Sujet sensible s'il en est les retraites ont été et restent l'enjeu d'un bras de fer crucial avec les représentants du capital qui veulent la peau du système par répartition. C'est à une attaque en règle que nous assistons depuis la réforme Balladur de 1993 jusqu'aux attaques contre les retraites des fonctionnaires ou les régimes spéciaux, contre l'âge légal à 60 ans ou encore contre la durée de cotisation fixée à 37,5 années. Rien n'y a fait ni le mouvement social de 2003, ni celui des cheminots de 2007 ni celui de 2010; nous ne reviendrons pas sur tout ce qui, y compris et même essentiellement, du côté syndical, a réussi à mettre des bâtons dans les roues d' une mobilisation puissante mais dépourvue d'autonomie pour chercher le meilleur moyen de lever les obstacles, se développer et se porter candidate à infliger une raclée aux terroristes antisociaux de la droite.
Qu'on le veuille ou non, qu'on le regrette (j'en suis) ou pas, c'est sur le terrain électoral que, momentanément et sans exclure une relance des luttes, se trouve déportée ce qu'il faut bien appeler, à défaut d'offensive, la résistance aux démantèlements des droits sociaux dont celui à une retraite décente. Et sur ce terrain-là, comme un fruit mûr tombé des désillusions engendrées par l'échec du mouvement social mais aussi, plus profondément, plus structurellement, serait-on tenté de dire, par le rejet d'un jeu politicien qui voit depuis 1983 la droite et la gauche converger, en alternance, dans le matraquage libéral du monde du travail, eh bien, comme résultante de ces désastreux effets politiques et sociaux cumulés, nous voyons s'affirmer une prétention de l'extrême droite à incarner...la résistance ouvrière et populaire. Rien que ça !
Le sondage grandeur nature de l'élection présidentielle nous donnera une idée de l'ampleur de ce qui, de toute façon, est une menace majeure pour les travailleurs. Tout doit être fait pour "casser" dès maintenant la logique usurpatrice de la colère et de la défiance ouvrières mise en mouvement par Marine Le Pen et son Front National. Pour construire ce positionnement "populaire", celle-ci n'a pas hésité a faire subir une mue profonde au socle de références traditionnel de ce parti : il n'y a désormais, par exemple, pas plus laïque ni plus féministe (avec un gros bémol sur l'avortement) que Marine Le Pen avec, bien sûr, un ciblage des musulmanes voilées et plus généralement le développement d'une islamophobie qui déborde largement les frontières de l'extrême droite (1).
Il en va de même des retraites : la récente entrevue accordée par Jean-Marie Le Pen à France 3 (2) permet de bien mesurer le changement radical opéré. Le père avoue ne pas comprendre que sa Marine ait laissé tomber son positionnement en faveur de la retraite à 65 ans pour celui d'une retraite à 60 ans...avec ...40 ans de cotisation. Et là on se prend à penser : le FN double donc le PS sur sa...gauche (pas difficile au fond) puisque Hollande est partant pour une retraite à 60 ans avec les 41,5 annuités imposées par la droite, décotes comprises. Mais il y a mieux encore : il se place sur le même terrain que le ... Front de Gauche dont nous avons montré (3) que, favorable à un retour aux 60 ans, il accepte cependant (sans le déclarer à tue-tête !) un alignement bien réel sur les 40 ans de cotisation. 40 ans de cotisation qui, nous le savons bien, font des 60 ans une pure fiction car, à cet âge-là, la majorité des salariés n'auraient pas leur 40 annuités et se verraient donc dans l'obligation, sous peine d'avoir une retraite incomplète, de travailler plus longtemps. Comme la droite et le PS le veulent !
Alors les choses sont simples : nous sommes nombreux, très nombreux à la gauche du PS, à vouloir porter le fer politique contre le FN. Mais il faut pour cela partir de l'idée que ce danger est né, comme on l'a dit plus haut, pour une part essentielle, de la compromission de la gauche dans les attaques contre les salariés et les couches paupérisées. Et que donc il y a rien moins qu'une reconquête par la gauche du monde du travail à entreprendre qui passe par la défense intransigeante des droits sociaux. En matière de retraite cette défense ne peut aucunement entériner l'allongement de la durée de cotisation imposée par Balladur et Fillon qui participe d'un appauvrissement généralisé du salaire "continué" (les retraites telles que les appelle Bernard Friot) du peuple travailleur. Contrer efficacement et la droite, et l'extrême droite...et le social-libéralisme, cela passe certes nécessairement par un retour aux 60 ans mais, pour que ce retour soit bien le signe de ce qu'il y a peu on appelait une mesure de classe, il doit s'accompagner d'un retour aux 37,5 années de cotisation (avec probable abaissement à 35 années comme le propose Gérard Filoche [4]) qui prévalaient avant l'agression balladurienne puis fillonesque.
Il faut donc le dire clairement : Jean-Luc Mélenchon et les dirigeants du Front de Gauche, qui se disent déterminés à être les meilleurs opposants à l'extrême droite, ne peuvent plus se retrouver sur, de fait, les mêmes positions 60 ans/40 annuités que le Front National, qui plus est, en jouant d'un inadmissible faux-fuyant sur ces 40 annuités qui ne figurent dans aucun de leurs documents programmatiques. (5) Il n'est pas possible de faire ce cadeau confusionniste à souhait à cet ennemi des travailleurs : il y a incontestablement de la radicalité (et de la clarté) à mettre en oeuvre pour éviter de jouer "collé de près" avec les socialistes, un "joué collé" (40/41,5) qui est le meilleur aliment pour la montée d'un FHaine en passe de réussir le tour de force de faire oublier cette haine foncière qu'il a pour le travail et de commencer à instiller impunément de la haine dans le peuple contre les immigrés, spécialement arabes et musulmans !
Alors chiche, camarades du Front de Gauche, si on jouait vraiment à gauche sur 37,5 (35) annuités/60 ans/75 % du meilleur salaire, avec la garantie que le FN ne pourra pas suivre et avec l'immense avantage de vous mettre à distance de Hollande parce qu'il le faut bien pour être à gauche toute et ne pas relancer la machine à perdre le peuple au profit de l'extrême droite ? Avec la gratifiante cerise sur le gâteau que cela vous rapprocherait d'une unité avec le NPA qui, lui, est toujours clairement sur 37,5/60/75 ! Vous imaginez, avec dans la foulée quelques autres réajustements, la révolution que cela serait de brandir avec le NPA le drapeau d'une défense intransigeante des retraites ouvrières, de l'interdiction des licenciements comme cela avait été possible en Languedoc-Roussillon aux régionales de 2010, etc. (6)? Il faudrait revoir les candidatures de Mélenchon et de Poutou ? Ce ne devrait pas être le plus difficile même à 3 mois de l'élection ! A vérifier quand même ! Mais on n'a rien sans rien...
(2) Quand Le Pen désapprouve sa fille sur la retraite à 60 ans
(3) Front de Gauche et retraites : Mélenchon est pour les 40 ans de cotisation (vidéos) et Retraites. Hollande, Mélenchon ou le syndrome de la paille et de la poutre dans l'oeil (gauche) de l'autre
(4) 21. Prétendre imposer – sur le papier – 41 ou 42 annuités, le SEUL résultat, puisque la moyenne des salariés ne peut cotiser que 36 ou 35 annuités, c’est 6 ou 7 ans de décote.
22. Comment admettre d’allonger des annuités qui ne seront jamais effectuées et donc baisser les plus petites retraites ? Reculer l’âge de départ en retraite à pour seul effet pratique de baisser le niveau des retraites réintroduisant la misère chez les vieux.
23. Il faut prendre comme référence le nombre d’années réellement cotisées dans la vie réelle et non pas l’allongement aléatoire de l’espérance de vie.
24. Par exemple, si la moyenne réelle des annuités cotisées dans la vie réelle des salariés est de 35 annuités, la référence retenue pour une retraite à taux plein doit être de 35, si elle est de 36 cela doit être 36, si elle monte à 37, cela doit être 37…
50 arguments pour le droit à la retraite à 60 ans sans décote !
(5) Aucune échappatoire n'est possible du côté d'une suppression des décotes proposée par le Front de Gauche. Cette suppression annulerait une surpénalité bien réelle imposée à ceux qui n'auraient pas leurs annuités mais elle ne supprimerait pas la pénalité d'avoir à partir à 60 ans avec une retraite incomplète ou d'avoir à travailler (3, 4 ans,...?) au-delà de 60 ans pour avoir une retraite pleine ! Un front de gauche ne peut tout de même pas viser à faire juste un peu mieux que le FN tout en laissant encore bien mal en point l'accès à la retraite !
(6) Programme, tracts et circulaire de la liste A gauche Maintenant !