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Billet de blog 7 novembre 2008

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Le Net, un lumpen-journalisme

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L'expression est empruntée à un livre de Yannick Estienne: Le journalisme après internet, paru l'an dernier chez L’Harmattan. Il décrit comment le Net a contribué à prolétariser toute une génération de jeunes aspirants-journalistes, qui pis est en les persuadant qu'ils oeuvrent pour leur propre bien.

"L’essentiel du travail d’éditorialisation du journaliste Web consiste à sélectionner et à hiérarchiser l’information fournie par le support original, les agences de presse et les partenaires ou sous-traitants", écrit-il. Le journaliste en ligne, officiant dans une petite équipe sans moyen (ou à laquelle on ne tient pas à donner de moyen) devient "un journaliste dominé", vissé à son siège, qui n'a jamais la possibilité d'aller sur le terrain et que l'on dévisage drôlement lorsqu'il fait du bruit en décrochant son téléphone pour vérifier une info (allez dans une rédaction normale et dans une rédaction web, vous serez étonnés par le silence coté Internet): "l’essentiel de leur travail s’articule autour d’information de seconde main (...) en flux-tendu". Les maîtres-mots: "réactivité", "productivité", "clics"... La faute aux agrégateurs: le premier qui publie sa dépêche non vérifiée bénéficie des quelques clics de plus qui le placeront en tête sur Google News. Et l'"accumulation primitive de ce capital" aidant, l'avance s'accroît puisque pour la même dépêche, on aura toujours tendance à cliquer sur la première.

Alors, qu'est-ce qui pousse ces jeunes recrues à choisir le Net? Le dégoût d'une presse papier sclérosée, engoncée dans une position acquise? Point du tout! écrit Yannick Estienne: ils ne voient le Web que comme un "sas d'entrée dans le journalisme". Les plus chanceux intègrent une rédaction traditionnelle. Pour les autres, "une partie importante de la population de travailleurs de l’information en ligne qui a émergé avec l’essor du média internet a quitté les rangs du journalisme après la crise".

Car, et c'est là que ce prolétariat journalistique devient lumpen-prolétariat, "peu nombreux, invisibles et inconnus du public, ces derniers disposent de très peu de pouvoir et effectuent souvent un travail, sinon ingrat, du moins peu valorisant, les journalistes web n’ont pas conscience de faire partie d’un groupe, et n’ont ni représentant, ni porte-parole, ni organe représentatif." D'autant que le journaliste web est systématiquement renvoyé à sa condition de privilégié, puisqu'il est parfois vaguement payé, alors que les journalistes citoyens inondent les sites de leurs "contributions" (pour ne pas dire de leur écot). Devenus gérants de communauté plus que reporters, ils sont payés d'une médaille en chocolat.

Est-ce encore du journalisme? "Le flou règne d’autant plus facilement sur les frontières professionnelles que le journalisme en ligne ne peut, aujourd’hui, être défini que mollement", quelque part entre le travail de chef de gare pour de l'information fournie par d'autre, de responsable marketing pesant au trébuché du clic la quantité souhaitable de telle ou telle info, en temps plus ou moins réel, et d'agent d'ambiance pour s'assurer que les internautes reviennent bien ici plutôt qu'ailleurs. "L’emprise croissante des logiques économiques et du marketing dans la presse concourent, par certains côtés, à accélérer le mouvement", conclut-il.

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