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Billet de blog 13 juin 2014

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Pub enfants : rien ne vaut un bon jeu video

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En décembre 2004, Le Monde Diplomatique titrait l’un de ses articlesDe l’enfant-roi à l’enfant-proie. Internet, consoles et tablettes sont les nouvelles serres des annonceurs.

Les industriels qui travaillent sur des produits enfants sont trop gentils. Imaginez que jamais ils n’ont pu penser que les jeux vidéo qu’ils créaient sur leurs sites ou la pub qu’ils inséraient dans les videogames ne puissent provoquer la prescription d’une marque. C’est juste pour les distraire. Mais, figurez-vous que cela pourraient les influencer.

«Volontaires» ou contraints, dans de nombreux pays, ils se sont engagés à ne plus placer de spots TV dans les émissions destinées aux enfants de moins de 12 ans. Selon ces pays, des lois d’interdiction ont été votées, comme en Grande-Bretagne en 2007. En France, toute un série de «chartes d’engagement ont été signées depuis plusieurs années » par le BVP (devenu l’ARPP). Seule une loi, négociée pendant des années, oblige les fabricants à faire figurer des messages «sanitaires» sous leurs spots. Leur autre choix était de payer 3% du montant des investissements publicitaires qui auraient été versés. Les industriels optèrent tous pour le message sanitaire. Etonnamment, les industriels de tous ces pays s’y sont soumis de bonne grâce et très rapidement. Pour trois raisons très simples :

-Tout d’abord, les moins de 7 ans ne savent pas lire et même quand ils le savent, ils ne comprennent pas le message (cf. ma note  à ce sujet.

-Ensuite, les moins de 12 ans sont beaucoup plus nombreux à regarder les émissions après 20 heures, comme The Voice ou autres jeux à la c… populaires que celles destinées aux enfants après vingt heures. Comme le constate, en France, une étude dl’UFC Que Choisir en 2010 «93% des publicités pour des gras de mauvaise qualité nutritionnelle figurent désormais durant les écrans tous publics, regardés par un nombre d’enfants encore plus important que ceux des programmes pour enfants (75% d’audience supplémentaire, source chiffres Médiamétrie-Médiapart pour les enfants de 4 à 10 ans)». Mais ce n’est plus de la responsabilité des annonceurs, mais celle des parents : ils n’ont qu’à envoyer leurs enfants au lit!

-Enfin, et c’est le plus important, qu’il s’agisse de loi ou d’auto-régulation, toutes ces recommandations, dans tous ces pays, avaient oublié le média Internet. Les annonceurs se sont engouffrés dans la brèche. Après les consoles, ils se régalent encore plus depuis l’arrivée des smartphones et autres tablettes avec des centaines d’applications.

Des recherches universitaires convergentes sur les advergames

En octobre 2013, des chercheurs de la Michigan State University ont publié les conclusions d’une étude - financée par the National Institutes of Health, une institution gouvernementale - sur le comportement des enfants face à ces jeux. Leur conclusion est claire et évidente : leur influence est considérable.

Les chercheurs se sont concentrés sur des advergames des sites de marques alimentaires auxquels jouaient le plus activement les enfants de 2 à 11 ans. Sur 143 sites observés, 439 marques faisaient leur promotion via des jeux vidéo. Ils ont constaté que les jeux qui attiraient le plus d’enfants étaient justement pour les produits qui étaient les plus caloriques, pour l’essentiel les céréales, les snacks sucrés, les boissons sucrées, les produits de confiserie et les soupes. Ces advergames ont tous les avantages :

-Selon cette étude, la tactique de persuasion est bien différente. A la télévision, il y a une séparation nette (et obligatoire) entre information et publicité. Avec ces jeux, cette ligne disparaît complètement même si elle est souvent précisée par écrit, tout en bas de l’écran. Et encore, selon d’autres études, un enfant ne fait pas la différence entre publicité et programme avant l’âge de huit ans.

-Contrairement à un spot TV qui ne dure que 30 secondes, jouer sur ces jeux online leur prennent beaucoup plus de temps (heureusement, certains jeux prennent la peine d’indiquer à l’enfant «tu joues depuis plus de 30 minutes, fais une pause». Quelle mansuétude). Mais surtout «The advertising is the entertainment». Et plus il joue, plus il est exposé au logo, au nom de la marque ou de sa mascotte.

- Comme l’expliquait une étudiante dans la présentation d’un master à propos de l’in-gaming – de la pub insérée dans des jeux existants mais qui vaut aussi pour les advergames «maison» – : «Le in-game advertising offre aux annonceurs du «temps de cerveau disponible» de très bonne qualité. Quand ils jouent, les gamers sont en effet imperméables aux sollicitations extérieures».

Cela vaut bien mieux que tous les spots TV !

Remous en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis

Aux Etats-Unis, des associations – et parfois le gouvernement – se battent, en vain, depuis des années. Au Royaume-Uni, depuis quelques semaines, les sociétés alimentaires et les fabricants de boissons sucrées sont sur le gril, accusées de proposer des jeux on line sur des produits qui incluent en outre des écrans publicitaires. Comme aux Etats-Unis, les marques, interdites de publicité sur les écrans des émissions enfants, ont trouvé la parade sur Internet. Certains chercheurs de l’Université britannique de Bath considèrent que jusqu’à l’âge de 15 ans, un enfant ne fait pas la différence entre advergame et publicité et est influencé sans en avoir conscience. Ainsi, selon l’un des auteurs de l’étude, une préférence de marque peut s’opérer après 10 ou 15 minutes de jeu.

Qu’il s’agisse des experts américains, britanniques ou australiens, tous recommandent des réglementations beaucoup plus strictes. Un récent documentaire, publié sur Channel 4 en Grande-Bretagne a eu un effet de détonateur. Sources :warc.comThe Telegraph

En France, l’ARPP et le gouvernement (quel ministère ?) restent sereins

L’ARPP, en décembre 2010, a publié une nouvelle recommandation de «protection des enfants et adolescents» concernant la communication digitale, entre autres sur les enfants (Chapitre 2).

Incitant les émetteurs à être «vigilants», en publiant de nouvelles qui reprennent les mêmes que celles, classiques, de la communication publicitaire sur les grands médias, dont «ne pas exploiter l’inexpérience et la crédulité des enfants ou adolescents».

Petit détail plus ennuyeuse : «s’agissant des sites, portails ou autres supports ou services numériques destinés principalement aux enfants et adolescents, il est particulièrement important de veiller à ce que l’objet du message publicitaire et son contenu ne leur soient pas préjudiciables». Traduction : vous pouvez diffuser des messages publicitaires sur les cibles enfants.

Enfin, comble de l’attention portée à la protection de l’enfance : «afin de favoriser la confiance que le public doit pouvoir porter à la publicité, il est recommandé d’utiliser les informations de ciblage (utilisation d’informations comme l’âge ou la date de naissance, etc.) afin d’éviter que les enfants et adolescents soient exposés à des contenus publicitaires susceptibles de leur porter préjudice». Traduction : vous pouvez utiliser ces données. Imaginez la joie de l’enfant quand le singe Coco lui fêtera lui-même son anniversaire ! Même les adultes se laissent prendre à ce piège.

Explosion de l’advergaming et de l’in-gaming

Il n’a fallu longtemps à certains industriels pour respecter ces nouvelles recommandations… en créant des advergames sur les sites, en les proposant également sur les sites de jeux gratuits ou ayant recours à l’in-gaming qui consiste à insérer de la publicité dans les jeux les plus célèbres. Ces jeux s’adressent à des enfants dès l’âge de 4 ou 5 ans.

Tout d’abord, précisons que dans les quelques exemples que j’ai observés, les réglementations légales sont respectées, notamment les obligations envers les parents.

Les marques de céréales ont été très actives, celles au chocolat notamment. Citons par exemple le site Chocapic de Nestlé, le joystick est une céréale que l’enfant tient dans sa mainet le compteur est un tube qui se remplit progressivement de chocolat. Sur le site de Cocopops de Kellogg’s il s’agit de gagner le maximum de céréales. L’enfant peut choisir son avatar, bleu pour les garçons, rose pour les filles bien sûr. Toujours chez Kellogg’s le site des jeux Trésor (dont le nom estidol.chocovore, tout un symbole !), il s’agit de partir à la recherche du totem Chocovore et la marque propose une application à télécharger. Mais la catégorie des céréales n’est pas la seule, loin s’en faut, produits de confiserie, boissons sucrées et fast-food naturellement sont également inventifs. Dernier exemple en date, le Happy Studio de McDonald’s, parmi les jeux, pas de sandwich, ni de frites, ni de fruits, mais une seule prosopopée comme nouvelle mascotte, la boîte stylisée du Happy Meal, (avec un chapeau en logo McDo, la même que le célèbre jeu américain happymeal.com), produit consommé surtout par les plus de douze ans, comme chacun le sait.

Les advergames sont également utilisés sur les réseaux sociaux, comme outil permanent ou promotionnel, et Facebook en est un relais essentiel. A l’observation des scores du baromètre de l’engagement de l’institut Millward Brown, on constate que le nombre de fans explose lors de telles opérations. L’un des sites le plus performants depuis plusieurs années est celui des jeux d’Oasis. Et les marques de confiserie font souvent partie du top en nombre de fans. Citons l’une des dernières opérations de Granola (Mondelez, ex-Kraft Foods) sur Facebook pour fêter son millionième fan sur ce réseau social, annoncée début mars 2014 dans la lettre de CB News, une brève titrée « Granola ou le cliqueur fou ». Il s’agit de cumuler un million de clics sur l’image d’un Granola. Selon cet article, «Le jeu a été expérimenté en laboratoire : il faut une moyenne de 27 heures de clics réguliers pour y parvenir». L’idée est donc de créer des équipes. Les dotations pour ceux qui dépassent le palier de 100000 ou 500000 clics (vous avez bien lu) sont des produits hi-tech. Enfin, exemple de Hello Kitty Online (HKO) qui se flatte d’être le premier et le plus important des jeux en réseau pour enfants.

L’in-game advertising, moins cher et peut-être aussi «efficace»

Rappelons brièvement quelques techniques de l’in-game advertising insérée dans les jeux les plus connus : la pub inséree comme un grand media classique (panneau d’un stade de foot) ; le placement de produit ; des liens externes dirigeant les joueurs vers le site Web de la marque. Ou encore du sponsoring, dans les jeux de sport notamment où les joueurs portent le logo de la marque.Cette publicité peut être «statique» (la même pour tous) ou «dynamique», c’est-à-dire qu’elle peut changer selon la localisation géographique mais surtout en fonction des caractéristiques concernant les joueurs. Toutes les grandes marques s’y essaient, McDo faisant figure de pionnier dans le domaine.

Les avantages de l’in-gaming sont nombreux, pas besoin de créer les jeux et des sites spécifiques, une audience beaucoup plus large puisque les jeux sponsorisés sont très connus, et enfin, comme le souligne cette même étudiante - décidemment très pertinente - dans son mémoire, «dans un jeu, il faut être très attentionné à l’environnement […] Observation, mémorisation et analyse sont les maîtres mots du bon gamer». Elle insiste aussi sur le phénomène de répétition : «Il faut recommencer parfois des dizaines de fois un même niveau pour en arriver au terme. Ce sera autant de contacts avec la marque». Enfin, «Il faut recommencer parfois des dizaines de fois un même niveau pour en arriver au terme. Ce sera autant de contacts avec la marque. De plus elle obtient des chances d’être citée lorsque le joueur communique avec ses amis soit en direct pendant la partie pour se repérer dans le monde virtuel, soit en réel lorsqu’il parle avec ses amis de ses avancées dans le jeu».

Il existe bien sûr bien d’autres outils, souvent qualifiés de « ludo-éducatifs » pour séduire les enfants sur Internet. En 2011, The British Heart Association a publié un rapport très intéressant sur les stratégies des marques sur Internet sur la cible enfants que vous pouvez télécharger ici. J’y reviendrai.

Petit rappel, à partir de quel âge un enfant devient-il prescripteur ? 18 mois.

Comme le disait déjà Tim Manners, en 2007, spécialiste du marketing et éditeur du site reveries.com. «Les hommes de marketing devraient développer leur créativité à essayer de résoudre le problème d’obésité plutôt que d’y contribuer».

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