« Il est plus que temps de démanteler l’oligopole bancaire mondiale ». Tel est le cri d’alarme lancé par François Morin, professeur émérite de l’Université de Toulouse et ancien membre du conseil général de la Banque de France, dans son dernier ouvrage « L’hydre mondiale, l’oligopole bancaire ». (Publié aux éditions Lux. 12 €) (voir*).
Un autre cri a été lancé récemment, à croiser avec le précédent. Celui de Donald Tusk, président polonais du Conseil européen, qui s’est inquiété dans ces termes : « La confrontation acharnée autour de la Grèce a donné un regain d’énergie aux groupes radicaux de gauche et de droite, créant une atmosphère prérévolutionnaire que l’Europe n’avait pas connue depuis 1968 ».
Est-ce un avertissement aux institutions pour qu’elles assouplissent leurs pratiques, prennent davantage en compte le désir des peuples et des citoyens, bref, répondent par plus de démocratie aux défis qui se posent à l’Europe ? Non, car Tusk est un libéral convaincu, militant du libre-marché, adepte de la réduction des impôts pour attirer les entreprises étrangères an Pologne, partisan de la privatisation des entreprises publiques.
Europe. Des dirigeants contre la démocratie.
On peut donc lire avec inquiétude son avertissement, comme un appel aux dirigeants des Etats européens à poursuivre dans leur « être » actuel, sur le chemin des politiques économiques néoclassiques. Avec inquiétude, car les récentes déclarations de ces dirigeants n’annoncent pas une Europe plus démocratique.
Juncker, Président de la Commission européenne en dépit de sa mise en cause dans le scandale Luxleaks comme organisateur de l’exil fiscal au Luxembourg de plus de 1000 entreprises européennes, n’a-t-il pas affirmé récemment : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens ».
Wolfgang Schäuble, compromis à la fin des année 90 dans un scandale de corruption, mais néanmoins ministre allemand des finances, n’a-t-il pas affirmé récemment : « On ne peut pas laisser des élections changer quoi que ce soit ».
Un ancien dirigeant n’a-t-il pas rapporté anonymement au Financial Times que « Le système (sous entendu européen) a montré qu’il était capable d’absorber le virus ». Le virus étant Syriza, le parti de gauche grec, qu'il a comparé à un "miasme". (relayé par Le Monde Diplomatique d’aout)
Et, comme souvent, le coup de pied de l’âne vient de la gauche. Ou plutôt d’un homme qui se dit encore de gauche, un âne autrefois appelé sherpa et sur le dos duquel on entrait dans le bureau de François Mitterrand, l’inénarrable Jacques Attali. Ne vient-il pas dans son blog de l’Express du 10 aout, de jeter le concept de démocratie par dessus bord en écrivant ceci de Singapour : « Si la démocratie ne fait pas partie de ses principes, et si dans cette dictature éclairée, les médias sont sous contrôle, les résidents semblent apprécier un tel système ; ils sont libres de partir, mais ils ne le font pas, préférant la sécurité aux délices de la liberté qu’ils pourraient espérer d’une démocratie ».
L’hydre mondiale de l’oligopole bancaire. Dirigeant de fait.
Dés lors, si vous ne savez pas dans quelle Europe vos dirigeants ou anciens dirigeants de tous bords veulent vous faire vivre, c’est que vous ne lisez rien, n’écoutez personne, ou ne voulez rien entendre. Car l’affaire est pliée d’avance. Sauf à vous mettre en résistance, à rejoindre ceux qui aujourd’hui, demain encore plus, montreront qu’oncle Donald Tusk a vu juste, que nos gouvernants semblent, par bêtise ou complicité, ne laisser comme alternative possible à leurs politiques que la voie d’une résistance affirmée, que celle ci s’expriment par la voie révolutionnaire ou non.
Par bêtise ? C’est évident. Mais est surtout évidente leur complicité. Complicité avec les oligopoles financiers et bancaires qui, en tout premier lieu, sont les inspirateurs des politiques qu’ils mènent aux cotés des institutions.
Comme le montre la persistance du ministre français des finances Michel Sapin à contrer tout accord européen sur une taxation des transactions financières, seule façon pourtant de mettre fin à la spéculation effrénée basée sur les transactions à hautes fréquences.
Comme le montre le dernier ouvrage de François Morin. En quelques 160 pages, il nous dépeint comment les plus grandes banques exercent une influence politique telle « qu’on chercherait en vain des puissances publiques en mesure de faire contrepoids ».
C’est ainsi, nous explique-t-il, que la proposition européenne de règlement visant à empêcher les banques à pratiquer la négociation pour compte propre, une activité de marché risquée à leur seul bénéfice et ayant de fait une dimension spéculative, rencontre une vive opposition des français et des allemands.
Pour parler clair, de ces Schäuble et de ces Sapin qui font par ailleurs la morale à la Grèce et ont humilié son gouvernement en le menaçant de fermer ses banques s’il refusait d’accepter un programme en tous points semblable à celui de la Troïka, ayant fait la démonstration de son inefficacité.
Il nous explique comment les plus grandes banques s’opposent aussi à toute tentative de réglementation que les pouvoirs pourraient être tentés de mettre en place et sont opposées par principe à ce qui pourrait limiter leur taille. « Les plus grandes ont pu éviter jusqu’à présent des législations qui auraient abouti à la scission patrimoniale complète de leurs activités (comme l’avait fait la loi Glass-Steagle défendu par Roosevelt en 1933 mais que le président Clinton a abrogé en 1999, ouvrant les portes à une crise à venir).
« C'est par un travail de lobbying intense… le cas des législations françaises ou allemandes… où les mesures sur la séparation concerne des filiales représentant moins de 3% des activités ». Souvenez vous de la plaisanterie qu’a été la loi de séparation bancaire en France du temps de Moscovici.
Morin nous montre aussi à quel point ces grandes banques échappent à toute condamnation, autre que cosmétique, alors qu’elles ont trempé dans des scandales, parfois de grande ampleur, voir liés à la criminalité internationale. « Plusieurs banques systémiques ont été mises en causes et condamnées pour ententes frauduleuses ».
Qui n’a pas en tête les scandales liés aux taux d’intérêts des marchés interbancaires du Libor, de l’Euribor et du Tibor, dont l’auteur nous dit qu’on peut « les qualifier juridiquement d’ententes en bande organisée ». Une trentaine de grandes banques étaient impliquées et ont été condamnées. Dont des banques françaises et européennes. Des condamnations parties en premier lieu des Etats-Unis, prémisses d’un espoir long à se confirmer.
Le cas le plus emblématique est celui de la grande banque anglaise HSBC, « coupable d’évasion fiscale à grande échelle… non seulement pour le compte de fraudeurs du fisc, mais aussi, fait bien plus préoccupant, de groupes criminels fichés, voire déjà condamnés »... Mais, « qui oserait compromettre son avenir en la privant de licence bancaire ? », rajoute Morin.
Avant de conclure ce billet, arrêtons nous sur le paragraphe suivant. « Nous l’avons vu, les infractions commises par le géant bancaire sont loin d’être des faits isolés. Du blanchiment d’argent aux affaires de manipulation des taux servant de référence aux activités financières (Euribor, Libor…), en passant par la vente de produits financiers toxiques, on ne compte plus les procédures judiciaires dans lesquelles le groupe est impliqué ou cité…. Une fois la puissance de ces mégabanques admise, il reste à savoir où cette nouvelle aristocratie de l’argent entraine les sociétés humaines ».
Conclusion de François Morin :
« La réponse à cette question est parfaitement claire. Si aucune mesure n’est prise à l’échelle internationale pour limiter la puissance que l’oligopole développe par ses positions dominantes sur les marchés – dont il abuse régulièrement – ces banques nous mèneront vers l’abime économique ».
Notre conclusion.
A l’heure où il faudrait que les dirigeants européens répondent à la question ci dessus, c’est à dire prennent les mesures, qui ne peuvent être prises qu’à l’échelle européenne, pour limiter la puissance des banques, nous voyons bien qu’ils ne feront rien, puisque tout montre qu’ils leurs sont inféodés.
Qu’attendre d’un Mario Draghi, ancien de la banque Goldman Sachs, profondément impliquée dans les premiers dysfonctionnements grecs ?
Qu’attendre d’un Juncker, ministre pendant des lustres d’un paradis fiscal ?
Qu’attendre d’un Schäuble, dont le dernier fait de gloire a été de tenter de faire abriter 5O milliards d’avoirs grecs dans un fond bancaire, KFW (voir**), qu’il préside lui même, au Luxembourg ?
Il n’y a rien à attendre, ni de ces dirigeants européens, ni des institutions. Dés lors que faire ?
Tout d’abord s’informer, lire, se documenter. Puis faire circuler l’information, relayer les paroles de vérités, contester les mensonges relayés par les médias qui ont pour but de préparer pour leurs annonceurs du « temps de cerveau disponible ». Préparer l’espace des possibles, face au climat de résignation qui domine l’époque, comme l’a plaidé Alain Badiou aux Controverses du Monde en Avignon. Travailler, comme il nous le dit, pour le bonheur et non pas pour la satisfaction. Le premier étant fondamentalement égalitaire, alors que le second est lié à l’égoïsme de la survie et ignorant de l’égalité. Un langage que vous ne partagerez pas avec un dirigeant politique. Mais un langage qui finira par renverser le politique.
Car au final c’est l’exigence des citoyens que apportera les premiers changements. « Quoi qu’il en soit, nous dit Morin, le moment de vérité approche : ou on feint de croire que la solution de la crise actuelle et, en particulier, de nos endettements publics passe par des politiques de réduction des déficits – et, dans ce cas, c’est un nouveau cataclysme financier qui s’avance surement, faute d’agir sur la cause réelle de notre situation, à savoir : la surpuissance dévastatrice de l’hydre bancaire - ou bien nous faisons le pari de l’intelligence politique, celle qui perçoit les enjeux fondamentaux de notre planète et de notre vie en société, et alors une mobilisation citoyenne qui s’inscrirait dans cette perspective démocratique peut tout espérer et tout engager ».
*
http://www.luxediteur.com/content/lhydre-mondiale
**
http://www.liberation.fr/monde/2015/07/13/l-accord-sur-la-grece-enflamme-le-net_1347163