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Billet de blog 18 août 2017

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1957-2017, ET S'ILS RAPPELAIENT LES PARAS ?

D'Alger à Paris, 1957-2017. Des contextes et des temps différents ; deux guerres qui ne disent pas (ou à peine) leur nom. Deux situations explosives, une seule et même doctrine. Celle de la guerre anti-insurrectionnelle. La France l'a inventé et « commercialisée » dans le monde entier. Elle repose sur l'armée, comme rempart ultime contre une attaque visant des intérêts nationaux.

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 Version audio : https://soundcloud.com/tartinedepodcasts/1957-2017-et-si-on-rappelait-les-paras

C'est l'histoire de la Bataille d'Alger, il y a 60 ans... De Janvier à Octobre 1957, les parachutistes Français ont carte blanche pour faire cesser les attentats dans la capitale Algérienne. Bataille gagnée par les militaires Français en 6 mois seulement, grâce à une nouvelle doctrine, dite de la « guerre contre-révolutionnaire ».

60 ans après, cette page d'Histoire s'est à peu près perdue dans la mémoire collective. On a pas spécialement envie de se replonger dans ces horreurs. On a déjà les nôtres en 2017... On va s'y replonger quand même. Car la Bataille d'Alger nous enseigne tout à la fois la force et la faiblesse d'une République face au terrorisme extrême.

Algérie, une guerre sans nom

Retour en 1957. Un pays, l'Algérie, bouillonne. Depuis trois ans déjà, ce qui est encore un département Français transpire la violence. L'insurrection a débuté à l'est, dans les Aurès, mais aussi au nord avec la Grande Kabylie, ainsi que dans le Constantinois. Elle s'étend ensuite aux grandes villes. Les massacres succèdent aux tueries. De la Toussaint rouge, le 1er novembre 1954, au massacre d'Oran le 5 juillet 1962, en passant par le sanglant été 55 dans le Constantinois... Des massacres commis par les deux camps, qui font des centaine de milliers de morts chez les Maghrébins, des dizaines de milliers du coté des Européens.

La Capitale, Alger, en particulier, va devenir en 1957 le théâtre d'une insurection sanglante... Au cours de l'année précédente, les indépendantistes du FLN (Front de Libération Nationale), en réponse à l'exécution de dizaines de militants condamnés à mort, vont semer la terreur : « pour chaque maquisard guillotiné, cent Français abattus ». Le mot d'ordre : « n’importe quel Européen, de 18 à 54 ans. Pas de femmes, pas d’enfants, pas de vieux. » Les bombes ne feront pas la différence. Au cours de l'été 56, le FLN tue ; principalement des policiers, gendarmes ou militaires, représentants de l'État Français.

Les plus radicaux de l'Algérie Française vont réagir dans la nuit du 10 août 1956. Un groupe paramilitaire fait exploser un immeuble d'habitation dans la Casbah, la vieille ville d'Alger, où le FLN a ses bases. Bilan : seize morts et près de soixante blessés. La population arabe est en rage. Le FLN répond par des bombes, déposées par des femmes, dans des lieux très fréquentés d'Alger. La jeunesse Franco-Algéroise est visée. Le 30 septembre 1956, deux explosions font 4 morts et plus de 50 blessés au Milk Bar et à la Cafétéria, en plein centre ville. D'autres exemples suivront...

Trois mois plus tard, 4 janvier 1957 : le Général Massu, commandant de la 10ème Division Parachutiste, reçoit les pleins pouvoirs pour régler la question des attentats. Le gouvernement, dos au mur, compte sur l'efficacité des paras. Le cas du FLN à Alger allait d'ailleurs être réglé en quelques mois.

À l'arrivée des paras, le FLN répond par une série d'attentats et un mot d'ordre de grève générale pour la fin du mois de janvier 57. L'armée casse la grève, oblige les commerces à ouvrir, et, en perquisitionnant chaque maison, commence son travail de fourmi, pour démanteler le FLN Algérois. Massu et ses hommes, qui reviennent d'Indochine, où ils ont subit une lourde défaite, vont mettre la Casbah en coupe réglée, avec notamment des contrôles systématiques aux entrées du quartier. Les militaires Français partent du principe que l'ennemi est partout. La torture devient systématique, le fichage également. Un escadron de la mort, dirigé par l'ancien résistant Aussaresses, est chargé de traquer les fellaghas. Il se charge aussi de faire disparaître des milliers de témoins, toujours victimes de la gégène ou d'autres sévices... Ce seront les sinistres crevettes Bigeard, du nom du Général Français... Ces milliers de victimes seront jetées d'hélicoptères ou d'avions en pleine mer lors de ce que les militaires appelleront « des transferts ». Ceux qui collaborent pourront servir ensuite comme infiltrés chez l'ennemi.

C'est la nouvelle doctrine Française sur la guerre révolutionnaire. Elle a été découverte par les paras en Indochine. L'ennemi de la France est alors le Viêt minh. En s'inspirant de l'expérience Chinoise, le mouvement va largement s'appuyer sur la population locale. Mao Zedong avait en effet publié en 1951 un ouvrage titré : La Stratégie de la guerre révolutionnaire en Chine, jetant les bases des stratégies insurectionnelles. Un livre pour le moins explosif dans ce contexte où des dizaines de pays revendiquent leur indépendance alors que les colonisateurs sont loin d'être enthousisamés par le concept.

Rien de neuf pour les militaires à Alger.

Dans la vieille ville, les quelques 500 000 habitants font face à des soldats aguerris et déterminés, aux méthodes expéditives. Tortures, agressions sexuelles, exécutions sommaires, disparitions, il s'agit de terroriser la population Arabe, censée soutenir le FLN, pour couper ce dernier de ses bases, stopper les attentats et rassurer la population Européenne. On essaiera en même temps de forcer les habitants de la Casbah à se rallier à la cause Française, par la propagande, l'infiltration, ou simplement en multipliant les distributions de cadeaux... jusqu'aux bonbons pour les enfants. Il s'agit avant tout, selon la doctrine, de marquer les esprits en imposant une domination psychologique sur l'adversaire.

Outre cette guerre des esprits, on cherche aussi à démanteler les réseaux terroristes. Place alors à la Gégène et autres techniques d'interrogatoire poussées. Ces techniques, les paras Français les connaissent bien. Il les ont parfois subis en Indochine quelques années plus tôt. Certains en ont même été victimes comme résistant, au cours de la Deuxième Guerre Mondiale. C'est à Paris, avenue Henri-Martin, qu'un gestapiste originaire de Bruxelles a systématisé le supplice de la baignoire... A Alger, les Français vont théoriser et mettre en pratique des années d'expériences malheureuses.

Savaient-il alors, ces tortionnaires Français qu'ils étaient en train d'initier une doctrine qui allait faire les beaux jours des pires dictatures, du Chili hier... à la Syrie aujourd'hui.

La doctrine Française s'exporte

Dès 1958, la France met en place en Algérie un Centre d'entraînement à la guerre anti-subversive, centre dirigé par le Général Bigeard. A Bigeardville, c'est le surnom donné à la structure, l'embrigadement est une règle. Face à la journaliste Marie-Monique Robin, Bigeard fera même référence aux islamistes d'aujourd'hui, soulignant leur force de conviction pour envoyer des kamikazes se faire sauter. Très rapidement, la France invite des officiers étrangers suivre une formation dans cette école de guerre contre-insurrectionnelle. On y croise alors des Portugais, des Belges, des militaires Iraniens, Sud-Africains, ou encore Argentins... Déjà l'Amérique du sud... Toujours selon Marie-Monique Robin, en pleine Bataille d'Alger, deux officiers Français spécialistes de la guerre contre-révolutionnaire sont envoyés à Buenos Aires. À partir des années 60, la Bataille d'Alger est étudiée dans certaines académies militaires, avec les anciens paras Français comme intervenants. « La Guerre Moderne », ouvrage écrit par le Colonel Trinquier, devient le livre de chevet des acharnés du maintien de l'ordre : les dictatures Sud-Américaines bien sûr, les Américains eux-mêmes ensuite, de la guerre du Vietnam, jusqu'à celle d'Irak. Aujourd'hui encore, cette doctrine de la guerre révolutionnaire est plus que jamais d'actualité, pour lutter contre le terrorisme ou le narco-trafic...

La doctrine Française est de retour !

A Alger, la réponse du pouvoir aux tueries, a consisté en un bouclage total d'un quartier, et à faire parler la population en la terrorisant (la plupart du temps).

Soixante ans plus tard, pourquoi n'aurions-nous pas la même réaction ? Face à une telle vague de terreur, que feraient nos représentants élus ? Donneraient-ils, comme leurs prédécesseurs, les pleins pouvoirs aux militaires pour régler la situation ? Pour cela, il faudrait trois conditions : que les circonstances s'y prêtent, que la Loi l'autorise, et que la population y adhère.

Le dispositif de l'état de siège permet encore aujourd'hui de transférer et d'étendre les pouvoirs de police détenus par l'autorité civile, aux militaires. Sauf modification future, la Constitution de 1958, dans son article 36, stipule que « L'état de siège est décrété en Conseil des ministres. [Et que] sa prorogation au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par le Parlement. » Un autre article, cette fois du Code de la Défense, parle lui « de péril imminent résultant d'une guerre étrangère ou d'une insurrection armée. » Autre disposition de la Constitution : l'article 16, celui donnant des pleins pouvoirs au Président de la République, en cas de péril grave. Cette disposition consacre ni plus ni moins la possibilité pour un gouvernement de suspendre, pour un temps indéfini, les institutions de la République. Les gouvernants ont donc encore largement les moyens juridiques de transférer les pouvoirs de police à l'armée. Dans ce cas, l'autorité militaire a des compétences extraordinaires pour rétablir et maintenir l'ordre. Elle peut ainsi effectuer des perquisitions de jour comme de nuit ou encore interdire les publications et les réunions jugées menaçantes pour l'ordre public. Liste non exhaustive.

Le cadre juridique est donc là. Les hommes également sont encore là, au cas où il faudrait assurer le sale boulot... Car, si la 10ème Division Parachutiste de Massu, qui a sévit en 1957, a disparu après le Putsch d'Alger, ses symboles, voire ses traditions, sont perpétués dans certaines casernes. Il y a des fidélités immuables dans l'armée...

Juridiquement, le système peut donc être réactivé. Reste, le contexte, qui doit être propice. Une vague d'attentats, une situation qui échappe au pouvoir civil... Qui dit, après les derniers attentats de masse en France, que c'est impossible ? A quel niveau de terreur un gouvernement se retrouve t'il tellement dos au mur qu'il fini par passer la main à l'armée ? A Alger, il aura fallu une moyenne de quatre attentats quotidiens.

Enfin, et peut être le plus important, il faut, pour qu'un tel système répressif se mette en place, l'adhésion d'une majorité de la population... En 1957, les Européens d'Alger étaient étranglés par la violence aveugle des attentats, prêts à accepter les méthodes des paras pour la faire cesser. En 2015, après Charlie Hebdo, l'Hypercasher et le Bataclan, entre-autres, l'Acat, l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture publiait un sondage, à l'occasion de la sortie de son rapport annuel sur le phénomène tortionnaire dans le monde. Cette étude souligne une tolérance de plus en plus élevée des Français vis à vis de la torture. Plus d'une personne interrogée sur deux accepterait qu'un policier envoie des décharges électriques sur quelqu'un soupçonné d'avoir posé une bombe prête à exploser. Pour le délégué général de l’Acat, Jean-Etienne de Linares, « De renoncement en renoncement, un terreau se met en place et qui sait ce qu'il se passera s'il y a un, cinq, dix attentats de plus».

La doctrine Française, plus que jamais d'actualité

La doctrine de guerre anti-subversive appliquée sur le territoire Français ne serait qu'une vue de l'esprit ? C'est oublier un peu vite qu'en 2008, Nicolas Sarkozy, tout en décidant de réintégrer la France dans l'OTAN, va reprendre la stratégie dite de Sécurité Nationale, développée par les Etats Unis. Cette politique n'a, ensuite, pas été remise en question par François Hollande. Or, cette stratégie, appliquée par les USA après le 11 septembre, intègre clairement la doctrine de guerre anti-insurrectionnelle. Le chercheur Gabriel Piéres ne dit pas autre chose, lorsqu'il affirme « Promulguée en décembre 2013 pour la période 2014-2019, la nouvelle loi de programmation militaire se situe dans la continuité du Livre blanc de la défense de 2008, sous la présidence Sarkozy, qui mettait en place le concept de sécurité nationale. On entérine la notion de sécurité nationale dans le cadre législatif français, tout en marquant la fin de l’interdiction Gaullienne, sur le territoire français, des doctrines militaires contre-insurrectionnelles qui avaient été réservées à l’Algérie, puis exportées en Amérique latine et en Afrique. » On notera à ce propos la position clairement hostile du Général de Gaulle vis à vis de la guerre anti-subversive. En effet, après le Putsch d'Alger, animé en partie par ceux qui ont théorisé et appliqué cette doctrine, De Gaulle jettera le bébé avec l'eau du bain. Mais, nous l'avons vu, il n'empêchera pas l'armée Française de diffuser sa "bonne parole" à l'étranger.

Deux ans avant sa mort, en 2002, Jacques Massu revenait sur ces années sanglantes à Alger. Massu, le Catholique, avouait alors, qu'avec le recul, la torture ne lui paraissait "pas indispensable en temps de guerre"  et qu'on pourrait"très bien s'en passer." Et l'ex tortionnaire d'ajouter qu'à Alger, on aurait pu faire les choses différemment."

https://www.youtube.com/watch?v=66CRPKsuiKg

 http://www.grep-mp.com/wp-content/uploads/2016/10/03-P%C3%A9riesFinalLivret.pdf

http://www.elcorreo.eu.org/France-La-guerre-quelle-guerre

http://www.elcorreo.eu.org/La-France-et-le-concept-de-securite-nationale

http://www.arte.tv/sites/robin/2011/07/31/escadrons-de-la-mort-lecole-francaise-et-torture-made-in-usa-ou-comment-fabriquer-des-terroristes/

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