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docteur en droit, avocat spécialisé en droit public et en droit de l'environnement, enseignant à l'Université Paris I

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Billet de blog 5 juillet 2015

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Le référendum grec : une victoire de la « vraie » démocratie ?

L’organisation par le Gouvernement grec d’un référendum populaire sur la proposition de plan d’accord sur la dette, a été généralement saluée comme une victoire de la « vraie démocratie ». Pourtant, contrairement à une idée répandue, le référendum n’est pas un instrument si démocratique.

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L’organisation par le Gouvernement grec d’un référendum populaire sur la proposition de plan d’accord sur la dette, a été généralement saluée comme une victoire de la « vraie démocratie ». Pourtant, contrairement à une idée répandue, le référendum n’est pas un instrument si démocratique. Et son organisation en Grèce témoigne d’un affaiblissement préoccupant de la démocratie représentative.

Le référendum, symbole de la démocratie. Il est acquis que, dans une démocratie, le pouvoir procède du peuple. L’idée est également répandue que, plus le peuple peut exercer directement de pouvoir, plus la démocratie dans laquelle il vit est véritable. Cette idée est de plus en plus répandue si l’on en juge par le succès que rencontre le projet d’une « démocratie participative » où le citoyen pourrait réellement peser sur les choix publics. Peu importe que cette idée soit si imprécise qu’elle puise conduire à des dérives très peu démocratiques. La majorité peut en effet se montrer tyrannique et les nouveaux Robespierre savent convaincre qu’ils parlent, eux, au nom du peuple.

Pourtant, organisé par la « mère de la démocratie », le principe même du référendum grec ne souffre d’aucun débat. Symbole de la « vraie » démocratie, nécessairement « directe », il permettrait de rendre la parole au « peuple », bâillonné ou ignoré par des technocraties menaçantes. Le référendum va donc enfin permettre aux vrais gens de dire ce qu’ils pensent de la crise qui affecte leur pays et leurs conditions de vie. Cette présentation romantique du référendum grec est peut-être tout à fait fausse. Ce dernier n’est pas tant une victoire de la démocratie directe que la preuve d’un affaiblissement de la démocratie représentative.

Car la démocratie représentative est prise en étau. D’un côté, les administrations estiment que la crise économique exige des réponses rapides que le temps du débat parlementaire ne permet pas. De l’autre, les citoyens retirent leur confiance aux acteurs du suffrage universel. En Grèce, pour négocier avec ses créanciers, le Gouvernement a choisi, non de faire débattre son parlement mais d’interroger directement ses citoyens. Avant de reprendre contact avec l’administration européenne sans besoin de passer par le Parlement. Ce choix est majoritairement conçu comme démocratique. Pourtant, a bien y regarder, ce choix présente de nombreuses limites.

Quelle question ? Il est banal de rappeler que la sincérité du référendum dépend de la question posée. La rédaction d’une question peut permettre d’orienter la réponse attendue. Les instituts de sondage le savent : le sens d’une question et les conditions dans lesquelles elle est posée ont une influence sur la réponse à venir. Au cas présent, la question posée, par sa complexité, contraste singulièrement avec la simplicité de la réponse qui peut être apportée :

« Faut-il accepter le plan d'accord soumis par la Commission européenne, la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI) lors de l'Eurogroupe du 25 juin, qui est composé de deux parties : Reforms for the completion of the current program and beyond (Réformes pour l'achèvement du programme en cours et au-delà) et Preliminary debt sustainability analysis  (Analyse préliminaire de la soutenabilité de la dette) ? »

La question est tout sauf neutre. Elle débute par ces termes « faut-il accepter ». Ils traduisent une idée de contrainte, de privation de liberté. Pour l’auteur de la question, nul doute : les partisans de la liberté n’accepteront pas cette contrainte. Faut-il accepter ? Non. D’autant plus que la contrainte vient d’institutions lointaines et sans visages : la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international. La fameuse « Troïka ». De plus, leur proposition est très peu sympathique. Difficile de ne pas remarquer la froideur, voire le caractère très peu humain des intitulés des « deux parties » du plan d’accord : « Reforms for the completion of the current program and beyond » et « Preliminary debt sustainability analysis ». Nullement un programme qui fasse rêver quiconque. La question posée n’est pas donc pas très ouverte. Sa rédaction tend déjà à imprimer un sentiment de rejet, de « non », de la part du citoyen appelé à voter.

Quelle information et quel débat ? En droit de l’environnement, le principe constitutionnel de participation du public suppose pour être effectif, que le public appelé à exprimer son avis dispose d’une information suffisante. Au cas présent, ce référendum tend à demander aux citoyens grecs de se prononcer sur une proposition dont ils ne disposent pas. Plus étonnant encore, cette proposition n’existe plus puisqu’elle a été, depuis, retirée. Non seulement, l’information est insuffisante mais, en raison de sa complexité, il aurait été précieux de donner au débat démocratique le temps d’avoir lieu. Or, au cas présent, ce débat n’aura duré qu’une semaine. Ce qui aggrave l’un des principaux inconvénients du référendum : la personnification du débat. La question posée n’est plus tant de dire oui ou non à la proposition de la commission européenne mais de dire oui ou non à tel ou tel responsable politique de la majorité ou de l’opposition. Absence d’information, débat expédié et personnifié : la parole est certes donnée au peuple mais dans des conditions discutables.

 Qui répond et quelle réponse ? Le référendum grec permet à tous les grecs inscrits de voter. La solution paraît ouverte. Elle ne l’est pourtant pas. Tout d’abord, la question posée n’intéressant pas que l’avenir de la Grèce, il est permis de penser que tous les citoyens européens auraient pu se prononcer. Pour ce faire, la consultation et l’association du Parlement européenne à la négociation sur la dette d’un Etat membre n’aurait pas été inutile. Par ailleurs, ce n’est pas l’avis de tous les citoyens grecs qui sera lue mais la seule réponse de la majorité. Or, la démocratie libérale ne se résume pas, contrairement au référendum, à l’expression de la majorité. Enfin, la réponse de la majorité est à ce point simplifiée – oui ou non – qu’elle appellera inévitablement un travail d’interprétation : qu’a voulu dire cette majorité ou pour quels motifs ? De ce point de vue, le référendum est très pratique pour parler à la place des gens qui n’ont pu prononcer qu’un seul mot : oui ou non. Enfin, d’inévitables sondages permettront toutes les supputations sur les motifs pour lesquels le oui ou le non l’aura emporté et plus moins largement.

La crise efface les parlements. Loin d’être un idéal de démocratie, le référendum en général est même, par certains aspects, son contraire. Il n’est donc pas certain que le référendum grec sur la dette soit une victoire de la « vraie » démocratie. Il est surtout la preuve de l’absence totale de nos élu(e)s des négociations qui intéressent l’avenir de l’Europe et de ces citoyens. Le référendum est ainsi un outil au service des exécutifs pour continuer à monopoliser les discussions en cours, sans besoin d’y associer les parlements européens et nationaux.

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