Contestation agricole : Macron fait du Macron.
La méthode est connue, c'est la même depuis 2017. A chaque forte contestation soutenue dans l'opinion, le gouvernement commence fébrile. Comment ne pas céder à des demandes légitimes de personnes touchées par la politique menée par la macronie ? Tout le gouvernement se demande alors ce qu'ils ont le droit de céder, et l'espoir est là. Puis le Premier ministre demande à Macron. Sire, sire, que puis-je leur donner ? Et la réponse est toujours la même : Rien. Alors le gouvernement se rebiffe et met en place sa méthode. Provoquer ses adversaires pour faire monter la tension, espérer des dérapages et jouer le pourrissement. Hors de question de lâcher quoi que ce soit sur sa politique. Alors le gouvernement s'exécute. La crise des Gilets Jaunes, la Réforme des retraites et maintenant la crise des agriculteurs. Le discours de politique générale de Gabriel Attal est sur ce point édifiant, et la réponse attendue immédiate : la pression monte d'un cran et la mobilisation repart de plus belle. La suite habituelle, nous la connaissons trop bien. Le mouvement se radicalise, des violences surviennent, deux trois mesurettes sont sorties, et Macron vient parler au bout de plusieurs semaines d'échappées à l'étranger pour dire que ça suffit, il faut rétablir l'ordre. Puis le mouvement se tasse et les rancoeurs montent, au profit de l'extrême droite, toujours autant épargnée par les médias conciliants et définie comme la seule véritable opposition par le gouvernement. Sauf que l'histoire ne se répète jamais pareil. La dernière fois, le gouvernement était passé à quelques voix d'une motion de censure. Est-ce que la dernière humiliation des LR sur la loi immigration peut rabattre les cartes sur une future motion transpartisane ? Nous verrons ça dans le paragraphe suivant. Restera sinon l'espoir d'un sursaut de la gauche qui réussirait à se faire entendre sur le sujet. Mais cela, nous le verrons dans le paragraphe d'après. Restera encore l'espoir que cette fois les tracteurs fassent un peu plus peur au gouvernement que les "black blocs", ce qui n'est pas du tout impossible, mais ça, je vous laisse y répondre.
Vers une motion de censure ?
En décembre, le vote de la loi immigration avait marqué une capitulation de la macronie aux injonctions du RN et des LR. Ces derniers, trop heureux de voir le gouvernement prêt à n'importe quelle concession pourvu qu'une loi passe, avaient joué la surenchère. C'était un risque important de la part de LR qui se présente d'habitude comme un parti responsable, capable de compromis. Pourtant, si la macronie s'était fortement abîmée lors du vote, Macron avait annoncé, pour rassurer ses troupes, que la loi votée serait censurée par le Conseil constitutionnel pour ce qui concernait les ajouts demandés par LR. Bon, nous passerons ici sur l'effrayante docilité du Conseil constitutionnel qui exécute les volontés de Macron sans détour, comme il l'avait déjà fait au moment de juger de la recevabilité de faire passer une loi majeure par un PLFSS rectificatif... Pour en revenir au texte, les LR avaient claironné une grande victoire législative et se retrouvent avec une certaine censure, se voyant obligés de pester contre la "république des Juges" et se décrédibilisant donc comme force politique de gouvernement respectueuse des institutions. Mais combien de temps accepteront-ils de servir de tapis à Macron ? Il ne serait pas si étonnant qu'ils se mobilisent prochainement lors d'une motion de censure pour lui faire payer son coup de nez. Pourtant, cette hypothèse me parait moyennement crédible. En effet, qui dit censure, dit dissolution. Or, s'il y a bien un groupe qui a un nombre de députés totalement positivement disproportionné à son poids dans le pays, c'est bien LR. Et ils le savent. Ils en étaient presque étonnés en 2022, malgré une lourde défaite, ils s'en sortaient avec un groupe relativement grand qui sert de pivot. Aujourd'hui, le RN grappillerait trop, et pourquoi pas la majorité aussi, car au final, LR vote comme la majorité. Depuis 2022, le problème politique réside essentiellement dans le fait que l'Assemblée nationale ne soit pas du tout représentative des équilibres politiques, à cause de LR. Ils ont un poids trop grand et ne prendront pas le risque de le perdre. Donc Macron joue avec tant qu'il peut, sachant qu'ils sont pris au piège. Mais tout espoir n'est pas exclu. Les LR restent influençables et qui sait, peut-être qu'à force de regarder CNews, ils se prêteront à rêver que "la France est à droite" alors que non, les médias oui, mais la France non. La probable non réponse du gouvernement à la révolte des agriculteurs pourra peut-être susciter une nouvelle motion de censure. Espérons donc que les LR franchiront le Rubicon et prendront le risque de faire tomber Macron. Ce sera une occasion que la gauche devra clairement anticiper sans faire comme elle l'a fait depuis 2022.
Vers un changement de doctrine chez LFI ?
La grande stabilité de la stratégie insoumise depuis 2022 va peut-être enfin arriver à son terme. Bientôt deux années que le groupe moteur de la gauche subit les critiques sur sa méthode très réactionnaire (c'est-à-dire exclusivement en réaction à l'agenda politique décidé par Macron). Les critiques viennent de la droite quelle qu'elle soit, mais aussi de ses partenaires de la Nupes, et pire, de son électorat et même de ses cadres. Deux ans, c'est long, et le résultat des européennes sonnera comme un avertissement à une stratégie trop prudente à défaut d'être conquérante, et trop "braillarde" à défaut d'être convaincante. Peut-être même que le sursaut viendra avant les européennes, ce serait positif pour préparer une probable défaite électorale et préparer la suite sans devoir subir les velléités de prise de contrôle de la gauche du parti qui sortira vainqueur des européennes à gauche. La révolte des agriculteurs pourrait en être l'occasion. Chaque élection est différente mais l'observation des dynamiques récentes devrait permettre d'arrêter de considérer chaque élection comme une sanction de l'influence de chaque parti de la gauche. Les institutions européennes sont bien trop quadrillées par une technocratie totalement opaque qui maintient fermement un cap idéologique néo-libéral. Seul un changement politique radical à l'échelle de plusieurs pays européens serait en mesure de faire bouger les lignes. En attendant, que ce soient les Écologistes, le PS, LFI ou même le PCF qui soient nombreux au Parlement européen, cela ne changera pas grand chose. Les questions nationales en revanche sont le cœur de la politique insoumise, tant sur le plan législatif que constitutionnel. Seule une politique radicale souhaitant des changements structurels majeurs est en mesure de répondre aux enjeux politiques au niveau de la France. Aux municipales et autres élections locales, c'est une politique plus écologiste qui est l'avenir. Plus personne ne veut de nouvelle autoroute, de nouveaux buildings à côté de chez lui. Tout le monde commence à vouloir des espaces verts, moins de voitures des bâtiments plus sobres énergétiquement. Cette bascule a déjà eu lieu dans les mentalités. A Paris, la droite oserait-elle redonner les quais de Seine aux voitures, détruire des espaces verts et supprimer des pistes cyclables ? Non, même leur électorat ne le voudrait plus. Or, les politiques locales se font dans le cadre de la loi et de la structure globale de la société. Nul besoin d'y être donc radical au sens de LFI, non, il faut des politiques sobres avec l'argent public, écolos, relativement consensuels. LFI doit venir en soutien aux autres groupes de la gauche maintenant, mais elle n'a pas à prétendre à diriger de grandes villes, ce n'est pas son rôle. Son rôle est national. LFI doit donc laisser la main aux Écologistes sur le Parlement européen et les élections locales, en échange de la main sur les questions législatives et constitutionnelles. Si LFI l'accepte avant les européennes, un accord pourrait permettre de réduire l'impact de l'impression de défaite à ces élections et se préparer pour 2027. Seule la gauche radicale peut et doit aujourd'hui gagner les présidentielles et les législatives en France aujourd'hui. 2017 et 2022 l'ont acté. Et c'est tant mieux. Maintenant, il va falloir que les discussions reprennent et que la gauche arrête de ne faire que réagir à l'actualité pour préparer l'avenir. Espérons que LFI fera sienne cette phrase de Tocqueville : "tandis qu’ils s’occupent du lendemain, j’ai voulu songer à l'avenir".