Racisme tout court et racisme social
Longtemps la droite extrême et l’extrême droite ont attaqué de front les populations du pays les plus démunies, celles qui vivent de minima sociaux. Ce fut le cas de Nicolas Sarkozy surtout qui avait annoncé avant son élection de 2007 dans un clip télévisé : « Mes chers compatriotes, je veux que l’on cesse de confondre assistance avec solidarité » et qui eut droit le soir de sa victoire à des viva entrecoupés de : « Halte à l’assistanat ». En 2012, dans sa lettre aux électeurs, il écrit textuellement : « nous avons consacré des milliards à maintenir des gens dans l’assistanat (…), nous l’avons payé d’une défaite financière » ! Entre temps, on avait eu droit à Laurent Wauquiez et à son « cancer de l’assistanat ».
Le Front National ne se privait pas de mener campagne contre les assistés. Tous colportaient contre toute vraisemblance qu’il était préférable de vivre du RSA, plutôt que de travailler. Insulte permanente à l’égard de ceux qui galèrent et auxquels la loi française accorde des droits si minimes soient-ils.
En 2017, vers la fin de la campagne présidentielle, Marine Le Pen a levé le pied en ciblant désormais ses attaques contre les immigrés, en ne citant plus les minimas sociaux, comme si elle espérait trouver là, chez les Français même pauvres, un réservoir de voix (1).
Agrandissement : Illustration 1
Quand Zemmour entre dans la danse, il cible un peu plus que Le Pen les immigrés, les étrangers, les migrants, les réfugiés, enfin tous ceux qui, selon lui, portent atteinte à l’intégrité de la Nation française. Donc quand il attaque les assistés c’est pour cibler encore et toujours les immigrés (c’est ce qu’il a fait dans un discours à Cannes fin janvier).
Mais en meeting à Lille le 5 février, il est parti en guerre contre l’assistanat (« qui paye mieux que l’artisanat »). Dans une région marquée par la destruction de l’industrie, avec chômeurs et citoyens condamnés à l’assistance, il a déclaré qu’ici encore plus qu’ailleurs « l’assistanat est une insulte ». Devant 6000 partisans, le passéiste Zemmour, cherchant à racoler les « classes moyennes » et les « classes populaires », a répété presque mots pour mots ce que disaient il n’y a pas si longtemps Sarkozy, Fillon, ou Dupont-Aignan : « Quand on se lève chaque matin pour aller travailler [...] on n'accepte pas que le voisin vive mieux que soi grâce à des aides sociales sans avoir besoin de travailler ». Évidemment, dans sa logorrhée raciste, la notion d’aides sociales n’est jamais loin de celle d’immigré. Et c’est ainsi qu’il a pour programme, rappelé ce matin sur France inter, de n’accorder la solidarité nationale qu’aux Français (et aux naturalisés qui acceptent de s’assimiler). Le RSA et l’allocation logement ne seront accordés qu’aux Français, a-t-il dit ce matin, alors qu’à d’autres occasions (Le Grand Jury RTL, Le Figaro, LCI du 24 octobre dernier) il y ajoutait les allocations familiales. Ce qui prouve qu’il navigue à vue, espérant provoquer un choc avec des déclarations d’une extrême violence, mais sachant peut-être qu’il dit n’importe quoi. En effet, les allocations familiales et l’allocation logement ou l’APL ne relèvent pas de la solidarité nationale, ne sont pas des aides sociales, mais des allocations abondées par des cotisations sociales.
Pour le moment, Marine Le Pen n’a pas repris le combat contre les assistés : encore à Reims, samedi, elle reste sur une attaque contre Macron, les immigrés et les délinquants, et en défense de la police et de la France rurale. Elle distribue des primes aux ménages français et, comme d’autres, s’est mise à défendre la « déconjugalisation » de l’AAH. Et à s’opposer à Zemmour sur l’inclusion des enfants handicapés, selon elle « une des plus belles réussites françaises ». Elle luttera contre la fraude évaluée à quelques dizaines de milliards d’euros (pas seulement fraude aux prestations sociales, précise-t-elle), avec un ministère spécialisé. Évidemment, on a droit au lieu commun sur les cartes Vital, dont le nombre serait nettement excédentaire (ce qui est régulièrement démenti par la Sécurité sociale mais reste un leitmotiv des propagandistes anti-sociaux). Mais elle n’a rien dit contre les assistés. On n’a cependant aucune garantie que dans sa surenchère avec Zemmour elle ne va pas remettre dans son programme cette attaque en règle contre les pauvres gens bien de chez nous. Si ces porteurs de haine peuvent imaginer que la désignation incessante d’un bouc émissaire étranger est électoralement efficace, la question pour le RN est de savoir si ménager des abstentionnistes est vraiment rentable, alors même que l’opinion publique est sensible à la critique contre l’assistanat et que la droite elle-même ne s’en prive pas (Valérie Pécresse s’est insurgé contre toute idée de RSA pour les jeunes qui les maintiendrait dans l’assistanat).
____
(1) Voir mon article paru dans Le Monde entre les deux tours : Les « assistés ne sont plus une minorité désignée à la vindicte, mais des abstentionnistes qu’on espère voir voter », 25 avril 2017.
Rioufol révisionniste
Agrandissement : Illustration 2
Ivan Rioufol, ʺjournalisteʺ du Figaro, chroniqueur sur la télé d’extrême droite CNews, m’a souvent fait penser à l’écrivain (anti-sémite) Céline. Je ne sais pas bien pourquoi : peut-être, comme pour Houellebecq, à une époque les cheveux gras, l’élocution hésitante, sinon balbutiante, ou cette façon nonchalante d'exprimer la haine… En volant au secours de son gourou adulé, le Dr Didier Raoult, qui considérait qu’on ne pouvait enfermer les gens en « camp de concentration » pour lutter contre l’épidémie, il vient de confirmer son irresponsabilité en proférant des propos bien plus graves que ceux qu’il tient en considérant à longueur d’émission que la Covid n’est qu’une grippette et que les vaccins sont inutiles sinon dangereux (sans qu’aucune poursuite judiciaire ne soit lancée contre CNews, véritable danger public). Dénonçant la « dictature sanitaire », Rioufol a fait lien avec le ghetto de Varsovie, conçu selon lui pour protéger les Allemands et les Varsoviens du typhus ! Alors même qu’il s’agissait là du début du projet concentrationnaire des Nazis, avant déportation vers les camps de la mort. En passant, ils comptaient bien sur l’épidémie de typhus, quitte à la provoquer, afin d’anticiper l’extermination de ces Juifs polonais.
Quand on accuse Zemmour d’être antisémite, lui qui déroule des thèses révisionnistes (éventuelle culpabilité de Dreyfus et innocence de Pétain qui n’aurait « que » voulu déporter les Juifs étrangers), Rioufol et son alter-ego sur CNews GW Goldnadel s’insurgent : comment peut-il être antisémite puisqu’il est juif ? C’est ainsi que l’extrême droite, foncièrement raciste, progresse : en s’appuyant sur un chroniqueur juif, jusqu’au jour où elle le jettera, car ne se contentera plus d'un déversement de haine envers les seuls Musulmans.
Le commentaire de Rioufol est fondamentalement antisémite : dans la ligne de Darquier de Pellepoix, ancien commissaire général aux questions juives sous Vichy, complice de la déportation vers les camps de la mort, qui s’était réfugié dans l’Espagne de Franco et qui déclarait en 1978 que les chambres à gaz n’avaient servi qu’à tuer des poux.
Faut-il rappeler que ce Rioufol, chouchou de Bolloré, s’interrogeait en novembre dernier pour savoir s’il fallait tirer ou pas sur les réfugiés, victimes des manipulations du dictateur Loukachenko, à la frontière de la Biélorussie et de la Pologne ?
[4 février]
____
J’ai envoyé ce texte à Ivan Rioufol qui m’a répondu laconique : « votre propos est idiot. je dis l'inverse ». Rappel : il n’a pas dit que les Nazis avaient justifié l’enfermement dans le ghetto sous prétexte de prévenir une éventuelle épidémie (ce qui serait également faux), il a évoqué l’ « hygiénisme nazi », disant sans ambiguïté que les Allemands avaient enfermé les juifs « contaminés » dans le ghetto. Même au Figaro des journalistes (SDJ) se sont inquiétés dans un communiqué.
Alors que plusieurs prises de positions dénoncent la falsification de l’histoire par Zemmour (voir le tract Gallimard Zemmour contre l’histoire et le livre de Laurent Joly, ci-dessous), on aura noté que ce matin sur France inter (7 février), le polémiste raciste candidat à la présidentielle (qui s’insurge contre tous les discours antiracistes y compris à l’école) a affirmé qu’ « il n’y avait pas de consensus historique » et revendiqué que l’on puisse procéder à des « révisions fréquentes ».
La falsification de l’histoire
« Avec une apparence de paix, la France est en guerre civile (…). L’abaissement de notre natalité, l’épuisement de notre énergie (…) déterminent l’envahissement de notre territoire et de notre sang par des éléments étrangers qui aspirent à soumettre les éléments nationaux (…). Aujourd’hui, parmi nous, se sont glissés de nouveaux Français que nous n’avons pas la force d’assimiler (…) et qui veulent nous imposer leur façon de sentir. Ce faisant, ils croient nous civiliser ; ils contredisent notre civilisation propre. Le triomphe de leur manière de voir coïnciderait avec la ruine réelle de notre patrie. »
Ce texte aux relents nauséabonds pourrait être signé aujourd’hui par Éric Zemmour à l’encontre des Musulmans : il est en réalité de Maurice Barrès et date de 1900. Zemmour se dit attaché à ces auteurs, qui inspirèrent Vichy : Barrès et Maurras, qui voulaient expulser ces « nouveaux Français » qu’étaient les Juifs. Laurent Joly, historien, explique très bien cela dans une interview parue dans Le Monde du 6 janvier (interviewé par Antoine Reverchon). Il vient de publier : La Falsification de l’histoire : Eric Zemmour, l’extrême droite, Vichy et les juifs (Grasset).
Zemmour réhabilite Pétain non seulement pour plaire à une extrême droite pétainiste toujours bien présente en France mais aussi délibérément pour justifier son projet d’atteinte aux libertés publiques et d’expulsion de 2 millions d’immigrés, à la manière des autorités de Vichy, qui allaient parfois au-devant des attentes des occupants nazis. L’extrémiste de droite, avec ses mensonges grossiers sur Pétain et Laval, qui auraient sauvé des Juifs, alors que lui et ses thuriféraires (comme le polémiste d’extrême droite de CNews, G.W. Goldnadel) s’en défendent, déroule une propagande antisémite normalement interdite en France. Ce qu’il dit de Vichy aurait pu déjà entraîner des poursuites judiciaires, mais il joue sur ses origines « juives berbères », selon ses propres mots, avec un culot phénoménal quand on sait que l’extrême droite dont il se réclame pourfendait le décret Crémieux de 1870 qui a accordé aux Juifs d’Algérie la nationalité française, car ils les considéraient comme des « "indigènes" (…) jugés primitifs, inassimilables » (L. Joly), comme les Musulmans qui n’avaient aucun droit.
Il est plus qu’inquiétant que Valérie Pécresse, le 8 janvier au soir, dans l’émission de Ruquier (France 2) ait pu dire que Zemmour se situait entre la droite et le RN de Marine Le Pen. Il va de soi que le RN est un parti dangereux, mais les Zemmouriens tiennent un discours fascisant bien pire. Mais peut-être faut-il ménager Éric Ciotti qui n’a pas caché son soutien à Zemmour. Du coup, c’est la débandade : Guillaume Peltier, un dirigeant LR, certes ancien du Front National, vient d’adhérer à Zemmour, qui l’a aussitôt propulsé porte-parole. Faut-il rappeler que le 26 septembre, Christian Jacob, le patron des LR a déclaré tout de go que Zemmour n'était ni raciste ni d'extrême droite ?
[9 janvier]
Agrandissement : Illustration 4
. voir le n°34 des tracts Gallimard : Zemmour contre l’histoire (Alya Aglan, Florian Besson, Jean-Luc Chappey, Vincent Denis, Jérémie Foa, Claude Gauvard, Laurent Joly, Guillaume Lancereau, Mathilde Larrère, André Loez, Gérard Noiriel, Nicolas Offenstadt, Philippe Oriol, Catherine Rideau-Kikuchi, Virginie Sansico et Sylvie Thénault).
. voir Les historiens debunkent Zemmour : à partir du document précédent, Manon Brill présente avec talent les différentes falsifications de Zemmour.
Naulleau zémmourien
S’il fallait démontrer à quel point le débat public dérive et à quel point des commentateurs qui se prétendaient de gauche ou prétendent l’être toujours ont basculé dans l’ignominie et, finalement, dans la bêtise pure et simple, cet exemple suffirait. Éric Naulleau, tout guilleret, proclame que sur plusieurs points il est en désaccord avec Zemmour (encore récemment chez Hanouna), mais ne cesse d’afficher sa sympathie, son amitié pour le polémiste raciste, candidat d’extrême-droite à la présidentielle. Ici, non seulement il fait un parallèle ridicule, mais, de fait, il réhabilite les crimes du stalinisme. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir des fans.
Sac de noeuds
Il est de bon ton dans la plupart des partis politiques de rendre hommage au Général de Gaulle. Parmi les raisons à cela on retient surtout la France Libre. Mais on n’oublie pas la façon dont il a géré la fin de la guerre d’Algérie et comment il a cautionné la création et le fonctionnement du SAC, Service d’Action Civique, constitué de barbouzes qui l’ont aidé non seulement à se débarrasser de l’OAS mais aussi à s'en prendre aux opposants de gauche (communistes ou extrême gauche). Ce service d’ordre avait parmi ses adhérents (le Sac en vrac) : des anciens résistants, des policiers, des militaires, des magistrats, des truands, et des personnalités comme Jacques Foccard (de la Françafrique) et Charles Pasqua (l'inénarrable ministre de l'intérieur, impliqué dans tant de mauvais coups). Les moins de 40 ans ne peuvent pas se souvenir : tout cela a fini par un massacre de toute une famille à Auriol en 1981 et par la dissolution de cette organisation criminelle sous Mitterrand (sans qu’il soit certain qu’il n’ait pas continué à fonctionner encore quelque temps).
Agrandissement : Illustration 6
Fabrice Drouelle a consacré hier une émission très instructive sur le sujet sur France Inter. Il faut bien comprendre qu’il fut un temps où une telle émission aurait été interdite (sous De Gaulle, bien sûr, mais aussi sous Pompidou et certainement sous Giscard). Quand le Général perd le référendum de 1969, ordre est donné de vite planquer les armes entreposées au sous-sol de ses bureaux au 5 de la rue Solférino, et d'évacuer et détruire les archives.
Au lendemain de la mort de Pompidou, en 1974, je me souviens des exactions du SAC dans le département rural où je vivais. On militait dans une mouvance proche du PSU, et nous fûmes matraqués par les nervis du SAC (coups de nerfs de bœufs, de piquet de clôture, voiture renversée) qui œuvraient pour l’équipe de Chaban-Delmas. L’enquête lancée par la police évidemment tourna court dès que Giscard fut élu. D’ailleurs le mentor de ces gens-là était un industriel qui finançait leurs actions (parfois ils sortaient les flingues) et qui sera plus tard secrétaire d’État à la Défense de Giscard ! Quand Libération révéla qu’en mai 1968, le SAC avait voulu arrêter des militants d’extrême gauche, avec des listes portant tampons de la DST, avec des amis nous procédèrent à un collage d’affiches aussitôt enlevées par le SAC. Alors on recommença l’opération très tôt le matin pour que les 100 affiches fournies par Libé ne soient pas arrachées. Et elles restèrent des semaines durant. C’est sûr qu’on se souvenait du drame du Chili, et des militants de gauche détenus dans des stades. Mais on ne prête qu’aux riches, car il s’avéra que ce scoop avait certainement été monté... par un ancien du SAC. Il n’empêche que pendant quelques années (jusqu'en 1981), le SAC cherchait à nous intimider lorsque l’on collait le soir des affiches.
[4 février]
. Le S.A.C. sous de Gaulle, France Inter, Affaires sensibles de Fabrice Drouelle, le 3 février.
. Excepté la première chronique, sur l’assistanat, les autres sont parues sur mon compte Facebook.
Billet n° 658
Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et là. "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 600.
Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup