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Billet de blog 24 septembre 2015

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Barouf. Jean-Luc Nancy fait la leçon à Michel Onfray.

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La polémique autour du philosophe Michel d’Onfray, versus Laurent  Joffrin, directeur de la rédaction de Libération, fait sortir de son silence le philosophe Jean-Luc Nancy qui prête à Onfray, dans le journal de Joffrin du 23 septembre, (Sa participation est- elle un hasard ?),  trop d’assurance, une posture qui l’exclurait du monde de la pensée.

« L’assurance est la posture du décideur, pas celle du penseur. A l’image d’un Michel Onfray, la réflexion connaît des mutations, des déroutes, des fuites et des pauses », écrit précisément Nancy.

Serait-ce que Nancy, qu’on a lu meilleur, parle sans assurance ? Laissons lui la chance de se juger lui même en se relisant au calme.

Et il rajoute : « Il faut savoir écouter le silence et regarder ce qui ne se montre pas ». On comprend et on approuve. Nombreux sont les intellectuels de hauts niveaux à ne pas entrer sur la scène médiatique. Pour ne pas prendre le risque de s’y perdre.

Onfray prend ce risque. Et prend des coups. Car, à dire ce qui dérange la nomenklatura bien pensante, je veux dire ceux qui  pensent dans la religion du conformisme politique actuel, on ne peut que prendre des coups et voir ses propos déformés par les chiens de garde de la désinformation.

Nancy parle donc au nom des silencieux qui sont « occupés à des choses plus sérieuses qu’à la proclamation répétée des certitudes acquises ». Fort bien. On attend donc de sa part quelque chose qui n’ait rien à voir avec des certitudes acquises.

Et qu’apprend on ? « Qu’il faut (ce qui s’appelle «il faut») donner refuge aux réfugiés, que leur fuite est provoquée par les convulsions d’un monde que rien ne protège plus contre ses appétits les plus féroces ».

Quel citoyen responsable n’est pas d’accord ? Jamais Onfray n’a dit le contraire. Ecoutez le sur France 2, où il fait face brillamment à la hargne de Yann Moix et Léa Salamé qu’il mouche superbement. Voir : http://www.les-crises.fr/quand-michel-onfray-recadre-severement-on-nest-pas-couche/

On apprend aussi de Nancy que les mots de « souveraineté, d’Europe, d’Humanisme ou de fraternité, n’ont plus de sens intelligible », ou « que nous n’avons plus l’intelligence de leur sens ». Et « qu’il ne faut pas faire passer pour des décisions possibles de vieilles significations qu’on ne sait plus argumenter – comme aussi bien « humanisme » que « souveraineté ou bien « peuple » ou même « politique »..

Travailler dans le silence de son bureau doit représenter pour Nancy une sacrée coupure avec le monde du réel, avec ce « peuple », « qu’on ne saurait plus argumenter ». Dommage, car il y croiserait bien des gens pour qui  l’intelligence de ces mots est bien vivante. Ceux qui sont engagées précisément par « humanité » dans l’accueil des réfugiées et des migrants, de Calais à Portet-sur-Garonne, de Lille à Bordeaux, de Strasbourg à Pau. De ceux qui par « humanisme » s’engagent auprès des pauvres, du Secours catholique à la Fondation Abbé Pierre, d’Action Contre la Faim aux Restos du coeur. De ceux qui trouvent, comme les grecs, que l’idée de « l’Europe », bien que trahie par ceux chargés de la construire, a du sens et mérite d’être défendue.

Quant à la « souveraineté », souveraineté des Etats et des peuples, si Nancy trouve qu’elle n’a plus de sens intelligible, c’est qu’il semble ignorer qu’au delà de ceux qui la dénaturent et l’instrumentalisent, elle est aujourd’hui vue comme une arme défensive contre ceux dont les intérêts sont la réduction du rôle de l’Etat, voir sa disparition, et la mise au pas des peuples. Nous l’avons vu en 2005 et ces temps ci dans l’action de la Troïka en Grèce. La notion de « souveraineté » ne perd donc pas son sens à l’instant où on cherche à la faire disparaître, sans être capable d’en inventer une autre.

Il n’est dès lors pas étonnant que pour Nancy, le mot « politique » manque d’intelligibilité. D’autant plus qu’il écrit dans un éclair de pensée fulgurante, que « nous sommes entrés dans une mutation de civilisation », mutation « que nul ne peut saisir qu’après coup », comme il en a été avec celle des « Mayas, Hittites, Mycéniens, Romains, Mongols ». Dans un sursaut il rajoute « qu’il est possible, il est nécessaire de penser selon cet horizon ou cette ligne de fuite ».

Nous attendons avec espoir le résultat de ce travail de pensée que doit mener Nancy sur cette ligne de fuite, et regarderons avec bonheur « ce qui ne se montre pas ».

Mais nous l’avons dit, le travail en bureau provoque souvent une coupure avec le réel. C’est pourquoi nous jugeons profitable de lui le rappeler.

Car au delà des idées, il y a des gens. Des gens qui souffrent d’une mondialisation bien présente, laquelle, avant d’être une mutation de civilisation est surtout un retour des grands prédateurs capitalistes. Ces banques et cette finance si prégnantes dans la constitution d’un contrôle global de l’économie mondiale et de la politique. Quelques centaines d’entreprises y suffisent, selon une étude publiée par une équipe de chercheurs de Zurich. Voir l’article traduit sur le blog de Paul Jorion : http://www.pauljorion.com/blog/2011/09/08/le-reseau-de-controle-global-par-les-grandes-entreprises-par-stefania-vitali-james-b-glattfelder-et-stefano-battiston/

Une étude qui constitue la première investigation de l‘architecture du réseau international de propriété, accompagné du calcul du degré de contrôle détenu par chacun des acteurs globaux. Et qui révèle qu’une grande part du contrôle est drainée vers un cœur tissé serré d’institutions financières. Avec comme résultat le fait que 80% de la valeur de l’ensemble des 43 000 multinationales étudiées est contrôlé par 737 « entités » : des banques, des compagnies d’assurances ou des grands groupes industriels comme le résume le site Basta !. Voir: http://www.bastamag.net/737-maitres-du-monde-controlent-80

Avant de parler de crise de mutation de civilisation, il serait peut être bon de redescendre de la sphère des idées à la sphère du réel, et voir qu’en fait, c’est une mutation perverse du système capitaliste auquel les Etats et les peuples sont confrontés. Ce qui n’oblitère en rien que l’évolution technologique vient se surajouter comme une question supplémentaire.

Dès lors, le problème est donc avant tout « politique », celui d’un affrontement, violent bien qu’atténué par les tranquillisants déversés sur les citoyens par les gouvernements et la plupart des médias, entre ceux qui exercent tout le pouvoir et ceux sur qui ils l’exercent.

Nancy trouve que ne s’opposent aux mutations que des « fureurs issues du bouleversement global ». C’est vite mettre au panier les luttes souterraines ou visibles, que mène une cohorte de mouvements, associations, syndicalistes, dont le but est d’écrire leur histoire, notre histoire, car ceux là n’ont pas oublié que l’histoire, ce sont parfois des hommes qui la font, créant la surprise, comme on en voit le signe en Grèce, en GB avec l’élection au Parti Travailliste, en Espagne avec Podemos. Où, demain ?

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