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Billet de blog 19 juin 2016

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Les inégalités: que faire?

L'Observatoire des inégalités, organisme indépendant, publie ce lundi 20 juin un ouvrage qui regroupe les contributions de 30 chercheurs : ils font des propositions, à un an de la présidentielle, sur les mesures à prendre non pas pour supprimer mais au moins pour réduire les inégalités, criantes dans notre pays.

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J'ai évité le terme "experts" utilisé en présentation du rapport de l'Observatoire, car nous assistons dans certains débats télévisés à tellement de charlatans venant débiter leur idéologie néolibérale, le plus souvent sans étude aucune de ce que sont réellement les inégalités dans notre pays. Dans ce document, ce sont de vrais experts qui s'expriment : ils travaillent sur le thème qu'ils abordent, ce qui explique qu'ils ne sont jamais ou que très rarement invités sur les dits plateaux de télévision.

Dans des textes relativement courts, sont égrenées diverses thématiques : école, jeunesse, formation professionnelle, services publics, santé, logement, impôts, pauvreté, richesse, emploi, entreprises, parité, justice, discrimination, citoyenneté, culture. Et selon les disciplines suivantes : économie, sociologie, science politique, démographie, ce qui confère à cette publication un sérieux indéniable surtout lorsque l'on trouve par exemple parmi ces collaborateurs des auteurs comme Christophe Ramaux, Denis Clerc, Jean Gadrey, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Guillaume Duval. Tout au plus, l'auteur de ces lignes regrette qu'aucun professionnel du social ou représentant d'associations actives sur le terrain ne s'exprime sur ce qui lui paraît les injustices les plus flagrantes et sur les possibilités concrètes d'y remédier. Mais la rigueur scientifique du document était sans doute à ce prix.

Illustration 1

D'entrée de jeu, Patrick Savidan, président de l'Observatoire, plante le décor avec cette interrogation : "Pourquoi fait-on si peu ?", contre les inégalités. On est assez nombreux à être conscients que notre société est percluse d'inégalités mais on ne fait pas grand-chose pour que cela change. Il est possible que l'on espère, confusément, que, malgré tout, les inégalités se résorberont, car la richesse de ceux d'en-haut va finir par ruisseler sur ceux d'en bas. Mais le système est figé, car toute tentative de solution se confronte à des "stratégies de conservation du pouvoir". Il interroge les processus qui conduisent à tolérer les inégalités, en favorisant des "comportements inégalitaires", cette réflexion étant un passage obligé si l'on veut miser sur la coopération plutôt que sur la compétition.

Louis Maurin, directeur de l'Observatoire, avec Nina Schmidt, précise que ce livre n'est pas un programme politique mais une boîte à idées. Selon lui, réduire les inégalités, n'est pas une question de moyens, mais de choix politique. On retrouve dans son texte ce qui caractérise ce chercheur : ne pas tomber dans la démagogie. Comme par exemple, refuser de s'en prendre seulement aux riches : les inégalités, ce ne sont pas que les revenus exorbitants des 1% les plus aisés. Tomber dans ce travers, c'est une façon facile d'éviter une réflexion globale sur les inégalités et la solidarité. Louis Maurin a aussi, ailleurs, préféré parler d'un seuil de pauvreté à 50 % du revenu médian (plutôt qu'à 60 %, qui a pour effet de faire passer beaucoup plus de monde sous le seuil de pauvreté, mais du coup à banaliser la situation des plus pauvres). Il conclut que l'élite tant de gauche que de droite n'a aucun intérêt à ce que cela change. Il ironise à juste titre sur les couches sociales qui se "gavent de principes et profitent de la loi du plus fort", tout en prônant l'égalité des chances.

Louis Maurin cite son article paru sur le site de l'Observatoire le 20 avril 2012 (1), donc à la veille du premier tour de la présidentielle. Il considérait alors qu'il fallait augmenter les impôts et pas uniquement sur les "super-riches". Aujourd'hui, dans le rapport que je commente, il estime que " la gauche a menti sur son programme de réforme fiscale et s'est pris les pieds dans le tapis démagogique du "faire payer les riches". Il ajoute : "seuls à faire un effort, ils [les riches] se sont insurgés comme cela était prévisible". Là, je me permets un bémol : en effet, si les mesures fiscales du début du quinquennat Hollande ont ponctionné proportionnellement davantage les plus hauts revenus, elles ont touché très largement la population. Ce ne sont pas seulement les classes aisées et moyennes (et même "moyennes moyennes") qui ont été touchées : des citoyens non imposables se sont retrouvés à devoir payer des impôts (quitte à en exonérer un grand nombre deux ans plus tard). Ce fut non seulement le maintien du gel du barème mais aussi la suppression brutale de la défiscalisation des heures supplémentaires touchant 9 millions de personnes dont une bonne partie dans les classes populaires (mesure qui était justifiée, mais qui aurait due être appliquée progressivement). C'est une des grandes fautes du quinquennat.

Réjane Sénac estime que l'égalité est un principe, juste et fondamental : on n'a pas à démontrer son efficacité selon la loi du marché. Bernard Lahire paraphrase une formule qui, ces derniers temps a fait florès : "comprendre les inégalités n'est pas les excuser". Il écrit : "nos sociétés sont historiquement, structurellement hiérarchisées, stratifiées et les structures inégalitaires s'observent partout". La sociologie mettant au jour les rapports de domination et d'exploitation agace les détenteurs de privilèges. Constater ces inégalités foncières ne consiste nullement à faire de l'idéologie ou de la politique : sinon il faut reprocher à Galilée d'être un idéologue anti-religieux.

Il regrette que la sociologie ait eu tendance, après avoir longtemps été critique sur la question des inégalités, à délaisser quelque peu ce terrain. Et de faire allusion à ces sociologues, sans les nommer, qui se sont attachés aux représentations (à la capacité des acteurs) ou à ceux qui se seraient davantage interrogés sur ce qui "relie" que sur ce qui "différencie" ou "oppose" : allusion à peine voilée à l'ouvrage collectif Ce qui nous relie, qui, me semble-t-il, n'avait pas pour intention de nier les différences ou les injustices, mais, face au thème récurrent de la "rupture du lien social", de dire comment ce lien se reconstruit différemment, et comment "il est possible, à nouveau, de faire du commun" (2).

Christophe Ramaux note que "le néolibéralisme qui s'est imposé au début des années 80 a cherché à remettre en cause l'état social". Il y est parvenu mais que partiellement, car la dépense publique a continué à progresser et la redistribution, quoi qu'on en dise, reste massive. Il invite à se méfier du discours libéral misérabiliste qui voudrait réserver les prestations aux plus pauvres : pour que les autres aillent vers les fonds de pension et les assurances privées. Il rappelle ce fait d'évidence, si peu cité dans les médias : les pauvres coûtent relativement peu chers, 10 milliards d'euros pour le RSA contre 300 pour les retraites.

Illustration 2
Geluck

Jean Gadrey se prononce pour une lutte efficace contre l'évasion fiscale qu'il évalue entre 30 et 50 Mds€ (tandis que plus loin les Pinçon-Charlot parlent de 80Mds, l'équivalent du déficit public). Gadrey dresse une liste de réformes concrètes souhaitables : supprimer les niches fiscales (y compris le CICE et le Pacte : 46 Mds€ par an), établir un barème progressif au-delà de 45 % (rappel : le taux marginal était de 65 % en 1986), imposer davantage les grands groupes (le CAC40 n'est qu'à 8 %), fusionner l'impôt sur le revenu et la CSG, supprimer le quotient familial de l'impôt sur le revenu, renforcer la fiscalité sur le patrimoine. Quant aux Pinçon-Charlot, ils lancent leur mot d'ordre : "il faut bousculer l'ordre établi", imposer un seuil de richesse, rendre le vote obligatoire et accroître la transparence avec présence de salariés dans les conseils d'administration : "pour tricher heureux, il faut en effet tricher cachés".  

Guillaume Allègre (co-auteur d'un rapport sur le sujet à Terra Nova) suggère la création d'un "capital-formation" pour les jeunes du montant du RSA brut (520 €) pour financer études ou formation continue pendant trois ans (au-delà : instaurer des prêts, remboursables dès que les revenus atteignent un certain seuil). Camille Peugny va un peu dans le même sens en proposant un dispositif universel d'accès à l'autonomie des jeunes (comme au Danemark où est versée une allocation de 800 €).

Denis Clerc, le fondateur d'Alternatives Économiques, souhaite que soit sanctionné le recours abusif aux contrats précaires (solution que la loi Travail, comme on le sait, n'a pas retenue). Tout en notant l'importance de l'emploi pour se démarquer du revenu de base, thème à la mode, il suggère que le temps de travail devrait être réduit sans clairement l'affirmer. Guillaume Duval, rédacteur en chef d'AlterÉco, se prononce, entre autres, pour un salaire maximum et la suppression du statut de toute puissance des PDG (il se réfère pour cela à sa connaissance du système allemand, qui, dans ce cas, pourrait être imité).

Illustration 3
Illustration extraite du rapport

D'autres textes sont consacrés aux inégalités hommes-femmes, aux étrangers, à la discrimination, à la justice (avec Laurent Mucchielli), au logement (avec Manuel Domergue qui en appelle à une révolution fiscale de l'immobilier).

Julien Damon s'interroge sur les prestations sociales qu'il faudrait unifier. Il évoque l'éventualité d'une allocation sociale unique, d'un distributeur unique de prestations et sur l'unification souhaitable des droits connexes. Ce souci d'unité se fonde sur le fait que la protection sociale serait devenu "une boîte noire" : "il faut simplifier un système qui devient fou", à force de "crachouillis" législatifs. Les principaux destinataires, les usagers, n'y comprennent rien d'où le fait qu'ils ne demandent même pas certaines prestations auxquelles ils ont droit. Je suis partagé quant à cette analyse : car à la fois je ne peux que constater une prolifération exponentielle de la législation sociale (au point qu'il est quasiment impossible de suivre l'actualité et de s'y retrouver entre une loi sur le vieillissement, sur l'enfance, sur le chômage zéro dans les territoires, et tout ce que décline la loi de finance ou la loi de financement de la sécurité sociale), tout en considérant que lorsqu'Agnès Verdier-Molinié en ultra-libérale convaincue, vient proclamer à la radio ou à la télé, qu'il ne faudrait plus qu'une seule prestation sociale et un seul organisme social (la CAF au hasard) pour les prestations en espèce et les actions d'accompagnement, on mesure que son souci de simplification est manifestement dû à sa connaissance simpliste du secteur.

De façon générale, il faut bien avouer qu'il est plus facile de démontrer les inégalités et de les dénoncer, que de proposer des solutions concrètes. Certainement parce que les réponses ne peuvent pas être à la petite semaine et nécessitent des réformes, sinon des (r)évolutions, de grande amplitude. Nombreux contributeurs lancent cependant dans cet ouvrage de l'Observatoire des inégalités des pistes qu'il importe de creuser et de mettre en avant dans le contexte politique actuel.

Illustration 4
Urban Street Art

Lors de débats nombreux aujourd'hui, ici ou là (comme à Nuit Debout), le thème du revenu universel ou revenu de base, ou salaire à vie revient régulièrement sur le tapis. Les libéraux en économie ne l'accepteront que dans la mesure où ce sera selon des modalités qui serviront leurs intérêts. Donc, nous sommes dans une revendication utopiste (ce qui ne signifie pas qu'elle ne doit pas être mise en avant). Par contre, je pense que, dans la mesure où la durée globale de travail à l'échelle du pays ne varie quasiment pas depuis des décennies (41 milliards d'heures travaillées en 1974 ; 39,3 en 2000 ; 40,3 en 2014), alors que la population s'accroit régulièrement chaque année (y compris, bien sûr, la population active), la réduction du temps de travail est un objectif incontournable. Ceux qui font mine de se préoccuper du chômage en prônant une baisse des coûts salariaux et de protection sociale, sans émettre la moindre idée sur la baisse de la durée du travail, pire, en réclamant son allongement, se satisfont en réalité de la situation sociale catastrophique.

Par ailleurs, 450 € de RSA pour une personne seule sans ressources ne permet pas de vivre : ce minima social doit impérativement être augmenté. Donc, réduire les inégalités c'est, entre autres, revendiquer un SMIC et un RSA plus élevés.

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(1) Faire payer les riches : un consensus démagogique

(2) Coordonné par André Micoud et Michel Peroni, éditions de l'Aube, 2000.

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Que faire contre les inégalités ? L'ouvrage de 124 pages est publié grâce à un financement participatif pour lequel se sont mobilisés près de 400 citoyens. Pour commander l'ouvrage (7,50 € hors frais d'envoi) : ici.

Les auteurs, dont plusieurs font partie du conseil scientifique de l'Observatoire, sont : Guillaume Allègre, Gwénaële Calvès, Denis Clerc, Julien Damon, Jean-Paul Delahaye, Manuel Domergue, Olivier Donnat, Marie Duru-Bellat, Guillaume Duval, Nicolas Framont, Jean Gadrey, Pierre-Noël Giraud, Bernard Lahire, Danièle Lochak, Louis Maurin, Françoise Milewski, Julie Minoc, Laurent Mucchielli, Marco Oberti, Camille Peugny, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Christophe Ramaux, Cédric Rio, Patrick Savidan, Nina Schmidt, Réjane Sénac, Patrick Simon, Pierre Volovitch.

Bibliographie :

L'édition est fournie en ouvrages sur les inégalités : la quasi-totalité les combattent. Bien rares sont ceux qui tentent de les justifier (excepté Eric Brunet, voir mon texte Non au racisme anti-pauvres et Frédéric Georges-Tudo, voir mon texte Pauvres de nous : les riches ne sont pas aimés !).

Je liste ci-dessous quelques ouvrages, bien loin de représenter tout ce qui se publie sur le sujet :

. Inégalités, par Anthony B. Atkinson, préface Thomas Piketty, Le Seuil, 2016. Taxer les plus riches c'est bien mais ça ne suffit pas : il y a bien des mesures à prendre, que l'ouvrage explore, pour réduire l'inégalité.

. Voulons-nous vraiment l'égalité ?, par Patrick Savidan, Albin Michel, 2015. Ouvrage fouillé qui approfondit cette question cruciale de notre rapport à l'inégalité : cette façon de vouloir et de ne pas vouloir l'égalité.

. La préférence pour l'inégalité, Comprendre la crise des inégalités, François Dubet, Le Seuil, 2014.

. Inégalités, pourquoi elles s'accroissent ? Comment les combattre ?, revue Sciences Humaines (février 2015). Dans mon billet La solidarité à rude épreuve, j'ai traité de cette revue et de l'ouvrage de François Dubet.

.  Les inégalités, sous la direction de Jean-Paul Fitoussi et Patrick Savidan, revue Comprendre, PUF, n° 4, 2003. On ne peut attendre de l'économie de marché qu'elle assure la survie de la totalité de la population. Pour fournir des ressources suffisantes aux individus, l'intervention de l'État est indispensable.

.  Inégalités et justice sociale, sous la direction de François Dubet, revue Recherches, La Découverte, 2014. De nombreux auteurs creusent la question, comme celle-ci : Croissance des inégalités, effacement des classes sociales ?

Illustration 5

. L'Observatoire des inégalités : voir son site publiant régulièrement des articles sur le sujet, véritable mine d'informations (www.inegalites.fr).

Billet n° 266

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  [Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Voir présentation dans billet n°100. L’ensemble des billets est consultable en cliquant sur le nom du blog, en titre ou ici : Social en question. Par ailleurs, tous les articles sont recensés, avec sommaires, dans le billet n°200]

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