Autant la nécessité de changer l’organisation politique de notre société s’exprime, par exemple dans la proposition d’une nouvelle constitution pour la France, ou d’une nouvelle organisation des pouvoirs européens, autant il nous semble que nous manquons de propositions pour une nouvelle organisation de l’économie, une nouvelle théorie économique en quelque sorte.
On trouve, certes, un nombre important de pistes partielles, d’analyses ponctuelles, des briques en quelque sorte, mais aucun ouvrage n’existe qui, regroupant ces briques, nous aiderait à imaginer comment reconstruire la maison.
Débattre de l'avenir du monde et du capitalisme.
Des auteurs traitent, souvent brillamment, sous l’angle critique tel ou tel aspect, aspect important comme celui de la fiscalité avec Piketty, ou de la fin de la croissance, avec Serge Latouche et Anselm Jappe, mais, à l’heure où le grand rendez vous mondial sur le climat, à Paris, la COP 21, va mettre en évidence, sur le seul exemple de la question climatique, que le fonctionnement de notre économie n’est plus acceptable, le manque de théorie générale fondant une nouvelle organisation économique se fait cruellement sentir.
Comme le remarquent les auteurs du livre « Le capitalisme a-t-il un avenir ? », aux éditions La découverte, « L’aspect le plus troublant du monde de l’après guerre froide, c’est que depuis trois décennies, il n’est plus de bon ton – il est même carrément embarrassant – de débattre des avenirs possibles de notre monde et surtout des perspectives d’évolution du capitalisme ».
On le voit bien en Europe, où Bruxelles pratique le deux poids deux mesures à propos du pacte de stabilité et de croissance. Intransigeant et dictatorial avec la Grèce qui semblait ouvrir une réflexion ou une inflexion; souple et avenant avec l’Espagne. La Commission ne vient elle pas d’accepter le projet de budget 2016 du gouvernement de Mario Rajoy, un projet " électoraliste ", " irréaliste " et " irresponsable, " comme le souligne son opposition. Bruxelles n’a rien voulu faire d’autre que préserver un membre de la grande famille des conservateurs européens, écrivent Sandrine Morel et Cécile Ducourtieux dans Le Monde du 14 octobre. Est-ce une politique durable ?
A l’heure où, dans un monde où le libéralisme s’est perverti dans les limites de la révolution industrielle, où le profit de quelques uns réduit chaque jour davantage le bien commun, celui dont nous héritons, celui que nous produisons et celui, épuisable, de la planète, rien ne semble stable, et si on ne cherche pas à imaginer comment réaffecter dépenses et investissements vers ce que nous souhaitons construire et partager équitablement en commun, nous courons à la catastrophe.
Car, sans réaffecter nos dépenses et nos investissements, sans partager autrement les ressources, sans réinvestir la notion travail, il n’y a pas de projet qui ne soit une illusion. Qui pensera un système construit en priorité à partit de la prise en compte du coût social et environnemental de l’activité humaine ? Qui, sans tomber dans les délires d’une société posthumaniste, sera capable d’imaginer comment organiser une société dans laquelle, on nous le prédit, les robots auront remplacé la plus grande partie du travail humain actuel ? Qui imaginera une autre répartition des revenus, des moyens de subsistance en vue d’une justice économique, d’une solidarité sociale, d’un mode vivable pour tous ?
L’histoire est là pour nous enseigner que « les échecs historiques du capitalisme et la misère populaire ont été les foyers de la réaction anti-démocratique ». (Serge Audier, in ‘’Néo-Libéralisme(s)’’ chez Grasset).
Réfléchir à la notion de revenu.
C’est sur ce dernier point en effet, que devra travailler en priorité tout projet de nouvelle société. Une nouvelle répartition des richesses, dont dépendra l’adhésion des citoyens. Car la priorité du citoyen, c’est bien chaque jour de savoir s’il va ou non pouvoir se nourrir, nourrir ses enfants, assurer leur formation et leur éducation, prendre en charge ses vieux parents malades, organiser sa vie dans la dignité.
C’est autour de cette question une fois cadrée que s’organiseront les autres sujets qui font l’objet de l’économie politique et sociale : La production et l’entreprise, l’échange et la consommation, la monnaie, les relations mondiales, l’éducation, la formation et la science, la transmission des cultures et du savoir faire, etc. Nous vivons selon la religion de la production. Nous vivrons selon le principe du bien vivre.
Ce n’est pas un hasard si on débat de plus en plus depuis quelque temps de la question du revenu. On parle de revenu de base. De revenu universel. De revenu garanti. Peu importe la formulation, l’idée est la même. Elle est discutée dans plusieurs cercles, comme à Nouvelle Donne ou dans le mouvement Utopia. Elle a son propre mouvement, le MFRB, ou Mouvement français du revenu de base. Qui organise chaque année une Semaine Internationale du revenu de base, dont la dernière s’est tenue à paris du 14 au 21 septembre dernier.
Lors des dernières élections européennes, plusieurs listes ont porté le revenu de base dans leur programme, dont EELV et Nouvelle Donne. Plusieurs députés européens élus dans différents pays d’Europe soutiennent l’idée d’un revenu de base. Notamment du mouvement Podemos en Espagne.
Il existe un Réseau mondial pour le revenu de base, fondé par l’économiste Guy Standing, de l’université de Londres (Cf. Benjamin Fernandez in Monde Diplomatique de mai 2013). Dans ce même numéro, Mona Cholet, dans un article qu’il faut lire, nous dit que le revenu garanti est déjà là, sous forme de bourses étudiantes, de congés parentaux, de pensions de retraite, d’indemnités de chômage, du régime des intermittents du spectacle, etc. Elle nous rapporte aussi qu’en Allemagne, le revenu de la population ne provient directement du travail qu’à hauteur de 41%, et que des deux cotés du Rhin « Il ne serait pas trop difficile de déplacer encore le curseur pour s’employer à ce que chacun soit à l’abri du besoin ». On aboutirait ainsi nous dit-elle, à faire disparaître le chômage comme problème, et on économiserait les sommes engagées dans la poursuite de l’objectif de plein emploi, comme ces cadeaux aux entreprises pour les inciter à embaucher. Hollande et Valls n’ont jamais lu Mona Cholet, c’est à croire!
Certains vont plus loin encore, comme l’économiste et sociologue Bernard Friot qui propose un salaire à vie qui s’inscrirait dans une refonte complète de notre rapport à la propriété. A ses yeux, le salaire de base ne serait qu’une roue de secours du capitalisme. Une formule dont il ne soit pas certain qu’elle fasse avancer celle qu’il propose lui même, car, à ne voir dans les idées des autres que des ennemis des siennes, on ne travaille pas à l’avenir de la société, mais à celle seulement de sa petite entreprise. Intellectuelle, politique, médiatique. Une attitude dont l’actualité récente a montré qu’elle était à la mode. C’est bien dommage, car Bernard Friot peut nous dire par ailleurs des choses intéressantes. Qui débattra avec lui, si lui même refuse le débat ? Pense-t-il faire avancer sa théorie seul contre tous ?
Quoi que dise Bernard Friot, l’idée du revenu de base n’est pas ce qu’il en pense. Sinon, André Gorz, considéré comme un des fondateurs de l’écologie politique en France, cofondateur du Nouvel Observateur en 1964, anticapitaliste et partisan de la sobriété, n’aurait pas écrit en faveur d’un revenu de base.
Donc, ce revenu de base, une bonne idée ou une idée utopiste ? Ce qui ne veut pas dire non porteuse de possibilités. La question mérite d’être débattue. Elle pourrait surgir dans la présidentielle de 2017. Mais, afin que ça ne se fasse pas dans un désordre de formulations incompatibles, afin de donner à cette idée sa pleine utilité comme première brique d’une maison nouvelle, il y faudrait un moment fondateur. Comme un congrès. Mais un congrès utile, à l’inverse de celui qui fut l’ancêtre de la contre révolution libérale, le congrès Lippmann en1938.
Nous lançons cette idée, car il faudra désormais une doctrine assez forte, assez étayée, pour nous sortir de cette Europe seulement préoccupée du souci d’être accommodante aux entreprises transnationales, aux intérêts privés, à la finance. Car cette Europe, elle finira par s’accommoder des nationalismes extrêmes, elle sera même capable de les fédérer, si le sauvetage du néolibéralisme, des banques, de la finance, des transnationales, passe par ce chemin. Mais en aucun cas les peuples y gagneront. Un système qui les a divisés, que les a atomisés, qui a tout fait pour affaiblir leurs corps intermédiaires, n’est plus d’aucun intérêt pour eux.
Il faut que se fédèrent désormais toutes les pensées et toutes les initiatives qui portent les idées et les projets annonciateurs d’un autre monde déjà perceptible. La France, l’Europe, ont apporté au monde par le passé ce qui fit progresser l’humanité. Il faut relire ce passé pour en inspirer une renaissance souhaitable et attendue.
Bernard LEON.
Membre da la Commission économique de Nouvelle Donne. Membre du Mouvement Utopia,