« Ma personne est sacrée ! » hurlait Jean-Luc Mélenchon devant la porte, fermée par la police en pleine perquisition, accompagné d’Alexis Corbière et des députés LFI remontés, molestés par des agents. La phrase a été l’élément viral dans le flot incessant d’invectives du président du groupe France insoumise à l’Assemblée nationale. Repris, détourné, moqué, Mélenchon est une énième fois devenu un meme. Devant le tollé insoumis s’est ensuivi un tollé médiatique. Sondage appuyés, les médias ont organisés débat sur débat avec des questions telles que « Mélenchon est-il allé trop loin ? », « Mélenchon s’est-il décridibilisé devant les français ? » ; comment expliquer alors la réaction de Mélenchon, et quel message envoie-t-elle ?

D’après le youtubeur « J’suis pas content », elle est tout d’abord dans la logique mythologique de Mélenchon. Pour lui, et c’est certes la définition d’un député, il est le représentant du peuple, mais c’est-à-dire qu’il se voit comme un Jaurès avec une position souvent qualifiée de « tribun », bourgeois ayant choisi par amour du peuple, humanisme, de défendre les plus pauvres, sortant alors d’une logique de classe. Il aurait très bien pu défendre les riches, donc son intérêt, mais a pleinement choisi l’intérêt public, et donc l’intérêt des prolétaires. Pour Mélenchon, ces perquisitions sont donc inacceptables au vu de sa position. Il subit ça comme une attaque directe de Macron qui le rabaisse de cette manière au rang de citoyen, en lui rappelant qu’il n’a aucun pouvoir. C’est pour ça qu’il filme tout et se « met en scène », pour montrer à tous sa colère et son amertume. J’ajouterais même que c’est pour ça qu’il en remet une couche devant les médias, qu’il considère de toute manière non comme les instruments d’information du peuple, mais comme ceux de manipulation de la classe dominante.
Cette nouvelle affaire met clairement en avant la France insoumise comme elle ne l’a pas été depuis les présidentielles. Elle n’a jamais eu une aussi grande place dans le débat public depuis ce dernier événement où elle a émergé, et la tribune dont ils profitent va exiger d’eux la plus grande prudence car si les accusations dont ils sont victimes s’avèrent véridiques, ils risquent de rester dans la conscience collective comme les énièmes menteurs d’un système corrompu. Ce matin, le Canard enchainé a annoncé à paraître dans l’édition de demain un article sur Alexis Corbière, qui selon leur déclaration a fait financer ses travaux immobiliers avec des fonds destinés aux ménages "très modestes". En effet si toutes ces révélations s’avèrent fondées, il ne restera nulle place à l’image mythologique de Mélenchon et de la France insoumise. Le mythe s’effondrera, preuve étant que la politique est définitivement un milieu de malhonnêtes et qu’ils ne sont que des hommes, vénaux et faibles face à l’argent. Cela met en doute la nature légale des financements de la France insoumise et laisse douter sur d’éventuels détournements d’argent public.
Il est évident que le premier à se réjouir d’une telle affaire doit être Emmanuel Macron, qu’on annonce tout fatigué depuis quelques semaines. La communication souriante, fleurie et pleine d’amour qui sent le contreplaqué ne suffit plus à cacher la misère d’un gouvernement incompétent dont les membres fatigués de mentir démissionnent les uns après les autres. Je garde personnellement en mémoire la figure déconfite, presque cramée de Nicolas Hulot à l’annonce de sa démission sur France Inter. Même la Coupe du monde et le sourire des joueurs sur le perron de l’Elysée n’auront suffi à faire oublier la matraque de Benalla. Si la France insoumise est reléguée au même poste que le Parti Socialiste, sous le banc des remplaçants, la gueule dans la pelouse, ça vide la gauche de tout espace politique dans la sphère publique. Nous arrivons donc à l’opposition binaire qui apparaît progressivement dans toutes les démocraties de la planète, « progressistes » contre « populistes », loin du clivage idéologique gauche droite. Macron peut maintenant se consacrer à un seul adversaire : Marine le Pen et l’extrême droite grandissante. Il peut ajuster sa stratégie, depuis la Slovaquie où il était vendredi, il a commencé en tweetant: « Qui a gagné les élections européennes en France ? Le Front National. Qui était au deuxième tour de l’élection présidentielle en France ? Le Front National. Ils sont là les nationalistes. Il faut aller les combattre sur le terrain. » Et hier, après une énième agression homophobe, il a réagi vivement : « Les violences homophobes doivent être une préoccupation pour notre société tout entière. Elles sont indignes de la France. Des mesures concrètes seront annoncées mais ne sauraient remplacer l’humanité et la tolérance qui sont au cœur de notre culture. » Voilà qu’il se fait maintenant le défenseur des droits des homosexuels, récupérant ainsi le terrain de la gauche sociale, les « progressistes » dont Macron se fait le représentant. L’absence d’idéologie d’En Marche permet au Président de saisir le vide laissé par les oppositions détruites et de se les approprier, instaurant tranquillement un nouveau clivage entre lui et le Front national pour les prochaines présidentielles.
Le Front national tente de son côté de rassembler un maximum à droite, pendant que les Républicains radicalisent leur discours derrière Wauquiez pour tenter de récupérer l’électorat du FN. La politique française est plus que jamais un capharnaüm idéologique dont plus personne ne comprend grand-chose, où tout le monde change de nom tous les quarts d’heure pour faire du neuf avec du vieux et où de toute manière la majorité lassée ne veut plus prêter l’oreille, puisque chaque élu semble faire la même chose aux dépens des électeurs. L’ordre établi ne change pas, on garde le même cap alors bientôt, il n’y aura plus que les candidats pour aller voter.