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Billet de blog 25 août 2025

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Gaza: Pourquoi les leçons de l’Histoire ne suffisent jamais

« Les leçons de l’histoire semblent toujours oubliées. De la Shoah à Gaza, l’Occident brandit le « plus jamais ça » tout en fermant les yeux sur les crimes qu’il cautionne ou commet. Le cas Netanyahou révèle ce paradoxe et interroge : quand l’histoire jugera-t-elle enfin les puissants en temps réel ? »

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L’après-guerre et le « plus jamais ça »

Illustration 1

L’histoire universelle s’est longtemps cristallisée autour d’un seul repère : l’après-Seconde Guerre mondiale et l’horreur absolue de la Shoah. Ce traumatisme a forgé la conscience moderne, nourri le droit international et façonné une mémoire collective dont l’Occident s’est fait le garant. Depuis, ce sont justement les pays occidentaux qui répètent inlassablement : « plus jamais ça ». Mais cette formule, brandie comme un étendard moral, résonne souvent comme une incantation creuse, tant ces mêmes puissances ferment les yeux sur des crimes qu’elles cautionnent, voire qu’elles commettent elles-mêmes. Comme le rappelait Hannah Arendt : « Le plus effrayant dans le mal, c’est qu’il est banal ».

Une justice internationale sélective

L’histoire récente en témoigne : les institutions internationales n’ont jugé, ou tenté de juger, que les dirigeants des pays faibles, fragilisés, souvent qualifiés de « dictatures ». Mais ces pays étaient presque toujours ceux où l’Occident avait, au préalable, semé le chaos par ses interventions militaires menées pour des intérêts économiques ou géostratégiques. Le droit international a donc pris des allures sélectives, donnant raison à l’idée largement partagée dans les pays opprimés que l’Occident se jugeait juge et partie, gardien de ses propres crimes mais intransigeant avec ceux des autres.

Le cas Netanyahou : entre mémoire et intégrisme d’État

C’est dans ce cadre qu’émerge aujourd’hui le cas Benjamin Netanyahou. Formé et cultivé aux États-Unis, il s’est toujours inscrit dans la défense d’un dogme : le droit d’Israël à exister, légitimé par la mémoire de la Shoah. Mais ce droit, érigé en absolu, s’accompagne d’une justification froide des violences actuelles, présentées devant le monde occidental comme légitimes et nécessaires.

Donc conscient de l’histoire, il mène aujourd’hui une politique qui inflige à un autre peuple des destructions et des massacres au nom d’une idéologie. Comment expliquer qu’il ne voie pas que, dans toutes les horreurs du passé, il y a eu un moment de bascule où les acteurs étaient persuadés d’agir pour le bien, ou pour leur survie, tout en basculant dans l’irréparable ?

Plus encore, cette légitimation s’appuie sur une prophétie biblique vieille de plusieurs millénaires, invoquée comme fondement politique dans un contexte qui se prétend démocratique et rationnel. Et pourtant, ce discours, qui relève d’un véritable intégrisme d’État, n’est jamais dénoncé comme tel : il passe, il est toléré, alors que dans le même temps, le Hamas est pointé du doigt comme l’incarnation de l’obscurantisme intégriste.

Un déséquilibre révélateur

La comparaison n’est pas tant une défense du Hamas qu’une mise en lumière d’un déséquilibre : le Hamas, qu’on peut qualifier de mouvement terroriste, n’a ni existence institutionnelle ni souveraineté étatique. Israël, au contraire, se présente comme un État démocratique, ancré dans le camp de la modernité, mais agit avec des moyens militaires et politiques qui relèvent d’un intégrisme autrement plus grave, parce qu’ils émanent d’une puissance reconnue, alliée et soutenue par les grandes nations occidentales. Comme l’écrivait Aimé Césaire dans son Discours sur le colonialisme : « On n’admet le nazisme que parce qu’il s’est appliqué à l’Europe, qu’il s’est exercé contre l’homme blanc ».

Les leçons oubliées

La question est donc simple et terrible : pourquoi ceux qui connaissent l’histoire, qui ont étudié la Shoah, qui ont lu Arendt et compris la mécanique de la banalité du mal, pourquoi ces dirigeants répètent-ils les mêmes horreurs, comme s’ils s’imaginaient que cette fois-ci, l’histoire ne les rattrapera pas ? Ont-ils en tête l’illusion que, parce que les États-Unis ont perpétré des crimes en Afghanistan, en Irak, au Vietnam et sont toujours là, ils pourraient eux aussi échapper au jugement de l’histoire ? Comme l’avait écrit George Santayana : « Ceux qui ne peuvent se souvenir du passé sont condamnés à le répéter ».

Un tournant pour le XXIᵉ siècle ?

Pourtant, l’histoire a montré que nulle tyrannie n’a duré, que toutes les colonisations ont fini par tomber, et que les crimes massifs finissent toujours par rejaillir sur ceux qui les ont commis. L’Allemagne d’Hitler en fut un exemple tragique ; les procès de Milosevic ou de Nuremberg en sont d’autres. Mais jamais encore un dirigeant issu d’un État occidental ou allié de l’Occident n’a été jugé en temps réel pour ses exactions.

C’est ici que réside peut-être l’enjeu historique du cas Netanyahou : s’il devait un jour rendre compte devant la justice internationale, et avec lui certains de ses soutiens directs, ce serait une première dans l’histoire contemporaine. Une première qui pourrait transformer durablement la perception des peuples opprimés, longtemps convaincus que l’Occident ne juge que les faibles et protège toujours les puissants.

L’Histoire comme boussole universelle

Car le véritable tournant du XXIᵉ siècle pourrait bien être là : que l’histoire, avec un grand H, devienne la boussole pour juger en temps réel tous les dépassements et toutes les exactions, qu’elles viennent de pays puissants ou de pays faibles. Alors seulement le « plus jamais ça » cesserait d’être une formule creuse pour devenir un principe universel. Comme le disait Albert Camus : « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur du monde » ; mal juger l’histoire, c’est condamner l’humanité à son éternel recommencement.

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