaient le vote à haute voix. Leurs collaborateurs enregistraient ensuite chaque vote dans la blockchain. Un processus manuel.
Un regroupement d’acteurs de la société civile qui a dépêché un observateur dans chaque station de vote du pays a fait en fin de compte le même travail. Ils ont commencé à diffuser dès le 7 au soir, les résultats dans un tableau disponible en ligne. Les résultats d’Agora sont-ils plus sûrs ? Selon la start-up, ces chiffres sont très proches de ceux de la CNE. Une différence allant de 0,03 point à 0,32 point pour les deux candidats qualifiés au second tour. En réalité, Agora a quelques difficultés à calculer un pourcentage. Ses chiffres sont différents de 1 à 3 points à ceux de la CEN.
Je ne cherche pas à remettre en cause cette technologie. Un jour, sûrement, un pays utilisera le blockchain pour voter. Juste, soyons clair, la Sierra Leone n’a pas été le premier pays au monde a utilisé cette technologie. Agora a utilisé la Sierra Leone pour mener une vaste opération de la relation publique. Un collaborateur d’Agora ne cache pas qu’ils sont en discussion avec un investisseur. Rien à voir bien entendu avec ce soudain besoin de publicité. Décrocher un client qui ne pensera pas essuyer les plâtres puisque la Sierra Leone a ouvert la voie.
Plusieurs sites qui ont diffusé la première information commencent à diffuser également le démenti. Explique désormais précisément le rôle joué par Agora en Sierra Leone. Mais cette affaire confirme l’étude publiée au début du mois dans la presse, les « fake news » se diffusent plus rapidement et touchent plus de monde. Le démenti est encore peu partagé, alors que les premiers articles continuent d’être largement diffusés.
1 Agora a partagé cet article sur sa propre page Facebook.