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Billet de blog 8 novembre 2014

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"Nous pensions que..." Le dossier noir de la relation franco-syrienne.

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Si l’idée de recevoir une grande claque de réalité n’est pas votre truc, je ne saurais vous donner qu’un seul conseil : ne lisez pas « Les Chemins de Damas », le dernier livre de C.Chesnot et G.Malbrunot. Vous voilà prévenus. Chesnot et Malbrunot reporters réputés et spécialistes reconnus du Proche Orient, expliquent avec rigueur et preuves à l’appui en quoi la France est l’un des plus méticuleux artisans du drame syrien.

 Ils commencent par nous raconter la belle histoire d’amitié entre Jacques Chirac et Rafic Hariri (premier ministre libanais assassiné en le 14 février 2005). Implacablement, ils démontrent que même si la culpabilité du régime syrien ne fut jamais établie (et considérée comme improbable par les équipes françaises et internationales en charge du dossier), elle fut toujours « supposée » par les politiques français. De ce constat, ils détaillent le creusement de l’énorme fossé de communication entre diplomates, services secrets et politiques français. Drame sans fin (pour l’instant) qui conduit notre pays aux choix les plus incohérents, à la rupture d’ententes très anciennes avec d’autres services secrets et même aux chocs des diplomaties alors que c'est, pourrait-on croire, pour éviter les chocs politiques que la diplomatie existe.

On comprend grâce à ce livre comment les relations avec le gouvernement syrien, même si ses services secrets ont toujours travaillés main dans la main avec leur équivalent  français, sont devenues l’objet d’une gueguerre franco-française entre J. Chirac et N. Sarkozy puis entre N. Sarkozy et F. Hollande. Inutile de préciser que les aspirations du peuple syrien, quelles qu’elles aient pu être, avaient peu de place dans ces délires mégalomanes et ces certitudes de puissants. Ainsi la soif d’émancipation de la population syrienne, même si elle n’eut que peu de temps et peu de volontaires (on les comprend…) pour s’exprimer en son nom propre, fut immédiatement chapeauter par des groupes djihadistes puissants. Force est pour moi d'en déduire qu’à cette période, le gouvernement syrien, au lieu d’être guidé intelligemment vers un dialogue avec son peuple (fait si totalement nouveau pour les deux parties que l'idée de cette démarche n’eut point été ridicule), s’est enfermé dans une attitude psychorigide et sanguinaire alors que Bachar aurait sans doute… En tous cas la France aurait pu choisir d'être au première loge pour le conforter dans ses prudentes intentions de réformes, alors qu’elle n’a fait que le braquer. Or braquer un chef d’ascendance tyrannique est un jeu dangereux et qui doit donc se faire en connaissant parfaitement son dossier…ça tombe un peu sous le sens, non ?

Quand on voit le sang versé et le lourd coût en vies humaines du drame syrien, on peut regretter que les politiques français n’aient pas compris le rôle qu’ils avaient probablement à jouer, essayer à minima, au lieu de prendre les risques délirants qui furent décidés, au nom, justement « des Droits de l’Homme », ô implacable ironie meurtrière !

Pourtant, c’est clair, et parfaitement documenté, les services secrets depuis le début et la diplomatie (du moins au début) leur à répéter, re-répéter et n’a fait qu’enfoncer le clou : le risque était énorme, démesuré, follement risqué. Mais rien n’y a fait. A. Juppé a décidé que Bachar « tomberait vite » et puisque telle était la parole du château, il fallait mettre tout en œuvre pour accélérer cette volonté de chute même si tout disait (et en particulier les spécialistes du terrain)  que c’était un phantasme pur et simple, un pari qui ne se ferait que dans le sang et sans grande chance de réussite. L. Fabius, son tour venu, a repris le flambeau des errements évidents de son prédécesseur en s’entourant toujours aussi mal, mais avec autant de certitude infondée et on a continué à nourrir en monnaie sonnante et trébuchante, la créature irrationnelle du Conseil National Syrien (CNS), dont l’idéal était fort noble mais les leaders incompatibles ou …tout bonnement inexistants pour les syriens vivant en Syrie. Par contre la fermeture de l’ambassade de France à Damas, nous coupait dans le même temps d’un pied à terre de dialogue, de présence officielle à minima, dans un pays qui avait toujours un chef reconnu et manifestement, toujours pas mal de sympathisants.

Tout ça pour en arriver à maintenant, en novembre 2014 avec un gouvernement syrien toujours suivi par son armée, toujours dirigé par Bachar Al Assad et finalement, douloureusement le bienvenu face au monstre Daesh qui grignote à son rythme les humains et les tranches de territoires, en voyant chaque jour s’envoler vers lui des occidentaux convaincus.

On pouvait difficilement faire un tableau aussi noir, mais aussi crédible, de la construction de la situation actuelle en Syrie et des relations entre la France et la Syrie.

Je pourrais difficilement écrire que cela me surprend (sic), amis lecteurs, même si tout cela est désolant.

On en conclue, avec les auteurs, qu’il sera difficile de voir un espoir dans l’avenir des relations franco-syriennes, fondamentales pour notre pays, si  les politiques  français ne s’assagissent pas un peu et, pire que tout, que nul ne peut prédire combien de sang, de ruines et de larmes vont se répandre en Syrie, après ce misérable fiasco dont nous sommes parmi les glorieux acteurs.

« Les chemins de Damas » de C. Chesnot et G. Malbrunot chez  Laffont. 2014

NB: Vous pouvez retrouver les liens vers tous mes papiers sur la Syrie depuis 2011 sur Mediapart, en bas de mon dernier billet, en cliquant ici.

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