C'était la dernière au théâtre des quartiers d'Ivry, autant dire que c'est avec émotion que le cycle les miroirs d'Algérie se concluait dans cette ville, autrefois ouvrière et toujours engagée, avec un Maire communiste.
Il y a quinze jours la pièce de Nasser Djemaï, Invisibles, racontait une histoire des «chibanis» il n'y avait donc que des comédiens. Cette fois-ci c'est la pièce de l'auteure et actrice Rayhana, à mon âge je me cache encore pour fumer, qui se déroule dans un hammam, le jour des femmes, avec neuf comédiennes.
Autour de Fatima (Marie Augereau) l'expérimentée masseuse et de Samia (Linda Chaïb) l'apprentie masseuse, un groupe de femmes dont nous découvrirons la vie, le quotidien, d'où elles viennent, ce qu'elles ont «enduré», ce qu'elles supportent toujours, mais aussi ce dont elles rêvent encore.
C'est en pleine guerre civile qui vient se cacher, une jeune femme enceinte, abandonnée par le père de l'enfant à naître. Elle fuit son frère, venu de France pour la châtier et Fatima saura trouver l'endroit où elle puisse se reposer et se préparer aux contractions qui commencent à se manifester.
Samia, vient de faire un rêve où elle se voit trouver l'amour et l'homme qu'elle attend, pour pouvoir à 29 ans quitter ses parents qui l'ont empêchée de faire des études.
Fatima va accueillir tout ce monde, comme une palette de situations sociales et familiales diverses, dès l'épouse amoureuse, à la jeune étudiante ayant osé le divorce, la belle-mère acariâtre et exigent sur les principes inscrits dans le «livre» qui protège son fils dans toute circonstance, ou la jeune veuve, toute voilée qui raconte comment la police a contribué à l'évolution «religieuse» du père de ses enfants, mort en martyr. Pour elle ses enfants sauront honorer et suivre la «parole de leur père vers Dieu».
Bouleversant le récit de la nuit de noces d'une enfant de dix ans mariée à un ami de son père, qui arrache des larmes à plus d'un. Avec beaucoup d'humour par ailleurs, le «trafic» bien installé, des immigrés qui vont de France chercher «femme» au pays, grâce à ces réseaux-artisanaux.
Invités dans l'intimité de ces femmes, nous suivons tantôt avec des rires, parfois des séquences hilarantes, tantôt avec gravité et émotion leurs échanges, leurs conflits, leurs affrontements, leurs complicités jusqu'à leur solidarité pour affronter le frère barbu, comme le symbole d'une nouvelle malédiction, et sauver sa jeune sœur et son enfant .
La scène initiale, est d'une grande poésie et sensualité, Fatima qui se lave avec des gestes doux et lents dans la pénombre du hammam, avant l'ouverture. Comme si elle nous conduisait vers ce lieu d'intimité qui devient vite un lieu de vie, à l'image de la «société du dehors» mais sans rien esquiver, une sorte d'espace de liberté qui est celle aussi de la parole qui exprime la colère, la tendresse et la fraternité qui les rassemble pour la séquence -l'épreuve- finale.
Il faut souligner la qualité du jeu de toutes les comédiennes, dont Marie Augereau et Linda Chaïb remplissent avec maîtrise et force leurs rôles-piliers de ce beau spectacle de théâtre dont le seul homme est le metteur en scène, Fabian Chappuis.
Nous nous disions, avec un groupe de jeunes, après le spectacle de ce dimanche électoral, l'importance de le montrer, le faire voir aux jeunes générations de garçons et filles, pas comme exercice pédagogique mais comme révélateur d'une séquence d'un quotidien qui nous est bien proche et qui nous apprend tellement de choses.