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Billet de blog 28 septembre 2012

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Bric Giscard à brac d'Estaing

Monsieur Giscard n'arrive pas à vendre son château de Varvasse, à Chanonat, dans le Puy-de-Dôme, en Auvergne, proposé depuis 2007 pour une bouchée de pain (un million et des brouettes d'euros), chez maître Perraud (connais pas), à Clermont-Ferrand.

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Monsieur Giscard n'arrive pas à vendre son château de Varvasse, à Chanonat, dans le Puy-de-Dôme, en Auvergne, proposé depuis 2007 pour une bouchée de pain (un million et des brouettes d'euros), chez maître Perraud (connais pas), à Clermont-Ferrand.

Du coup (du sort), Monsieur Giscard en disperse, ce samedi 29 septembre 2012, le mobilier, la décoration, les livres, les colifichets et tutti quanti. Monsieur Giscard a distrait ce qui l'intéressait. Puis il a encouragé sa famille à se servir. Enfin, pour la canaille, il organise une vente à l'encan des rogatons.

Illustration 1

Le papa de Monsieur Giscard, Edmond (1894-1982 ; il est mort à Chanonat), a parfaitement rempli sa vie, qui tient en quatre hauts faits. Non pas ses quatre enfants : Valéry (1926), Olivier (1927), Isabelle (1935) et Marie-Laure (1939). Quatre actions mirobolantes. En 1922, il “releva” le nom d'une trisaïeule, par la grâce d'un décret du Conseil d'État : d'Estaing s'accrochait ainsi à Giscard, suscitant un ébahissement planétaire très compréhensible et encore vif de nos jours. En 1936, alors que la valetaille causait congés payés, Edmond fit donc l'acquisition d'un château, à Chanonat (curieux comme chacun croit entendre le chuintement filial dès qu'est prononcée cette perle topographique arverne). Pendant l'Occupation, Edmond prit un risque considérable : il reçut la Francisque – son beau-père, Jacques Bardoux, siégeait au Conseil national de Vichy. Il ne lui restait plus qu'à publier, en 1949, un ouvrage qui compte parmi les plus spirituels du XXe siècle : La Monarchie intérieure, essai sur la seigneurie de soi-même.

Son mobilier n'est qu'une vaste déclinaison de ce titre admirable de livre munificent : intérieur seigneurial nous voilà ! Tous ceux qui ne verront dans son écrin qu'une sorte de château Bouygues connaîtront le courroux du ciel. Le contenant est magnifique, le contenu est mirifique.

Illustration 2

Personnellement, j'ai un faible pour le vestibule, qui respire la joie de vivre. Un vestibule, pour un président errant, ce sont des sortes de limbes politiques. On croyait Monsieur Giscard au purgatoire : il était au vestibule. Et que voyait-il, au vestibule ? Une gravure (lot 70) intitulée « Le retour du roi ». C'est ce qui l'a fait tenir depuis le 10 mai 1981 et c'est à vendre (une centaine d'euros, avec en prime « La duchesse d'Angoulême à Bordeaux »).

Illustration 3

Si vous avez deux fils qui ne demandent qu'à devenir haineux et caractériels (comme les frères Poisson de Souzy, j'en profite pour renvoyer à mon enquête sur l'étonnante imposture éditoriale de Mon père, ce tortionnaire aux éditions Jacob-Duvernet), si vous avez donc deux enfants qui mériteraient de finir névrosés, offrez leur cette chambrette :

Illustration 4

Si la Gueuse vous débecte, si vous ne toléreriez, comme Edmond, la Répubique qu'à la seule condition que votre fils aîné en devînt président, achetez sans tarder ces grigris en biscuit (porcelaine cuite au four laissée dans son blanc mat) :

Illustration 5

À Chanonat la chaleureuse, en ce riant château, tout était admirablement organisé, comme en témoigne cette cheminée, alimentée par des livres de chauffage parfaitement alignés, comme les bûches en d'autres milieux moins aisés. Tous ces volumes à brûler sont à vendre. Monsieur Giscard souhaite de belles flambées aux heureux acquéreurs.

Illustration 6
Illustration 7

Pour se faciliter la tâche, la famille Giscard avait inventé un système ingénieux qui permettait d'atteindre les volumes à combustion lente, situés au sommet, selon une tradition remontant à Louis XV : un attrape-bouquins, un décroche-volumes « en bois patiné acajou, présentant sept marches et deux rampes » (lot 175, estimé 600/800 €). Cette dynastie ingénieuse avait décidément plus d'un tour dans son sac. Il lui a juste manqué un second (voire un deuxième) septennat, dans une existence bénie des dieux et des commissaires priseurs.

Ne manquez pas l'endroit du château où le président Giscard déclame invariablement, de sa voix envoutante (la France ne s'en est toujours pas remise), du Baudelaire : « Bientôt nous plongerons dans de froides ténèbres. »

Illustration 8
Illustration 9

Vous noterez que par un souci d'économie ménagère qui l'honore, Monsieur Giscard conserva toujours le même interrupteur électrique, qui faillit cependant avoir la peau d'augustes visiteurs de passage (le chancelier Schmidt, Henry Kissinger, ou Nicolas Sarkozy durant sa campagne de l'an de grâce 2007).

Le clou absolu demeure ce lieu charmant par excellence, gai comme un pince-fesse. C'est ici que s'est forgé le côté cool de Monsieur Giscard. C'est ici que lui vint cette idée qui prit quasiment la nation par les sens de 1974 à 1981: la « décripation ». Pour comprendre le for interieur du président Giscard, plongez-vous dans la contemplation de sa petite salle à manger :

Illustration 10
Illustration 11

Un scoop, enfin (Mediapart oblige) : on a retrouvé les objets qu'allait récupérer Monsieur Giscard, au bout d'un studio de télévision, en ce printemps malvenu d'il y a trente et un an, après son déchirant « au revoir », qui résonne lugubrement dans la mémoire nationale :

Illustration 12

Pour tous ceux auxquels un tel avant-goût ne saurait suffire : direction le catalogue de Me Aguttes (cliquer ici).