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Billet de blog 23 janvier 2021

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Lettre ouverte à mon psy-violeur (suite) 3

Comme s’il avait fallu me violer pour que cela ne m’arrive jamais dans ce que tu nommais « la vraie vie ». Mais est-ce que dans une auto-école, il y a un cours qui consiste à se prendre un mur à 70 km/h sans ceinture ? Non. Et pourquoi non ? Parce que ça tue.

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Ce qui rend si « complexe » cette histoire et tu n’as cessé de « jouer » là-dessus durant les deux procès, c’est que je n’étais pas une enfant. J’étais une adulte, une étudiante en master de philosophie, une musicienne. Je t'entends encore dire "écoutez, madame le juge, ce n'est qu'un simple flirt entre deux adultes consentant !". Comme si le fait d'être adulte me rendait nécessairement consentante.

Mais surtout, je n’étais pas novice dans le travail thérapeutique, loin de là. Je connaissais les notions de « transfert », de « projection », de « refoulement », je connaissais très bien l’attachement que je pouvais ressentir à l’égard d'un psychologue, puisque tu n’étais pas le premier. Et l’interdit du passage à l’acte était gravé dans mon esprit.

Alors, comment est-ce arrivé ? Tu n’as pas inscrit des principes sur une page vierge, tu as posé des principes de protection que tu prétendais m'avoir appris à respecter pour moi-même, tout en les transgressant au fur et à mesure, comme pour en vérifier la solidité, du moins c’est comme ça que tu le justifiais « après-coup ».

Comme s’il avait fallu me violer pour que cela ne m’arrive plus jamais dans « la vraie vie ». Mais est-ce que dans une auto-école, il y a un cours qui consiste à se prendre un mur à 70 km/h sans ceinture ? Non. Et pourquoi non ? Parce que ça tue. Et donc, je tiens à te le dire aujourd’hui, on ne viole pas une jeune-femme pour lui apprendre à ne pas se faire violer. On ne met pas les mains d’un enfant sur un barbecue pour lui apprendre à ne pas se brûler. On ne frappe pas une femme pour lui apprendre à éviter les coups, on ne détruit pas un enfant pour lui faire comprendre ce qu’est la vie. On ne détruit pas quelqu’un pour qu’il fasse l’expérience de la résilience. On n’aliène pas un esprit pour qu’il se mette à écrire et pouvoir ensuite s’attribuer les mérites de son talent. On ne dit pas à quelqu’un de se protéger tout en lui ordonnant de faire tomber ses protections.

Je sais que dans ton rôle d’accompagnateur psycho-social dans l’association où tu travaillais par ailleurs, les démarches quotidiennes que devaient faire les jeunes dont tu t’occupais étaient pour toi prétexte à analyse. Tu parlais de « quiproquo ». Là où l’adolescent pensait simplement être en train de chercher un appartement, en réalité, il te donnait, à travers son discours et son attitude dans cette recherche, du "matériel psychique" qui ne serait selon toi, pas ressorti d’une séance « classique » dans un bureau et s’il avait su que tu étais psy. Parce que l’adolescence est par nature « transgressive » dis-tu, et donc, ne peut pas « se dire » dans un cadre aussi « stricte » que celui de la thérapie. C’est ce que tu disais et tu n’as cessé de me dire à quel point j’étais encore une adolescente sur le « plan affectif ». Tu te vantais auprès de moi de cette méthode que tu utilisais avec ces jeunes et que soutenait l’association, en me démontrant en quoi le simple discours dans un cabinet, ne permettait pas une réelle « mise en mouvement » de la dynamique relationnelle nécessaire à l’efficacité d’une thérapie. Parce que dans un cabinet de psy, le patient met en place des « résistances ». Il y a plein de filtres qui recouvrent son discours. Et tu me berçais avec cette idée que pour trouver ce qui n’allait pas, il fallait faire apparaître ces aspects « dissimulés », ces « affects refoulés », qu’ils viennent se réactualiser dans la relation thérapeutique.

Mais si le fait de faire ton travail d’analyse dans la vie quotidienne des adolescents que tu accompagnais, te permettait d’accéder à un contenu psychique plus « spontanément », tu as commis l’erreur (je suis gentille en parlant encore "d'erreur") de me faire croire, que ton cabinet pouvait devenir un lieu de manifestation « en acte » du contenu psychique de la patiente que j’étais. Pour cela, il fallait que moi-même je fasse de ce lieu, le lieu de mon inconscient, et que toi tu sois l’objet variable sur lequel je pourrais projeter tous mes affects, positifs, comme négatifs. Sur le papier, sur le moment, théoriquement et naïvement, je trouvais ça intéressant.

Mais, comme tu n’es pas un objet, tu t’es tout simplement incrusté dans ma vie psychique en y posant TON désir, là, bien au milieu de la pièce. Ainsi, tu n’as laissé aucune place à la « mouvance » de ce que tu pouvais représenter pour moi. Pas de place pour faire varier l’objet. Tu avais décrété que tu étais l’objet de mon désir sexuel inconscient et puis c’est tout. A tel point que chaque fois que je manifestais le fait de ne pas te désirer, tu disais que c’était juste que je n’avais pas encore fait tomber assez de résistance pour laisser venir ce désir. J’étais encore « trop adolescente », trop "victime d'inceste".

Sais-tu que même Freud il y a cent ans, avait déjà compris qu’il ne pouvait pas incarner de « rôle », que c’était le patient qui déterminait la place à laquelle il mettait l’analyste, mais qu’à aucun moment ce dernier ne pouvait ni ne devait devancer les projections potentielles de sa patiente ? Ainsi, en parlant de Dora qui a mis fin à sa cure prématurément, il se demandait : “Serais-je parvenu à retenir la jeune fille si j’avais moi-même joué vis-à-vis d’elle un rôle, si j’avais exagéré la valeur qu’avait pour moi sa présence et si je lui avais montré un intérêt plus grand, ce qui, malgré l’atténuation qu’y eût apporté ma qualité de médecin, eût un peu remplacé la tendresse tant désirée par elle ? Je ne sais.” Et il poursuit : “Comme une partie des facteurs qui s’opposent à nous en tant que résistance nous restent, dans tous les cas, inconnus, j’ai toujours évité de jouer des rôles et me suis contenté d’une part psychologique plus modeste. Malgré tout l’intérêt théorique, tout le désir qu’a le médecin d’être secourable, je me dis qu’il y a des limites à toute influence psychique et je respecte de plus la volonté et le point de vue du patient”. Cinq psychanalyses (1935)

« Une partie des facteurs qui s’opposent à nous en tant que résistance nous restent inconnus ! » S’il y a des résistances, c’est qu’elles ont une raison d’être et on ne peut pas les faire tomber sous la violence !

Je suis loin de maîtriser le sujet, mais s’il y a bien une chose que j’ai compris ces dernières années, c’est la façon dont notre psychisme nous protège et ce qu’il est capable de mettre en place pour nous protéger d’une réalité trop violente. D’ailleurs, cette lettre en est encore une manifestation, puisque je m’applique encore à tenter de te faire comprendre des choses que probablement tu savais déjà pertinemment au moment des faits. Peut-être simplement que là où Freud s’est « contenté d’une part psychologique plus modeste », toi, tu n’as pas hésité. Dans le fond c’est ce qui te manque fondamentalement : l’humilité.

Le premier volet de la lettre est à lire ici : https://blogs.mediapart.fr/zoemalouvet/blog/200121/lettre-ouverte-mon-psy-violeur

le second ici : https://blogs.mediapart.fr/zoemalouvet/blog/220121/lettre-ouverte-mon-psy-violeur-suite 

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