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Billet de blog 27 novembre 2019

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Réponse à l’appel ambigu aux consciences de Lahouari Addi et Djamel Zenati

Pour qu’une alternative démocratique portée par une conscience collective puisse réellement consacrer la liberté et le progrès dans un projet national, il serait inévitable qu’elle soit compatible avec un Etat souverain, désaliéné de l’intrusion du militaire, du religieux et de l’identitaire.

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-Youcef Benzatat-

Réponse à l’appel ambigu aux consciences de Lahouari Addi et Djamel Zenati

Lahouari Addi et Djamel Zenati ont co-signé ce mardi 26 novembre un appel aux consciences « pour construire les convergences nécessaires à l’élaboration d’une alternative démocratique à un chaos programmé. » Cependant, ils ne précisent ni les contours de cette alternative démocratique ni la nature de ce chaos programmé ni les parties qui en seraient les belligérants. Ils précisent néanmoins que « rien ne pourra désormais arrêter les citoyennes et les citoyens dans leur marche pour la liberté et le progrès. » La aussi sans donner d’indications sur l’étendue de cette liberté ni la portée de ce progrès. Cette ambigüité assumée s’éclaircie peu à peu lorsque les auteurs de cet appel tentent d’esquisser la nature de ce qu’ils entendent par conscience collective : « La mobilisation unitaire a réussi à faire émerger une nouvelle conscience collective, […] qui a constitué un rempart solide contre toutes tentatives de division, » et dont « l’évolution qualitative survenue dans l’opinion est porteuse d’une ambition nationale. »

Certes, une mobilisation unitaire produit inéluctablement une conscience collective porteuse d’une ambition nationale. Or, dans notre cas, ni la mobilisation n’est unitaire, ni la conscience collective n’est singulière et encore moins porteuse d’une ambition nationale. Le régionalisme, le clivage ethniciste, le clivage théocratique-laïc, la misogynie, sont des facteurs qui témoignent d’une mobilisation unitaire précaire et très vulnérable, dont la seule convergence est l'exigence de la fin de la domination militaire. Dans ce cas l’alternative démocratique souhaitée dans cet appel apparait d’emblée comme une chimère et le chaos dont il est fait allusion serait plutôt inscrit dans les structures mentales patriarcales prédominants dans la société et l’imaginaire mythologique religieux dans lequel elle est en majorité aliénée plutôt que d’être programmé par la conjoncture.

Pour qu’une alternative démocratique portée par une conscience collective puisse réellement consacrer la liberté et le progrès dans un projet national, il serait inévitable qu’elle soit compatible avec un Etat souverain, désaliéné de l’intrusion du religieux et de l’identitaire. Pour son aliénation par l’intrusion du militaire cette condition est déjà considérée comme acquise avec l’aboutissement de l’exigence principale du Hirak d’un Etat civil.

Dans ce cas, pour pouvoir réaliser une transition vers la liberté, le progrès et la démocratie, il faudra au préalable opérer une révolution ayant pour objectif ces trois souverainetés. A ce propos, la Guerre de libération nationale, qui avait permis l’émergence d’une conscience collective ayant amené la société à s’émanciper de l’emprise coloniale, ne peut être considérée comme une révolution, car l’ordre traditionnel qui lui a permis de s’émanciper de la domination coloniale a été reconduit intégralement après l’indépendance, en maintenant, voire en aggravant par endroits les structures mentales patriarcales et l’imaginaire mythologique religieux et en exacerbant, par ailleurs, les clivages identitaires. D’un côté, la revendication de l’identité amazighe a été pervertie en nationalisme ethnique au détriment de l’Etat nation, du métissage de sa population et de l’aspect transculturel de sa culture et, de l’autre, la revendication religieuse musulmane est devenue un projet théocratique pour la société dans sa totalité et en s’inscrivant dans une idéologie transnationale. Le choix de la langue arabe à l’école, qui s’est opéré sans le souci de traduction du patrimoine culturel universel, a précipité le reflux vers l’imaginaire mythologique religieux. De ce fait, ni l’un ni l’autre de ces clivages ne sont compatibles avec un Etat démocratique.

Tout appel aux consciences pour la construction d’une convergence vers une quelconque alternative démocratique pour un projet national ne pourra faire l’économie de la consécration d’un Etat souverain désaliéné de tous ces clivages qui hypothèquent par leur incongruité la qualité de citoyenneté à tout algérien et à toute algérienne. Seule alternative sérieuse pour faire barrage à toute potentialité de chaos programmé ou structurel.

Y.B.

Ci-dessous le texte cosigné par Lahouari Addi et Djamel Zenati

APPEL AUX CONSCIENCES

La contestation populaire est à son dixième mois. Loin de s’affaiblir, elle ne cesse de s’intensifier et de s’élargir. Elle est installée dans la durée. La longue mobilisation pacifique et unitaire a réussi à faire émerger une nouvelle conscience collective dans le pays. Elle a constitué un rempart solide contre toutes les tentatives de division et de diversion. La détermination sans faille du mouvement a enfin mis en échec les opérations de répression et d’intimidations. Les murs de la peur et du silence sont définitivement brisés et rien ne pourra désormais arrêter les citoyennes et les citoyens dans leur marche pour la liberté et le progrès.

Le commandement militaire, en véritable pouvoir réel, ne semble pas avoir pris la mesure de ce bouleversement profond ni le sens de cette irrépressible aspiration populaire au changement. Otage de paradigmes éculés, il tente par la manière forte de contourner la volonté du peuple.

L’élection présidentielle prévue pour le 12 décembre prochain est inadaptée aux exigences de la situation. Elle est à l’opposé des revendications du Hirak. Le seul but de cette consultation est de garantir la survie du système en place. En effet, le pouvoir réel, en l’occurrence le commandement militaire, est en quête d’une représentation formelle devant lui permettre de poursuivre l’exercice d’une souveraineté confisquée sans avoir à apparaitre ni à rendre des comptes.

En voulant à tout prix imposer une élection massivement rejetée par les citoyennes et les citoyens, le commandement militaire s’inscrit dans la défiance et fait le choix de l’affrontement. Le risque est grand de voir le pays à nouveau plonger dans le drame.

L’évolution qualitative survenue dans l’opinion est incompatible avec le maintien du statu quo ou le retour au régime ancien. La rupture est réelle et demande une traduction politique appropriée. Par leur engagement soutenu, les algériennes et les algériens ont collectivement ressuscité l’utopie libératrice inaugurée par les pères fondateurs de l’Algérie indépendante. Le Hirak est le prolongement logique du mouvement de libération nationale. Ne pas le voir c’est se mettre en marge de l’Histoire. Le Hirak est porteur d’une ambition nationale.

Aussi, le devoir patriotique aujourd’hui commande en priorité à tout un chacun de se mobiliser pour empêcher la tenue de cette aventure électorale. Il commande ensuite de construire les convergences nécessaires à l’élaboration d’une alternative démocratique au chaos programmé. Les énergies du Hirak sont dans ce sens interpellées.

Dans le cas spécifique de notre pays, la première étape de la transition consiste en un transfert de souveraineté du commandement militaire vers le corps des citoyens. C’est une étape incontournable et décisive car elle déterminera tout le reste du processus.

Les algériennes et algériens sont attachés à l’institution militaire. Ils refusent de se projeter dans une opposition avec celle-ci car une telle perspective est absurde et destructrice.

Les officiers supérieurs de l’armée doivent se mettre au diapason des exigences populaires. Il y va de l’intérêt de l’Etat et de l’avenir du pays.

Lahouari ADDI

Djamel ZENATI

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