Le parti socialiste a connu au cours de son histoire des hauts et des bas. Ses responsables ont parfois trahi leur engament jusqu’à le quitter pour son contraire, la droite la plus ignoble, comme Marcel Déat, ou trahi son esprit, comme Guy Mollet avec l’Algérie. Mais jamais l’ensemble des responsables de son appareil dirigeant n’avaient poussé le déni de ses idées au point, soit de partager le pouvoir avec la droite, comme elle le fait au Parlement européen, soir de mener en France une politique libérale, à la grande satisfaction du Medef et du CAC 40.
Et cela ne date pas de Hollande, au point que durant la campagne présidentielle de 2012, Nathalie Kosciusko-Morizet, porte-parole de Nicolas Sarkozy se permettait de dauber le PS sur BFMTV, en déclarant : « Les gros cadeaux faits aux riches dans ce pays, ces dernières années, ils ont été faits par la gauche, ça s'appelle la réduction de la fiscalité sur les stock-options, c'était du temps du gouvernement Jospin. Cette fiscalité est passée de 40 à 26% pour les entreprises de moins de 15 ans et Strauss-Kahn (alors ministre de l'Economie) voulait même en 1999 faire bénéficier de cette réduction les patrons du CAC 40, il a dû y renoncer en raison de l'irritation que ça a provoqué ».
Mais Jospin assurait encore le minimum syndical et faisait illusion. Une façon de faire qu’a débridée Hollande et ses hommes, Ayrault, Valls, Macron, Cambadélis et Cie. Désormais nous n’avons plus d'apparence socialiste mais des gens qui s’affichent ouvertement aussi libéraux que l’a été Sarkozy et son équipe durant cinq ans. Ne les différencie qu’à peine la sémantique des discours, celle de la droite ayant glissé vers les thèmes de l’extrême droite, celle des socialistes ayant glissé vers les thèmes de la droite.
Et on ne peut même pas dire qu’ils nous ont pris en traitre. Car tout était annoncé. Il est vrai dans des livres très peu lus car très peu vendus, ou des articles peu commentés en leur temps. Un exemple avec le livre de Cambadélis. Sorti en librairie le 19 aout 2015 il s’en était vendu au 13 septembre dernier 278 exemplaires.
Politiques et traitrises annoncées.
Valls.
A commencer par Manuel Valls qui n’hésitait pas en 2008 à donner pour titre à un livre d’entretiens : « Pour en finir avec le vieux socialisme ». Et qui déjà annonçait « On peut assouplir les règles de licenciement », ou qui justifiait l’idée d’appliquer le système anglais de « paiement différé des droits d’inscription à l’université », trouvant ainsi normal que nos jeunes commencent leur vie active par un endettement de type anglo-saxon, dont le Monde nous disait en février dernier qu’il inquiète les Etats-Unis. « Selon les statistiques publiées, mardi 17 février, par la Réserve fédérale de New York, le total des prêts s’élève au 31 décembre 2014 à 1 160 milliards de dollars, soit plus que la dette totale des cartes de crédit américaines ». Est-ce le socialisme auquel s’attendaient les électeurs de Hollande ?
Macron.
Et en poursuivant avec Emmanuel Macron, dont j’ai déjà signalé l’article qu’il a publié en 2011, conseiller du candidat socialiste, dans la revue Esprit. Il y théorisait que « faire ce qu’on a promis afin de préserver la plénitude de la parole politique de manière symbolique et glorifier la notion de mandat – peut conduire à l’échec ou à des aberrations ». Dés lors, on n’est pas surpris qu’il ait été nommé par Hollande ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, afin de mettre en route les trahisons, annoncées ou pas. Y compris dans les domaines ne dépendant pas de sa responsabilité. Comme le notait L’Express qui le 26 aout dernier titrait : « Le vrai ministre du travail, c’est Emmanuel Macron ». Poursuivant : « depuis qu'il est colocataire de Bercy, l'ex-secrétaire général adjoint de l'Elysée ne cesse de parler du marché du travail et de sa nécessaire réforme. Il en fait le coeur de sa réflexion et de son action ». Poursuivant :
« Aussitôt nommé, le bébé ministre s’est fait une réputation de tueur des 35 heures…. il continue de dire ce qu'il pense. Dans Le Journal du dimanche… il estime qu'il faut réformer l’assurance chômage qui perd bien trop d'argent, et que, si les partenaires sociaux n'y parviennent pas, l'Etat devra prendre le dossier en main. Encore un sacrilège... ». Mais la liste des méfaits Macron ne s’arrête pas là. Il touche ou veut toucher à tout, la réforme du marché du travail, le code du travail, les licenciements, les CDI, les prud’hommes, le travail le dimanche, l’assurance chômage. Est-ce ce que les militants attendaient en distribuant les tracts de Hollande en 2012 ? Et s’attendaient –ils à voir utiliser l’article 49.3 pour faire passer sa loi ?
Cambadélis.
Mais Valls et Macron ne sont pas seuls. On ne peut oublier l’inénarrable Cambadélis, l’homme au diplôme invérifiable, qui, dans la vacuité de son job n’a rien trouvé d’autre que de lancer un référendum incontrôlé et incontrôlable le temps d’un week-end. Mais tout ça bien entendu au nom du peuple, pour le peuple. Et il a beau entendre citer chaque fois que possible au PS, Jaurès, Cambadélis a du mal à imiter le style du grand homme, et se perd dans des enflures qu’on ne se permet plus sous les préaux. « La bataille de l’unité vient de commencer ». « Ce référendum n’est pas un coup poker mais un coup de tocsin, pour l’unité ». Et, alors qu’il sait très bien que les français ont retiré leur confiance au Président et à son gouvernement, il n’a pas peur d’écrire aux socialistes : « L’unité du peuple de gauche ne se décrète pas, mais elle se conquiert. Elle se construit avant tout avec le peuple de gauche, mais pas à sa place, pas du haut de nos appareils mais avec lui, à ses cotés ». Paroles de veilles d’élections, qu’il est le seul à oser encore prononcer. Ses compagnons en sont à allumer des cierges et à invoquer sainte Rita, l’avocate des causes désespérées.
Mais ce mot peuple, fonctionne-t-il encore comme une incantation socialiste magique ? Il n’en est rien, tant il a été mis à toutes les sauces, et son usage ne fait plus écho en personne, quand bien même il reste d’utilisation courante en langage politique.
Doctrine socialiste inexistante.
Dans un numéro de 10è anniversaire, la revue « Cités » avait sorti en 2010 un dossier « Socialistes : Y revenir ? », dans l’introduction duquel Yves Charles Zarka écrivait : « Le trouble que connait le socialisme aujourd’hui, en 2010 et depuis des années, est d’abord, selon moi, lié à un déficit doctrinal. En effet, quels sont les concepts, les projets, les idéaux qui définissent aujourd’hui le socialisme et seraient en mesure de susciter l’adhésion, de mobiliser les énergies, de donner l’espérance, au delà des démarches revendicatives qui s’intègrent très bien à la logique de la société capitaliste et en font le dynamisme ? ». Ajoutant que cela était évident dès avant l’accès au pouvoir des socialistes avec François Mitterrand, précisant : « Le déficit doctrinal était masqué par une rhétorique creuse mais efficace puisqu’elle a porté les socialistes au pouvoir. Après le pouvoir ce fut l’ère du vide ».
La rhétorique socialiste a fonctionné une fois de plus dans la bouche de Hollande en 2012, mais ce n’est pas le vide qui a suivi, c’est le trou noir dans lequel tout a été absorbé à une vitesse cosmique. En quelques mois c’était plié, et ce n’est pas l’incantation au peuple de Cambadélis qui fait illusion.
Et Zarka, après avoir écrit que le socialisme historique, dans sa version communiste, avait achevé de discréditer le « socialisme scientifique », de conclure : « Qui serait prêt aujourd’hui à troquer l’économie de marché, quels que soient ses défauts et ses dangers, avec une économie planifiée de contraintes et de frustrations ? Pas grand monde sans doute. Or c’est précisément sur ce point que le socialisme d’aujourd’hui, qui entend associer la liberté et la solidarité, doit relever le grand défi qui se pose à lui, le défi doctrinal : penser la démocratie sans le capitalisme, penser un mode de production qui ne renonce pas au progrès tout en remettant en cause l’exploitation des plus démunis et la surexploitation de la nature, penser une liberté des individus solidaires, penser un bonheur social qui ne se ramène pas à l’hyperconsommation et au divertissement, défendre sans concession la laïcité contre les tentatives brutales ou insidieuses de la remettre en cause, mais si ce grand défi doctrinal n’est pas relevé, il faudra conclure que Berdiaev avait raison, l’esprit du socialisme ne serait que « l’esprit bourgeois étendu à tous ».
Retour au présent.
Qui donc relèvera le défi doctrinal qui se pose aujourd’hui à la société quasiment dans les termes qui se posaient à elle dans le premier tiers du XIXe siècle, construire, contre un monde dominé par le capitalisme de la finance, des banques et, modernité impose, des transnationales, un autre monde, tout à la fois respectueux des gens et de la nature et de ce qui reste encore un ciment commun, la devise de la République.
Il faut nous dit Robert Damien dans Cités, « réinvestir les filiations historiques et conceptuelles d’un socialisme libéré des tutelles d’un totalitarisme meurtrier ». Nous l’entendons. Mais la jeunesse l’entend-elle ainsi, qui n’a pas la connaissance historique d’un Zarka ou d’un Damien?
On voit bien que la révolution technique et numérique vient chambouler les esprits socialistes, qu’une dynamique nous entraine, parfois malgré nous, et que nous avons du mal à imaginer la synthèse de celle ci avec ce que nous souhaitons garder des belles idées anciennes, la solidarité, l’égalité, la justice, l’équité, la liberté, le commun.
Et ce manque théorique fait que les gens se vivent démunis, entre une droite dure, et une gauche molle. Entre une droite réactionnaire et une gauche flottante. Entre une droite au service des intérêts privés et une gauche qui a perdu le sens de l’intérêt général. Entre une droite qui ne se perd jamais et une gauche qui ne se retrouve pas. Entre une droite dont la théorie de l’intérêt privé pour quelques uns ne varie jamais, et une gauche qui a perdu de vue l’intérêt de tous. On n’ose dire du peuple.
Illustration : Les conseillers de Hollande pensent maitriser la communication et organisent un café chez une infirmière retraitée. Le Medef, lui, va prendre son petit déjeuner avec journalistes et ministres et fait passer son idée de l’économie : « toujours plus pour le CAC 40, toujours moins pour les salariés et pour les PME ».
Pourtant, les intellectuels, dont on nous dit qu’ils ont disparus, sont nombreux à ne pas manquer d’analyses et d’idées. Mais leurs idées, d’abord sont un peu trop… intellectuelles, ensuite, elles n’arrivent que rarement à être synthétiques. En fait, chacun a sa petite idée, son petit argument, mais personne n’entre dans un projet défini et concret. On le voit bien avec ceux dont l’intérêt premier serait d’avoir une doctrine, un projet, un plan, je veux dire les partis politiques. Ils n’ont rien que des incantations à offrir. Et les critiques, y compris la mienne, sont incantatoires.
Il nous manque une grande intelligence pratique.