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Billet de blog 17 février 2013

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Beaux nichons et vieilles dentelles

Ainsi, les seins nus ont encore frappé.Une météorite est venue s’écraser dans l’Oural, le toit de la salle des machines de la centrale de Tchernobyl s’est effondré sous le poids de la neige, mais surtout, surtout, les infatigables Femen - désormais francisées - ont fait un show topless dans la touristique Notre-Dame de Paris.

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Ainsi, les seins nus ont encore frappé.

Une météorite est venue s’écraser dans l’Oural, le toit de la salle des machines de la centrale de Tchernobyl s’est effondré sous le poids de la neige, mais surtout, surtout, les infatigables Femen - désormais francisées - ont fait un show topless dans la touristique Notre-Dame de Paris.

Elles auraient pu y chanter « Be-e-elle », mais la nature n’a peut-être pas été aussi généreuse avec les oreilles des jeunes divas qu’avec leurs caractères sexuels secondaires. Elles ont donc agité leurs drapeaux mammaires en hurlant quelques slogans anticléricaux. Pour plus de persuasion, les mêmes slogans étaient inscrits en plein milieu des poitrines des jeunes beautés, histoire que les journalistes ne manquent pas l’essentiel.

Tiens, ça ne vous rappelle rien ? Une performance d’artistes engagées dans une église symboliquement importante pour un pays ? Le tout suivi de répressions et d’un soutien mondial ? Manifestement, ces seintes jeunes femmes surfaient sur la vague « Pussy Riot », cherchant elles aussi leur gloire planétaire.

Raté. Dans un écœurement général, les seins nus ont été sortis de la cathédrale et de l’estime du public.

Ouf.

Dès leurs premières apparitions en 2008 en Ukraine, les Femen ont troublé les observateurs autant qu’elles ont séduit les caméras. Ayant pour objectif initial la protestation contre le tourisme sexuel en Ukraine et l'exploitation du corps de la femme, Femen s'est transformé en quelques années en instrument de protestation sur des sujets très divers, en Ukraine comme à l'étranger. Les manifestations ont en commun seulement leur modus operandi : de courtes actions publiques filmées impliquant des jeunes femmes aux seins nus – et souvent au physique de top models - portant des banderoles.

Des féministes ? Pas si sûr. Dans la communauté des penseurs et activistes féministes, le débats autour des Femen ont été très vifs. Les intellectuel(le)s féministes occidentaux(ales) se sont passionné(e)s pour l’énergie et la radicalité de ces jeunes femmes. Les féministes ukrainiennes se méfient des Femen et cherchent à prendre leurs distances. Les intéressées le leur rendent bien, déclarant qu’elles n’ont rien à voir avec les combats féministes des organisations instituées de défense des droits des femmes.

Il faut dire que quasiment partout dans l’espace postsoviétique, bien peu de femmes se diraient aujourd’hui féministes, après soixante-dix ans d’un régime politique qui avait déclaré l’égalité entre les sexes pour pouvoir exploiter la femme autant que l’homme. La « femme-qui-veut-l’égalité-avec-l’homme » ici, ce n’est pas celle qui brûle son soutien-gorge ou qui refuse d’être une esclave domestique, mais celle qui, armée d’une lourde pelle, déneige la voie publique, ou encore celle qui se tue au travail derrière une lourde machine-outil.

Non merci, disent les jeunes femmes d’aujourd’hui en Russie, Ukraine, Arménie etc., en regardant leurs mères fatiguées, malades, aux silhouettes déformées qui ont travaillé toute leur vie à égalité avec les hommes, sans avoir pour autant été déchargées du travail à la maison. C’est à soixante-dix ans d’URSS que nous devons ces beautés languides perchées sur des hauts talons, ces belles manucurées, brushées et de Prada vêtues, en quête d’un homme riche qui les préservera à tout jamais de la cannibale égalité des sexes à la soviétique.

Les Femen, ce sont elles. Les jeunes femmes ne cachent pas avoir des « sponsors » qui leur permettent de mener toutes ces sympathiques actions topless. Les Femen sont à vendre. Ces dernières années, elles ont manifesté non seulement pour les droits des femmes, mais aussi contre le climat des élections présidentielles en Ukraine, contre le géant gazier russe Gazprom, contre Poutine, contre la censure sur Internet, en soutien aux victimes du tsunami au Japon, pour la liberté des prisonniers politiques en Biélorussie et j’en passe : les actions se comptent par dizaines. Devant ce champ de préoccupations foisonnant, il est clair qu’aujourd’hui une participation de Femen se loue comme on loue une sono pour la manif : un outil parmi d’autres pour faire passer un message et s’assurer la présence des caméras. Cependant, certaines actions qui franchissent le mur du çon, comme dirait l’autre journal, laissent à penser que les jeunes ennemies du soutien-gorge gardent quand-même une certaine spontanéité.

Allez, rhabillez-vous les filles, vous n’arriverez plus à faire passer la fermeté de votre poitrine pour la fermeté de vos convictions.

Venez au coin du feu et je vous parlerai d’une illustre aïeule qui réussit la même chose que vous – attirer et émoustiller les médias – sans montrer le moindre bout de sein.

Ma star d’aujourd’hui s’appelle Nina Semenovna Gulicheva, elle a plus de quatre-vingt ans et c’est une vedette auprès des journalistes qui couvrent les manifestations en Russie. Nina Semenovna est de toutes les actions de protestation, mais surtout celles où les manifestants sont peu nombreux, ce qui lui laisse plus de chances de se faire photographier par la presse.

En 2004, Nina Semenovna se déguise en mère écrasée par le désespoir après le dénouement tragique de la prise d’otages dans une école de Beslan.

En juillet 2006, elle participe à une manifestation de soutien à l’Etat d’Israël et trois jours plus tard, à une manifestation contre l’Etat d’Israël.

En 2006 aussi, à plusieurs actions contre Poutine, notamment une action de soutien à l'homme d'affaires Mikhail Khodorkovski.

La même année, elle se fait passer pour une ancienne combattante de la Deuxième guerre mondiale, major de l’Armée rouge. Si l'octogénaire a l'âge d'être un vétéran de la guerre, l'usurpation des titres et médailles est rapidement démasqué.

En 2007, elle participe à une manifestation xénphobe de défense de la nation russe :

Dernière manifestation en date, il y a quelques jours seulement Nina Semenovna était vue à la cérémonie d’adieu à Alexandre Dolmatov, l’opposant russe qui avait fui la Russie et s’était suicidé dans des circonstances troubles aux Pays-Bas.

Très vite, Nina Semenovna est repérée par les journalistes. Désormais c'est une sorte de jeu professionnel que de la trouver au milieu des manifestants et d'aller l'interroger. Des petits nouveaux tombent régulièrement dans le panneau et reproduisent candidement les déclarations de cette professionnelle de la protestation. Au petit jeu de la manipulation protestataire, elle est manifestement gagnante.

Il y a aussi un effet secondaire que l'on espère involontaire. La vieille dame arrive, par sa seule présence, à tourner en ridicule n'importe quelle action de protestation.

Quel est son objectif? Je le pense modeste, mais personnel. Vivre son quart d'heure de gloire, pouvoir raconter son sort peu enviable de retraitée solitaire, se sentir vivante et au coeur de la vie, faire tourner en bourrique les journalistes avec un malin plaisir.

Chères Femen, vous n'arrivez pas à la cheville de Nina Semenovna.

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