Depuis petite je déteste, John Carpenter.
Parce qu’on m’avait forcé a regarder Jason de Vendredi 13 trucider des blondes a petits seins avec son grand couteau.
Alors toutes les veilles de vendredi 13, je pense a ça et à mon enfance et je me dis que ce va être la merde et qu’on va me faire la même chose.
C’est con mais c’est un reflexe.
Vendredi 13 novembre 2015.
Jason et son masque flippant est loin, il a la gueule d’ un ennemi intime un môme qui a grandi à côté de nous devenu un monstre incontrôlable.
Vendredi 13 novembre 2015
La première chose c'est l’effroi.
Comme tout le monde mon téléphone sonne sans cesse, je suis dehors, j'ai l’impression qu’on va me trouer la peau
J’appelle les plus proches et ceux qui habitent le coin.
Samedi, le monde se confine à mon écran et à prendre des nouvelles Des phrases :
« T’es vivante, où est ton frere, ton cousin? Percy, Clamart, La Salpêtrière, Bichat,
Je savais pas qu’il aimait le death metal ? »
Dimanche, entre République et le Carillon j’apprends que certains sont partis.
Des frères des cousins des neveux des potes de potes des visages du onzième.
Après ce vendredi 13 novembre 2015
La minute de silence ne m’intéresse pas, j’ai envie de crier
Crier comme ado, un peu conne, un peu jeune, je traversais le boulevard Voltaire, la rue Oberkampf, la rue de la Fontaine au roi, rue Bichat, en pensant que j’étais la patronne
Un baiser rue Oberkampf , la Favela, les copines , les un jour je serai comedienne , t’as le numéro de Besnehard, l’Ave Maria, le Soleil, chez Adel, le Carillon, Les nuits fauves, s’aimer a Parmentier, s’embrasser a République, se perdre a Oberkampf et au Cithea, voir le soleil se lever sur les toits du boulevard voltaire, boulot de serveuse à Bastille, Radio nova, le Pause-café, chercher son chat rue de la Roquette, la Scène, les Anges, ma chambre d’étudiante a Faidherbe, mes deux nuits au palais de la femme. Les rades kabyles, les prolos et les bourges, le mélange, le Bataclan. Assassin, Burning Spear, Radiohead et les autres. Une meuf du 11 et un peu du 10 mais du 11 surtout avant les bobos ou le hipster ce compatriote marqueté jusqu’à la barbe, les burgers, les apparts hors de prix, et qu’ on adore détester par habitude aussi.
Je pense a moi avant et je pense aux enfants que je n ai pas encore qui ne connaitront pas l‘insouciance que j avais a traverser tout ça mes premiers soirs d’ivresse à 15 ans.
À cette ville qui m'a faite, je pense à ceux partis hier, à ceux qui s accrochent á la vie encore ce matin.
Je pense a mes fréres et de Damas, Tripoli, Beyrouth, Gaza, Sanaa, Baghdad, Lagos , Le Caire, Bamako, Tombouctou, qui vivent dans la peur et le chagrin depuis toutes ces années.
Je pense a Hemingway, à Paris qui était une fête et qui aujourd’hui a un goût de larmes et de sang, je pense a cette ville que j'aime avec rage et que je ne veux jamais voir tomber.
je pense que j ai peur, pour la premiere fois. J’ai peur de sortir et ca me rend malade.
Et il me revient çette phrase d un cousin de Kabylie qui me montrait un village dont on avait brulé, et rasé la vie par les terroristes en dans les années 90 : "Ils sont morts parce qu’ils étaient vivants ".
Je pense a Cheikh qui vivait a Niafounké au Mali et dont on a détruit la vie morceau par morceau.
Je pense a ces quartiers où j ai grandi, aimé gerber sur les trottoirs penser pleurer pisser entre les bagnoles vu le jour et la nuit se lever et mourir.
Je pense trop à tout et n’importe quoi et ma tête explose
Juste avant de venir ici, j’apprends qu’une fille que j’ai connu est décédée rue de Charonne, parce que je ne veux pas voir les noms, ni les visages sur les écrans, j’ai les nouvelles par bribes.
Chaque chiffre est coup de poignard, comme tout le monde.
Ces inconnus sont notre famille.
Je crois qu’il ne nous reste plus qu’à vivre encore plus fort.
Je ne pourrais plus prendre le métro alors je vais marcher.
Je ne pourrais plus marcher sans regarder derrière moi pour l instant.
Avoir peur de celui qui me ressemble par réflexe.
Parce que j ai la tête comme dans un étau comme tout le monde.
Tu n’as pas envie de crever.
La minute de silence ne m’intéresse pas j’ai envie de crier.
Le bourreau est un ennemi intime aujourd’hui.
Et c’est pour ça que j’écris ce texte.
L’important pour moi c’était d’entendre les mots des autres, des histoires.
Alors je suis venue ce soir, même si je suis fatiguée, que je sors de l hôpital et que je n’ai envie de voir personne.
Que j’ai fini ce texte, pas terrible, qui ne me ressemble pas dans le RER.
J’avais juste envie de parler.
Je ne sais pas si vous me comprenez.
Parce que devant ça, on n’a pas de mots.
Alors je suis allée les chercher.
La maintenant j’ai envie de rire et que ceux partis rient avec moi comme juste avant ce cauchemar.