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Billet de blog 17 novembre 2015

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« Fluctuat nec mergitur » - ANITA GRETSCH

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Fin d’un spectacle, Paris 19, vendredi 13.

Super spectacle, piano et slam ; super spectacle intitulé « Au secours, j’vais tous mourir ». Ici, on est peut-être à l’avant-garde mais on ne le sait pas encore. Ceci n’est pas une blague.

22H00, téléphone rallumé et un message :

« Évite Goncourt ce soir, ça tire, il y a des morts ».

« Hein ? »

 Je rappelle. Goncourt, c'est dans le 11 – j’habite le 11 et c'est un coin du quartier que je fréquente assidument. Tout va bien, je me sens un peu bête – oiseau de mauvais augure peut-être ? – mais je diffuse quand même timidement la nouvelle à 2-3 personnes autour de moi. On n’est pas si loin de Goncourt, il faudrait peut-être éviter la zone pour rentrer, non ? Je reprends un verre. La nouvelle fait tache, se répand peu à peu dans l’assistance.

Nous sommes une grosse 20AINE  et une bulle se forme. Un monde clos qui va vite se trouver sa sainte trinité : téléphone, vin rouge, clopes.

« Au stade de France aussi… Quoi » ?

BEAUCOUP de clopes.

« Le Bataclan !  Hein ? »

De l’humour noir. PAS de panique, ça, pas du tout. Mais on ne va pas bouger tout de suite, mieux vaut attendre que ça se tasse, se dit-on.

« Charonne, une terrasse fauchée ! À la kalachnikov… Quoi ? »

Pas de panique mais des appels téléphoniques ; les SMS chauffent, Facebook aussi.

« Les Halles ?? »

23H00, le Québec prend de mes nouvelles : une amie à laquelle je réponds que je suis à l’abri me signale comme « en sécurité » sur le réseau social. 

60 MORTS, je reprends 1 VERRE.

Papa, maman, oui je vais bien, non, non, je ne bouge pas. Luxembourg prend de mes nouvelles : je vais bien, oui oui, 1 CLOPE, 80 MORTS,

« Quoi ? Opéra aussi ? » La nouvelle s’avèrera infondée – ça fait partie de la soirée : le bouche-à-oreille amplifie et déforme ; et ampute aussi : 30 MORTS maintenant. Le bilan serait-il revu à la baisse ?

Mon frère vit à côté de la salle où je suis, il est MINUIT, je sécurise une place sur son futon pour la nuit, pour plus tard, pour quand je sortirai d’ici.

Hors de question de rentrer chez moi. Les types armés sont 1 CLOPE dans la nature, tout ça se passe entre le lieu où je me trouve et celui où j’habite. La circulation est coupée, je n’imagine même pas 1 VERRE les détours qu’il me faudrait faire pour rentrer si tant est que ma rue n’ait pas été bloquée. J’habite la rue la plus remplie de bars de Paris... Rue de Lappe : une aubaine pour une prochaine salve.

Mais pas de panique, non, ça, vraiment pas, personne.

On reprend DES VERRES, les batteries de téléphone commencent à flancher. On fait des mauvaises blagues et on reçoit encore des nouvelles de ceux qui nous manquaient.

1H00, c'est une bulle, on est tous ensemble mais pas volontairement, et c'est ce qui installe une sorte d’atmosphère de huis-clos pas inintéressante du point de vue de la dramaturgie. À cette heure-là, on est encore assez détachés pour que je pense réellement à ça, moi, à la dramaturgie. Dans la bulle où nous nous trouvons, toutes les informations nous atteignent sur un mode quelque peu théorique.

Mais quelqu’un pleure – une petite remontée des 7, 8 et 9 JANVIER derniers. Vite passé.

New York prend de mes nouvelles. Tout va bien, merci cousin.

2H00, une première sortie s’organise. Il paraît que les taxis sont gratuits, mais pas les Autolibs, c'est dégueulasse, vous croyez qu’il y aura encore des Vélibs ? Quelques-uns vont en héberger d’autres qui habitent dans la zone bouclée par la police. Un lit à partager, quelques lattes de parquet à proposer, une certaine solidarité s’organise. Et tout le monde prend soin d’avoir le numéro de l’un de ses collègues d’infortune pour pouvoir le prévenir qu’il est bien rentré. J’ai mon frère tout à côté. Mieux que de rentrer chez moi, même s’il habite – mais oui, c'est vrai, tiens ! – à côté d’une synagogue.

Les rues sont anormalement désertes à 2H30 du matin. Sur mon trajet, PAS 1 piéton. 2 voitures qui ont quelque chose d’incongru – on dirait des souris qui se seraient égarées et qui filent se terrer. Je suis en vélo.

J’arrive, et puis c'est la télé et les images. Pas encore beaucoup d’émotion, mais les vidéos vont se charger, petit à petit, de les réveiller. Il faut dormir, il est 4h00, ça suffit pour l’instant.

Et puis ce matin. 128 morts et un furieux besoin de sortir, de voir Paris, de toucher Paris, de regarder les gens les yeux dans les yeux pour vérifier que tout ça c’est vrai.

Tout ça c’est vrai.

La bulle est crevée.

Il fait plus froid aujourd’hui – un air de janvier ? Je me fais cette réflexion et j’ai instantanément envie de me gifler pour y avoir pensé. Si quelqu’un d’autre le disait tout haut, je le détesterais.

Avec mon frère, on sort en vélo. Les 2 militaires qui montent la garde devant la synagogue depuis les attentats de janvier ont X 3 dans la nuit. Je lance un regard entendu à ces = 6 jeunes hommes. Quelque chose comme un merci pour exprimer ma solidarité. Sur le chemin de chez moi – Bastille, Paris 11 – on passe par le boulevard Richard-Lenoir. Un 1ER lieu de tuerie.

Paris, jusque-là VIDÉE de ses piétons, en a fait pousser QUELQUES grappes ici. BEAUCOUP de policiers, des cordons de sécurité, certaines des images que j’ai vues à la télé cette nuit.

Ici, ces images ont quelque chose de figé. Il n’y a plus de gens qui courent dans tous les sens, et plus de doigts tremblants pour les capturer par le mauvais écran d’un téléphone intelligent. On se sent UN PEU idiots, l’image est stable, TROP stable. Le calme après la tempête. La scène du crime. On ne marque pas l’arrêt.

On ne veut pas dévier de la trajectoire qui nous fait naturellement passer devant le Bataclan. Un 2ÈME lieu de tuerie. Un partie du boulevard étant fermée, nous roulons de l’autre côté, à contre sens, passant devant les policiers. Des broutilles, ces histoires là ne comptent pas. Fluctuat – ça fluctue, ça s’agite sous les images stabilisées, le sens commun est battu par les flots et peine, ce matin, à se retrouver. Alors le code de la route…

On marque un petit arrêt devant la salle de concert, sur le trottoir opposé, comme pour prendre la mesure de la réalité. Des badauds prennent des photos, de loin, mais sont vite chassés par les policiers qui leurs demandent de ne pas s’attrouper, de ne pas les gêner. J’apprendrai plus tard – et plus tard, c'est maintenant, la télé tourne en boucle – qu’il y reste BEAUCOUP de corps à évacuer.

On reprend le vélo et quelques rues après, on croise l’allée par laquelle les tueurs de Charlie se sont enfuis. On longe le trottoir où il y a 10 mois, un policier s’est fait exécuter.

PEU de monde dans les rues et presque PAS de voitures. Un événement littéraire auquel je devais participer cet après-midi est annulé. C'était dans un grand espace couvert en plein Marais. Est-ce la mairie qui a décidé ? Fluctuat – ça s’agite sous les images stabilisées. Mais le boulanger me vend ma baguette comme si de rien n’était.

Fluctuat nec mergitur, c'est la devise de Paris. Quelque chose comme : « battue par les flots, elle ne coule pas ». Ce soir, le spectacle auquel j'assistais hier et qui doit se rejouer mériterait d’être renommé : « J’vais PAS tous mourir ». Car finalement, les rues ce matin étaient désertes, mais c'est peut-être que les parisiens ont envie de lécher leurs plaies, si psychiques soient-elles. Je n’ai encore entendu autour de moi aucun discours de panique. D’ailleurs, les rues se remplissent à nouveau.

Il est 14H00, j’envoie ce rapport destiné au site internet du Jeudi.lu à mon rédacteur en chef. Tout ça après lui avoir parlé au téléphone, pleuré à la tronche et salué d’un « bisou » que j’ai, ensuite, une fois raccroché, entendu résonner « BISOU, BISOUS, bisou, bis… » dans toute son incongruité. Signe que les émotions m’ont finalement gagnées et que tous mes sens, je ne les ai pas encore retrouvés.

ANITA GRETSCH

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