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Billet de blog 17 février 2012

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Sortie de secours

Bonjour à tousTout d'abord un grand merci à vous tous, qui m'avez envoyé d'adorables messages de soutien, qui m'ont fait très chaud au cœur. J'émerge du chaos, tout doucement.

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Bonjour à tous

Tout d'abord un grand merci à vous tous, qui m'avez envoyé d'adorables messages de soutien, qui m'ont fait très chaud au cœur. J'émerge du chaos, tout doucement. J'habitais un endroit de rêve au milieu de la garrigue, sous les contreforts du Larzac, une toute petite maison de poupée, genre isba de bois, où j'étais très heureuse et je pensais bien y finir ma vie, être enterrée un jour dans le joli petit cimetierre du village... Les circonstances en ont voulues autrement. Une escarbille s'est échappée du toit, qui a enflammé la végétation ultra sèche de la tonnelle à cause du gel. Le toit s'est enflammé, les tuyaux prévus à cet effet, étaient à portée de main, mais totalement inutiles, vu que nous n'avions pas une goutte d'eau, tout étant gelé. Le vent était terrible, tout a brûlé en 20mn. A part mon sac à moitié consumé, je n'ai rien pu récupérer, même pas mon manteau. Quand les pompiers sont arrivés (15km), la maison s'écroulait. Les matériaux étaient particulièrement inflammables et les pompiers ont dit que toutes les conditions climatiques étaient réunies, pire qu'en plein coeur de l'été. Je me retrouve donc SDF.

Dans ce triste moment j'apprécie d'avoir la chance d'être entourée d'une famille aimante, mes trois enfants et petits enfants ainsi que les amis chaleureux. Le soir même, un de mes voisin a construit une cabane à oiseau en bois, (qui m'a fait pleurer) pour la déposer le lendemain à la mairie du village, en sorte de tirelire solidaire. Une autre voisine a lancé des SOS via e-mails et dès le lendemain matin, j'ai reçu manteau, pulls et même une petite cafetière italienne. Mes copains du SEL se mobilisent aussi ce soir même, où nous avions notre réunion mensuelle. Je reçois appels téléphoniques, courriers, propositions d'hébergement et autres coups de main. C'est dans ces instants difficiles, que l'on s'aperçoit que le genre humain dont on désespère parfois est finalement généreux. J'ai moi aussi participé à des mouvements de solidarité quand d'autres se sont retrouvé brusquement dans la mouise, sans me poser de questions et là, la roue tourne... C'est la vie ! Mais par moment, chienne de vie ! C'est un peu fatiguant...

La veille de cet accident, j'étais au meeting de Mélenchon à Montpellier, levant le poing en chantant l'Internationale, la joie au cœur, avec quelques mediapartiens amis clubbistes, qui habitent près de chez moi et avec qui je milite pour des lendemains meilleurs. Je comptais vous en faire un compte rendu entre humour et enthousiasme. Nous sommes rentrés en car à Lodève et j'ai dormi chez "vieille dame" qui avait eu la gentillesse de m'héberger pour la nuit, car les routes étaient verglacées pour rentrer dans ma tanière des montagnes. Nous avons bavardé du sens de la vie jusqu'aux petites heures du matin. Je suis rentrée en début d'après-midi, allumé mon poêle à bois car ça pelait sec et commencé à lire Mediapart en attendant que la température remonte dans la maison. Soudain j'ai entendu un crépitement au dehors. J'ai bêtement cru qu'il grêlait, je suis sortie et là, j'ai vu le feu. Je n'avait qu'un cubitener d'eau potable en attendant le dégel. J'ai appelé mon voisin propriétaire avec mon téléphone portable et tout aussi stupidement j'ai commencé à vider le contenu du cubi dans un seau pour arroser les flammes des genêts qui s'embrasaient. Lui avait sauté de son jardin sur mon toit et tentait d’aplatir les flammes avec un sac de terreau. Je suis rentrée dans la maison pour attraper le téléphone fixe pour appeler les pompiers avec le 18, car impossible de me rappeler ce fichu 112 dans la panique. Peuvent pas avoir un seul numéro ?

Tout était déjà en flamme à l'intérieur, il pleuvait du feu. Un joli plafond en paillon que tout le monde admirait, qui cachait une isolation thermique admirable d'efficacité contre le froid en... Polystyrène expansé ! Tout écolo pour faire un joli brasero. Mon ami proprio m'a hurlé de sortir de là, que ça allait exploser (la bouteille de gaz) et je me suis retrouvé dans son jardin à regarder l'incendie attisé par le vent fou. Là j'ai pensé aux photos de famille, mes bébés, les photos de mes parents, grand-parents, moi petite, irremplaçables. J'avais eu la bonne idée de ramasser les albums de photos chez ma fille aînée, à Noel dernier pour les numériser... Moi qui allais avoir enfin le temps, avec ma retraite.

Puis les livres, mon immense bibliothèque, que tout le monde avait maudit mille fois, à chacun de mes déménagements et dont j'avais promis qu'ils ne bougeraient plus de là avant ma mort. Eh bien, les livres sont la dernière chose qui palpite dans un incendie, c'est très poétique. Dans la nuit, après l'intervention des pompiers, alors que tout n'était plus qu'un champs de ruine, carcasses métalliques fumantes, baies vitrées fondues, nous sommes allés surveiller les braises intempestives qui auraient pu encore enflammer la campagne alentour. Les milliers de pages battaient encore, doucement en rougeoyant, comme un cœur qui se refuse à mourir. Le lendemain matin, restaient des feuillets, qui s'envolaient au vent mauvais.

Je n'étais pas assurée, par pauvreté. Quand on est au RSA, c'est impossible, trop difficile. Venant d'avoir ma petite retraite, j'étais en train de chercher les meilleurs tarifs pour le faire. Un peu trop tard. L'expert de l'assureur de mon propriétaire est passé hier, lui même mal assuré, car ma maison était un ancien atelier que j'avais aménagé en paradis, il ne sera que peu indemnisé. Pas suffisamment pour reconstruire. Une histoire s'achève. Il va falloir en recommencer une autre page, ailleurs. Fatigue. Dans une autre tranche précédente, de cette vie nomade, j'ai créé un restaurant, qui s'appelait "Ailleurs"...

Retour vers une autre ville, une autre vie. Trouver une location d'un petit T1 ou T2, pas trop cher, en rez de chaussée pour mes béquilles et moi. Me reste ma veille voiture qui n'a pas brûlée, une chance. Je chinerais un vieux fauteuil chez Emmaus. J'épinglerais de nouvelles photos au murs, trouverais une vieille théière et des souvenirs de voyages et des tissus aux puces. Je recommencerais à faire des boutures de plantes vertes, inlassablement.

Pour les jours qui viennent j'habite chez mon fils à Millau où je garde mes petits enfants, comme c'était prévu avant l'incendie. La semaine prochaine je vais à Toulouse chez ma fille aînée, faire encore la grand-mère. Puis retour à Millau pour une semaine encore. La dernière de mes filles est en Argentine et me prête son studio à Montpellier jusqu'à fin avril où elle revient pour sa fac. Je suis donc une SDF gâtée... Une nomade de luxe ! On m'a prêté un netbook avec lequel je vous écris. Voilà, c'est reparti ! Reste une immense tristesse, mais comme j'ai surmonté pas mal de choses déjà dans ma petite vie, je sais que j'ai heureusement de la ressource chevillée au corps, une p... de vitalité et je considère ça comme une immense chance.

Et puis je suis vivante ! Pas sûre que si c'était arrivé la nuit, perchée que j'étais dans ma mezzanine-nid de marsupilamis, ça ai été aussi facile d'en réchapper... Et puis je suis française, je n'ai plus de papiers, mais j'ai la possibilité de les faire refaire, ce que certains ne peuvent pas se permettre. Et puis je vais pouvoir me reloger, je n'habite pas un pays en guerre. Et puis j'ai une famille formidable, en bonne santé et avec un boulot. Et puis j'ai pas chopé le sida malgré mes galipettes, ni le crabe malgré ses visites, je l'ai niqué ! Et puis je vais m'en tirer, pour continuer à écrire et tacher de vous donner de la joie et de la niaque, parce que c'est comme ça ! Et puis surtout parce que dans deux mois j'aurais certainement retrouvé un toit, mais surtout, surtout, on sera tous débarrassé de "l'autre", "le petit chose", "l'immonde" qui nous a pourri la France et que je veux être là, avec vous pour fêter ça !

Pour tous ceux qui m'ont proposé un coup de main et que je remercie encore collectivement, je ne souhaite, s'ils le désirent, que de toutes petites aides financières, 5, 10 €, pas plus, les petites rivières font les grands ruisseaux... Sinon, c'est moi qui serais dans l'embarras. Mes besoins sont tout petits aussi. Un jour, je renverrais à nouveau l’ascenseur, avec joie, pour d'autres, parce que c'est ça la solidarité et la vie. Et là encore, on sera nombreux.

Je suis très contente de vous avoir rencontré, vous tous là, vous êtes beaux et plein d'amour et c'est déjà ça de gagné sur les cons qui nous gâchent la vie quotidiennement, non ?

On va la refaire notre France fraternelle, j'vous jure ! On la mérite.

Bises à tous et à tout bientôt, sur nos drôles de blogs.

Annie Lasorne chez Nicolas Mirault (c'est mon fiston) 3 rue Condatomag, 12100 Millau

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