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Billet de blog 24 janvier 2011

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Merci à Joris Luyendijk

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Des hommes comme les autres. Correspondants au Moyen Orient.

Auteur: Joris Luyendijk. Editions Nevicata 2009

L’enquête de terrain, telle que nous la pratiquons actuellement dans n’importe quel pays vivant une dictature, relève de l’illusion. Pour l’instant au Moyen Orient, il n’y a que des dictatures. Les correspondants au Moyen Orient sont victimes d'un système qui ne sert , en gros qu’à nous rassurer (nous = l’Occident), avoir un emploi et nourrir les médias (qui doivent vendre), conforter les politiques (qui pensent à leur carrière et non à leur mission), illusionner le public (qui, en plus, préfère quand c’est simple). Dés que qu’un enquêteur de terrain approche un tant soit peu de la vérité, il en est écarté (1).

Le constat est amer et les arguments surabondants.

En se fondant sur sa propre expérience professionnelle, en Egypte et au Liban, Joris Luyendijk, démonte une à une toutes les techniques par lesquelles le correspondant qu’il a été, a eu accès à l’information. Il nous livre l’envers du décors, ce qu’on ne dit pas parce que ça dérange trop, tout ce que tout correspondant un peu sérieux ne dit jamais mais vit quotidiennement. Il ose, en gros, voir son travail sous un angle qui coule sa propre boutique. Comme il l’écrit pragmatiquement « Et quel que fut l’accueil (de ce livre NDL), il fut difficile de focaliser l’attention des médias sur un livre plein de critères sévères sur ces mêmes médias. En parlant de ce livre, les journalistes se sont retrouvés comme des accusés devant un tribunal qui auraient à formuler eux-mêmes l’acte d’accusation » (p°229)

Exercice compliqué s’il en est, n’est-ce pas ?

D’autant plus compliqué que je suis d’accord avec lui….

Compliqué mais nécessaire, car c’est de savoir combien il a raison, et ce en ayant pratiqué le même métier que lui, qui me donne l’espoird’une amélioration possible. En effet, cela veut bien dire qu’il y a des réalités néanmoins perceptibles et sur laquelle nous sommes, déjà tous les deux ( !), d’accord. Le fait que ce livre est eu le Prix des Assises du Journalisme http://www.journalisme.com/content/view/974/130/

prouve qu’il y en a beaucoup d’autres professionnels qui partagent ce point de vue.

Mais cela secoue profondément l’édifice et demande une vraie remise en question de fond des pratiques journalistiques en cours et ce à chaque micro maillon de ses différents acteurs en partant du lecteur et en remontant jusqu’au (vénérable….!) Patron de presse, et ses exigences de rentabilité et d’obligations politiques.

Luyendijk touche d’abord aux évidences de système, que nous avons oubliées, encroutés que nous sommes dans nos libertés acquises et le confort de penser qu’il en va de même pour chaque habitant de la planète terre : Dans une dictature, parler, c’est risquer sa vie. Dans une dictature, les chiffres officiels n’existent que rarement et quand c’est le cas, ils sont faux. Dans une dictature, le citoyen moyen a, avant TOUT, besoin d’assurer ses arrières (c'est-à-dire de manger, d’assurer la sécurité de ses proches et de partir au plus vite si l’ambiance tournait vinaigre pour lui) donc ce citoyen n’a aucune réelle priorité (nous ferions comme lui) à informer les sympathiques étrangers (en sécurité chez eux) mais une grande priorité à ce que cette discussion, d’une manière ou d’une autre lui rapporte quelque chose pour assurer ses dits arrières.

Ça c’est du côté du terrain. Du côté du média, d’autres évidences dérangent tout autant : un journaliste à l'étranger qui répond à sa rédaction qu’il « n’y a pas d’info accessible sur ce sujet là maintenant » voit sa progression professionnelle stoppée et dérange profondément l’organisation interne d’un média. Un journaliste dont le point de vue diverge de son rédacteur en chef n’a bien souvent…qu’à changer de rédaction ! Lors d’un évènement d’envergure, un correspondant de terrain en sait, dans 90% des cas,beaucoup moins, que son bureau, en France. Une information sans image n’est pasune information pour la TV (mais reste une information cruciale pour comprendre tel ou tel dossier….).

Côté Public : Si le public n’a pas bien l’impression de comprendre ce que lui dit un média, généralement il ne se fidélise pas au média, or une dictature arabe, c’est avant tout, un système bien compliqué…bref…

« Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage… » .

Obéissant avant l'heure à Hessel, Luyendijk, s’indigne qu’en tant que journalistes nous acceptions d’être ainsi dupes de nous-mêmes et de ces pratiques. Il n’a pas de solution mais remarque nous devrions juste en être plus conscients et aider notre public à être plus critique, et plus acteur aussi. Il a ce sale rôle des précurseurs, ceux dont l’action est de voir, de dénoncer mais pas encore de solutionner. Un maillon fondamental et emmerdant.

Je le remercie sincèrement pour son livre et pour sa prise de position.

Déjà parce que je me suis sentis moins seule en le lisant et aussi parce que je sais dorénavant mettre des mots sur les raisons professionnelles qui font que j’ai du mal à repartir et qu’il faut pourtant « y aller ».

Je pense qu’en lisant son livre, j’ai amélioré mon espritd’analyse et mon regard sur le monde. Franchement, je pense que ses questions sont justes et ses conclusions dérangeantes maisvraies.

C’est , d’une certaine façon ma réponse à cette humble phrase de sa postface à l’édition française « Je suis particulièrement curieux de voir comment ce livre sera reçu en territoire francophone, à condition que les médias le remarquent ».

(1) : Dans ce cadre, il est clair que Stéphane et Hervésont en train de payer d’avoir approchés de trop près une vérité. Libérez-les.

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