La scandaleuse assimilation de l'anti-sionisme à de l'antisémitisme
- 3 déc. 2019
- Par Yvon Quiniou
- Blog : Le blog de yvon quiniou
La scandaleuse assimilation de l’anti-sionisme à de l’antisémitisme
Nous voilà à nouveau en présence d’une insupportable déviation du sens des mots. Dans un contexte, pas seulement français d’ailleurs, où des manifestations diverses de racisme se multiplient, voici qu’on se réfère à une déclaration officielle de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA) pour attaquer ceux qui, fort légitimement et même courageusement, critiquent la politique de l’Etat d’Israël vis-à-vis de la Palestine et des palestiniens et, spécialement, l’occupation de la Cisjordanie, avec le traitement inhumain infligé à ses habitants. Or cette critique, si elle peut être, chez certains, la manifestation d’un racisme anti-juif ancien et masqué, n’est pas en elle-même une forme quelconque de racisme visant, au demeurant, une race imaginaire – et je peux en témoigner, si on me le permet, sur mon propre cas, étant un anti-raciste inconditionnel et soutenant des revendications de l’Etat palestinien. Le drame et même le scandale résident justement dans la déclaration en question qui affirme que « les actes antisionistes peuvent occulter des réalités antisémites » et, surtout, dans le prolongement radical et inadmissible qu’en a donné Macron (car la formulation précédente reste mesurée avec le verbe « peuvent ») en affirmant carrément, suite à un incident arrivé à Finkielkraut, que l’antisionisme constitue « une des formes modernes de l’antisémitisme ».
Ce propos, par sa radicalité et son absence de nuances, est inadmissible tant intellectuellement que moralement. Il revient à assimiler sans raison la critique justifiée de la politique étrangère de l’Etat hébreu, dont la légitimité n’est en rien remise en question, à un racisme visant sa population. Or ce sont là deux choses tout à fait différentes, relevant de deux approches hétérogènes et l’une, la critique politique, ne contient pas nécessairement l’autre, la haine d’un peuple, et projeter celle-ci sur celle-là relève d’un mensonge (conscient ?) et d’une manipulation du langage qu’on ne saurait tolérer dans la bouche d’un président de la République, dont on a cru qu’il se réclamait autrefois des valeurs de la gauche, dont l’honnêteté intellectuelle dans les débats fait partie !
Mais je voudrais étendre mon propos, vu la conjoncture idéologique que nous connaissons. Cette accusation de racisme à propos d’une simple critique idéologique ou politique, me fait penser naturellement à ce qui s’est passé à propos de l’islam et de l’islamophobie : la critique de la religion islamique, parfaitement fondée selon moi – car cette religion est la plus réactionnaire qui soit à tous point de vue (j’ai étudié le Coran en détail) – ne peut être assimilée en quoi que ce soit à un racisme anti-musulman ou, plutôt, car les musulmans ne constituent pas une race (ni les juifs), à un racisme anti-arabe. Sa critique est de droit dans une démocratie laïque comme l’est la critique des autres religions ou de l’incroyance et Henri Pena-Ruiz a eu raison de le souligner… quitte à se faire traiter de raciste islamophobe, comme moi au demeurant, injure tout a fait invraisemblable et infamante. Or, de même, dans le rapport à la religion juive on a parfaitement le droit de dénoncer son contenu doctrinal ou ses pratiques cultuelles, (comme ceux de la religion catholique au vu de ce qu’elle a été) sans pouvoir en rien être accusé de « racisme antijuif ». Cette assimilation, une fois de plus, d’un examen critique, théorique et pratique, à du racisme relève d’une fantasmagorie malsaine… dont il faudrait alors dénoncer la présence chez ce grand philosophe émancipateur que fut Spinoza, qui a en paya d’ailleurs le prix en son temps !
Concluons. Tout cela témoigne, hélas, d’une dégradation lamentable du débat démocratique, avec des glissements sémantiques d’où la réflexion rationnelle a disparu. Il est dommage que, au-delà des milieux croyants dont notre président se fait de plus en plus le porte-parole irresponsable, la gauche elle-même soit gagnée par ce virus, avec les dangers qu’il comporte pour le vivre-ensemble. N’oublions pas ce propos de Goya : « Le sommeil de la raison engendre des monstres » !
Yvon Quiniou
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