La semaine a été agitée à Limoges. Un jeune de 13 ans, accompagné par deux éducatrices pour une audience chez le Juge des Enfants de Limoges, s'est fait la belle le 15 janvier 2014, la deuxième en deux jours. Sans doute pas la dernière fois qu'un jeune essaie de fuguer et réussi s'il a été placé contre son gré dans un foyer ou un centre éducatif. Mais là il s'agit d'un mineur bien connu de la police et des éducateurs. Dès très jeune qu'il commet des infractions pénales. Une soixantaine de procédures entre la fin 2012 et début 2013, à l'âge de 12 ans (il est né en février 2001).
Dit multirécidiviste, réputé violent, un appel à la prudence du commissariat de Limoges, concernant ce jeune garçon, a été lancé, suite à une énième violence pour dérober un téléphone portable. Il s'était enfoui d'un centre éducatif fermé (CEF), situé dans la Loire.
Un éducateur qui l'avait connu, a déclaré que «sa vie est marquée par l'instabilité». C'est une famille de cinq enfants, de trois pères différents, touchée par la toxicomanie. Ce garçon aurait déjà vécu dans la rue, en famille d'accueil, en foyer éducatif.
Placé en maison d'arrêt spécialisée pour mineurs hors du Limousin, ce qui est une mesure exceptionnelle pour un jeune de son âge. Du fait de sa fugue du Tribunal cette sanction pénale st rendue possible (pour 15 jours, renouvelable une fois) et le Juge des Enfants devra statuer dans un mois, pouvant ordonner un placement en centre fermé, qui peut être assorti d'un contrôle judiciaire.
Reste le devenir de ce jeune garçon, dont la presse locale, Le Populaire présente comme La terreur de Limoges ! http://www.lepopulaire.fr/limousin/2014/01/15/la-terreur-de-limoges-est-a-nouveau-dans-la-nature_1836393.html
* * L'avenir
Et à propos d'avenir, dans l'édition du Canard Enchaîné du même jour, la chronique judiciaire de Dominique Simmonot, («coups de barre» à ne pas rater les mercredis...), raconte une histoire édifiante. L'audience avec le «grand Jérémie», qui a peut-être suivi un chemin éducatif semblable à celui du jeune terrible de Limoges.
Le jeune homme était jugé pour une affaire de violation de domicile, dans le pavillon d'un quartier riche. Ayant surpris une dame d'un certain âge qui se séchait les cheveux, il a pris 300 euros et la carte bancaire qui lui a permis d'ajouter 200 au butin.
La Présidente du Tribunal de Nanterre dans les débats aborde un autre dossier pour «violation de domicile» qui aurait pu être joint au premier. Elle ne le fait pas, parce que l'avocat n'est pas encore là. D'ailleurs, dit la Présidente «On vous a pris parce que nous n'avions personne d'autre à juger, les autres affaires n'étant pas prêtes». Quand l'avocat de l'autre affaire arrive, la Présidente s'exclame «Ah, maître vous voilà! Nous aurions préféré joindre les dossiers, vous vous en doutez, mais c'était impossible. Nous allons renvoyer celui-ci». En s'adressant à Jérémie: «Monsieur, nous renvoyons, cela vous donne un mois pour préparer votre défense... -Je m'en fous, madame!»
Il a tout de même été condamné à cinq ans dont quatre ferme pour la première affaire. «En trente minutes à peine, c'est un record», commente Dominique Simmonot, qui nous présente brièvement ce grand garçon «placé en foyer de 3 à 18 ans, Jérémie n'a pas connu son père, ni vu sa mère depuis dix ans. Il vit du RSA, a été technicien informatique». Et le jeune homme, dans une sorte d'auto-explication «...si on ne m'avait pas incarcéré à 14 ans, j'aurais pas sombré. Je ne suis pas perdu, j'entame une formation informatique...».
Pas sûr que Madame la Présidente l'ait entendu ou compris ce qui signifie pour le grand Jérémie cette façon de mener l'audience, d'agencer les affaires et les mots, d'être considéré comme un sans droit de se raconter dans ce lieu solennel d'application du droit! On ne sait jamais s'il y a quelqu’un qui supervise les dires et actes des Magistrats. Pour aider Jérémie à s'en sortir il en faudrait bien...

* * * Récidivistes
En 2008, dans son livre Récidivistes (*) le juge Serge Portelli ne juge pas mais à travers douze portraits il nous livre matière à réflexion et peut-être à «jugement»... Douze «vignettes cliniques» sur la vie de récidivistes.
En lisant ces récits de vie en situation d'audience pénal, on a toujours le sentiment que quelque chose a manqué en amont. «On peut toujours écrire l'histoire après coup» mais il ne s'agit pas de ça. Il s'agit de comprendre comment nous contribuons avec nos institutions, nos systèmes, nos certitudes politiques en lieu et place des valeurs de la démocratie, à laisser sur le chemin les Jérémies ou les «terreurs de Limoges ou d'ailleurs».
Serge Portelli nous conduit dans le prétoire où des Magistrats cherchent, en fonction des dossiers qu'on leur attribue à juger « au mieux », souvent dans des conditions qui empêchent d'aller plus loin, au fond des choses, tant les audiences sont chargées, les moyens limités et après tout, dirait Madame la Présidente de Nanterre évoquée par Dominique Simmonot, «il n'y a pas grand chose à en tirer».
Parfois, précise Serge Portelli, on cherche à comprendre davantage, on demande une expertise, une nouvelle enquête sociale. Et de son livre, il ressort trois points à souligner, les besoins de soins qui ne seront jamais suffisamment effectués en prison; la violence dans le milieu carcéral ; les actions éducatives en amont et notamment pendant la minorité.
* * * * Ces histoires n'ont pas de lien entre elles. Sauf qu'on pourrait interroger les parents du jeune de Limoges ou du grand Jérémie. On pourrait aussi dire que c'est la violence de la société, les délinquants le sont de plus en plus tôt et de plus en plus violents. C'était le discours «officiel» des années Sarkozy. Ce n'est plus le discours officiel mais cela reste comme le sentiment général dans le grand public. Et cette façon de dire et de l'exprimer (voire les commentaires aux articles parus dans les sites du Populaire du Centre, ou http://www.charentelibre.fr/2014/01/15/limoges-la-terreur-de-13-ans-s-est-encore-echappee,1874919.php), est d'autant plus inquiétante qu'on entend pas de la part des autorités, sinon des réponses, au moins une analyse qui globalise et puisse permettre une réflexion systémique, pour une politique qui le soit également.
Que peut dire l’Éducation Nationale qui a connu ces jeunes dès l'école primaire sinon maternelle, plus préoccupée par un enseignement de masse et de réduction d'effectifs, alors qu'il serait dans cette étape scolaire que l'investissement pour l'avenir devait s'élaborer. Les mesures éducatives, judiciaires ou administratives,qui mériteraient d'être repensées beaucoup plus en synergie avec les autres professionnels de l'éducation, de la santé voire des forces publiques. Et ces magistrats, dont la caricature de la Présidente de Nanterre n'est pas rare, qui font peu de cas... et de lien avec les Magistrats de la Jeunesse.
Le jeune "terreur de Limoges" et Jérémie, que nous demandent-ils? Que sommes-nous en capacité d'entendre?