
A l'occasion de la projection-rencontre du film Amerrika, organisée dans le cadre de la séance#6 [Les Ecrans d'Emmaüs], Belleville en vues a rencontré l'actrice-réalisatrice Hiam Abbass pour échanger notamment sur la genèse du film, la réalisation de son premier film de fiction Héritage et ses projets de théâtre.
Hiam Abbass nous a fait le plaisir d'être avec nous pour échanger autour du film Amerrika le mercredi 18 mars, à 20h30, à l'Espace culturel Emmaüs Louvel-Tessier.
AMERRIKA de Cherien Dabis (2009 / USA, Canada, Koweït / 1h32)
Mouna, divorcée et mère d'un adolescent, est une femme palestinienne enthousiaste et optimiste. Au coeur des territoires occupés, le quotidien est pourtant éprouvant et l'horizon morose. Et puis un jour, quitter cette vie et aller travailler aux Etats-Unis devient possible : étrangère en son pays, Mouna peut bien l'être ailleurs. Elle part alors avec son fils Fadi rejoindre sa soeur, Raghda, installée depuis 15 ans au fin fond de l'Illinois.
Belleville en vues : Comment avez-vous été contactée par la réalisatrice Cherien Dabis pour jouer Raghda, la sœur de Mouna ?
Hiam Abbass : Cherien connaissait mon travail et m'a envoyé le scénario via mon agent aux Etats-Unis. J'ai lu le scénario et bizarrement au début, je ne savais pas du tout quel rôle elle voulait que je joue. J'ai compris que le rôle principal était incarné par une femme forte et que je ne l'étais pas. Quelques mois après, je me suis retrouvée jurée au Festival de Berlin et Cherien y était également pour présenter son 2ème court métrage Make a wish. Elle m'a contactée et nous nous sommes rencontrées à ce moment-là. Comme c'est une femme palestinienne jordanienne américaine, j'avais des liens avec elle par rapport à ma propre histoire et nous nous sommes très bien entendues. Nous avons beaucoup parlé et elle m'a dit que si j'avais 20 kilos de plus, je pourrais interpréter Mouna. C'est comme si elle me testait pour savoir si j'étais prête à prendre 20 kilos. Comme c'est une année où j'allais enchainer beaucoup de rôles, prendre 20 kilos n'était pas vraiment envisageable pour moi. A partir de là, nous sommes parties sur le rôle de Raghda.

Belleville en vues : Le personnage de Raghda, que vous interprétez, parle d'elle même comme d'un arbre déraciné. Elle se sent nostalgique et dans le désir de revenir dans son pays. Comment le personnage de Raghda résonne avec votre histoire personnelle ?
Hiam Abbass : Il n'y a pas nécessairement de résonances entre moi et les personnages que je joue. A partir du moment où l'histoire et le rôle me plaisent, j'essaie de faire le travail qui me permet de cohabiter avec le personnage pendant la durée du tournage.
Par rapport à Raghda, je suis déracinée mais je ne ressens pas la même nostalgie. Quand je repense à mon passé, cela passe plutôt par de bons souvenirs qui m'ont aidés à grandir et à avancer dans la vie. Pour moi, la nostalgie peut avoir ce côté négatif du ressassement qui ne m'intéresse pas dans la vie. Les bons et les mauvais souvenirs habitent notre être mais ne doivent pas nous empêcher de vivre dans le présent et de se projeter. Je n'ai pas cette amertume du déracinement. On ne m'a pas expulsée, je n'étais pas menacée. J'ai choisi de quitter mon pays pour aller voir ailleurs. Je n'ai jamais pensé que j'allais vivre ailleurs toute ma vie. A l'opposé de Raghda, je garde mon arbre à la surface pour pouvoir l'arracher facilement et le replanter très vite ailleurs pour qu'il continue à vivre.
Belleville en vues : Que signifie l'exil pour vous ?
Hiam Abbass : Comme j'ai choisi ma vie, c'est difficile d'utiliser ce mot qui a une connotation très importante pour des gens qui n'ont pas eu ce choix là. Je ne peux pas me comparer à des gens, qui par malheur, la dureté de la vie, la politique d'un pays, sont obligés de vivre un exil. Moi mon exil, je le vis avec désir et un amour de la vie. Je suis en France depuis plus de 25 ans. Je me sens totalement française, je maîtrise la langue, la société, je comprends la politique, je suis citoyenne. Je n'ai plus cette notion d'exil. Après je suis loin de mes parents, mais c'est autre chose. Je ne suis pas interdite de retour. L'exil pour moi est une richesse dans mon parcours m'ayant permis de devenir quelqu'un de plus ouvert qui voit l'autre dans sa différence et l'accepte.

Belleville en vues : Comment s'est déroulé le tournage d'Amerrika ?
Hiam Abbass : On a beaucoup rigolé ! Je crois qu'avec Cherien, on s'est découverte. Elle me voyait toujours très sérieuse à travers les films dans lesquels je jouais. Et d'un seul coup, elle a découvert une comédienne complètement ouverte à l'impro. Comme elle aime faire des films composés de situations comiques, j'ai découvert que j'étais capable de faire rire dans un film. A travers Amerrika, j'ai compris que la comédie pouvait être portée par la situation que l'on joue et pas forcément par les mots que l'on dit. Ce n'est pas la comédie verbale, c'est la comédie par situation et les mots viennent alimenter cette situation. C'est ce qui m'a plu dans le film d'ailleurs.
C'est un film qui s'est fait avec peu de moyens. La production a notamment économisé de l'argent en tournant à Winnipeg au Canada, ville libre de taxes. Winnipeg ressemblant beaucoup à Chicago au niveau des paysages et de l'architecture, le subterfuge fonctionne bien. Par contre, j'ai un souvenir horrible de cette ville car il faisait très froid, 0°C au mois de mai ! Le peu de moyens a imposé également un planning de tournage rapide au sein duquel il fallait créer vite.

Belleville en vues : L'action du film se situe au moment de la 1ère guerre du Golfe où les préjugés étaient sévères envers les personnes du Moyen-Orient. Pouvez-vous nous parler de cette période ?
Hiam Abbass : Cela relève du refus que certains pouvaient avoir vis-à-vis de la personne arabe en général. Les films comme Amerrika permettent d'ouvrir la mentalité de certains, de leur permettre de comprendre qui est « ce terroriste » et qui est « cet arabe horrible ». C'était une période où les personnes du Moyen-Orient étaient les boucs émissaires de cette guerre. Cherien Dabis a vécu l'impact de cet événement personnellement dans une petite ville de l'Ohio où elle vivait à l'époque. Cette situation ressemble peut-être à ce qui se passe aujourd'hui en France. Ca résonne des années plus tard mais d'une façon encore beaucoup plus compliquée.
Belleville en vues : Pouvez-vous nous parler de votre premier long métrage de fiction Héritage ?
Le pitch : Une famille palestinienne se rassemble dans le Nord de la Galilée pour célébrer un mariage, dans un climat de guerre. Lorsque le patriarche tombe dans le coma, les conflits internes font exploser peu à peu l’harmonie familiale, révélant secrets et mensonges jusqu’alors enfouis…
Hiam Abbass : Suite à la réalisation de mes deux courts métrages (Le Pain en 2000 et La Danse éternelle en 2002), j'ai eu envie de poursuivre cette expérience. Le scénario du film Héritage est écrit par un palestinien d'Israël comme moi qui avait envie que je réalise son histoire. Je me suis intéressée à cette famille qui vit dans un village du nord d'Israël. Elle pourrait être la mienne. Certains des personnages tels qu'on les a travaillés pourraient être des gens que j'ai côtoyés et que j'ai connus. Le film est irrigué de mon histoire personnelle mais je ne peux pas dire que ce film soit autobiographique.

Heritage de Hiam Abbass (2012)
Belleville en vues : Vous avez commencé très jeune le théâtre et vous avez également fait de la photo ?
Hiam Abbass : Le théâtre était une inspiration pour moi dans ma vie. La scène est là où j'ai appris la magie de ce métier. J'ai commencé le théâtre pendant mon enfance au sein de mon école. Ensuite, j'ai fait une école de photo et cela m'a amenée à rencontrer un metteur en scène de théâtre avec qui j'ai commencé à faire des photos pour sa troupe. Et très vite, je me suis infiltrée à l'intérieur du jeu et de la comédie. Tout doucement, en prenant vraiment place sur la scène, la photo a commencé à disparaître de ma vie jusqu'au moment où m'est venu l'envie très forte de réaliser un court métrage. Pour moi, c'était relier les deux mondes, l'un avec l'autre. Aujourd'hui, la photo pour moi, c'est faire des cadres avec le chef opérateur et le cadreur pour réussir à exprimer ce que je veux. C'est drôle car lorsque je faisais de la photo, il y avait toujours quelque chose qui me manquait. Effacer la photo de ma vie quotidienne et revenir à faire des films, c'est comme si la réponse était là. La mise en scène, pas pour figer l'image mais pour la laisser parler en la bougeant, en racontant une histoire.
Belleville en vues : Pourriez-vous nous parler de votre travail théâtral au sein de la pièce Phèdre et les oiseaux menée avec les Compagnons d'Emmaüs en France entre 2012 et 2013 ?
Hiam Abbass : Cette pièce est une écriture contemporaine de l'histoire de Phèdre et d'Hippolyte par Frédéric Boyer et mise en scène par Jean-Baptiste Sastre. Dès le départ, Jean Baptiste a voulu travailler avec un chœur comme dans la tragédie antique, mais pour Phèdre il a préféré constituer un chœur « Fragile ». A partir de cette idée, il a développé une envie de travailler avec les compagnons d’Emmaüs. Il a passé un an et demi à aller chercher les personnes dans les Communautés d'Emmaüs de toute la France. Cela reste pour moi un souvenir inoubliable où j'ai tissé une amitié à la fois avec les compagnons et aussi avec les responsables d'Emmaüs qui ont été d'une aide précieuse pour mettre en œuvre la pièce.

Belleville en vues : Allez-vous continuer à développer ce type de projet ?
Hiam Abbass : Nous sommes en train de travailler sur un autre projet théâtral à partir de la pièce d’Apollinaire Les mamelles de Tirésias. Cette fois-ci, la pièce est composée de cinq comédiens dont un compagnon de la communauté de Paris. Le décor et les costumes sont conçus par les compagnons d'Emmaüs. La première de la pièce sera jouée en mai au sein de la caserne de Reuilly (Paris 12ème) où est installé Emmaüs depuis mai 2014.
Belleville en vues : Vous parlez anglais, français, arabe et hébreu. Comment employez-vous toutes ces langues au quotidien ?
Hiam Abbass : J’adore les langues, elles me font voyager. Entre l'arabe et le français, je trouve une similitude très intéressante au niveau de la littérature et de la poésie. J'adore naviguer entre les deux langues. L'hébreu est une langue que j'utilise quand je suis de retour chez moi. J'adore l'hébreu ancien car il provoque quelque chose de sacré. Je trouve que l'anglais est une langue qui permet l'expression immédiate. Avec ma famille, je parle l'arabe dialectal de la Palestine. Comme chaque pays arabe a son dialecte propre, quand je voyage dans le monde arabe, je fabrique comme une cinquième langue que j'appelle « l'arabe qui va partout » ! Par exemple, quand je suis au Maroc, j'invente un arabe qui n'est plus palestinien. Il peut paraître algérien, tunisien, mais il me permet de me faire comprendre. Parfois je m’exprime avec 2 ou 3 langues à la fois, alors je les mélange et ça fait rire les autres et moi même.
Un grand merci à Hiam Abbass pour cet entretien réalisé le 9 mars 2015 par Sandra Davené.