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Billet de blog 8 juin 2014

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Appel d'un citoyen à Cynthia Fleury, Jean-Pierre Mignard et Benjamin Stora

Madame, Messieurs,Je suis un citoyen de cette République dont l’état de décomposition avancée vous préoccupe tant. Vous ne me connaissez pas et je ne vous connais que par ce que vous donnez à voir de vous et de vos actions dans les médias. Je n’ai d’autre titre à vous interpeler que mon appartenance au corps civique, au peuple donc, peuple qu’il serait expéditif d’englober dans la déconfiture des partis, tous vernis idéologiques confondus.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Madame, Messieurs,

Je suis un citoyen de cette République dont l’état de décomposition avancée vous préoccupe tant. Vous ne me connaissez pas et je ne vous connais que par ce que vous donnez à voir de vous et de vos actions dans les médias. Je n’ai d’autre titre à vous interpeler que mon appartenance au corps civique, au peuple donc, peuple qu’il serait expéditif d’englober dans la déconfiture des partis, tous vernis idéologiques confondus.

Votre appel m’a touché, non pas tant par ce qu’il dit - car il prend acte un peu tard d’un processus amorcé de longue date, en France et en Europe, et paraît bien timide dans ses propositions - que par ce qu’il me laisse deviner de votre désarroi, comme de celui de nombreux(-ses) intellectuel(le)s référent(e)s, animateurs(-trices) engagé(e)s de la cause socialiste. Vous avez été la cible, ici même, sur Mediapart, de bien des sarcasmes. Je ne vous cacherai pas que si mes propres inquiétudes s’associent à votre désarroi, j’ai quelques doutes, au vu des remèdes que vous avancez, sur la nature et l’étendue réelles du pouvoir que vous dites vouloir restituer au demos.

Il me semble que votre appel reste bien vague sur des sujets essentiels où vous devriez être tranchants. Il s’agit tout de même de rendre l’initiative du débat et de la décision au peuple ! Il me semble aussi qu’il ménage encore trop le Parti Socialiste et, plus globalement, le système représentatif dans sa forme actuelle, comme s’il s’adressait davantage, en définitive, au personnel politique, dans une dernière tentative de le tirer de son inertie, qu’au peuple lui-même, qui est sorti de la sienne depuis longtemps. Il me semble enfin qu’il saborde sa propre dynamique par un certain nombre de contradictions internes. Bref, j’entends votre appel mais je n’arrive pas à me sentir entraîné. Plutôt que de m’y fermer totalement, je voudrais avoir des éclaircissements de votre part sur les points litigieux et éprouver l’armature de votre projet. À l’heure où le Parti Socialiste voit se multiplier les courants réformateurs qui veulent toucher à tout sauf au Parti lui-même, toujours prompt à digérer la contestation, votre appel est menacé de dilution, surtout s’il donne l’impression de ne pas rompre certaines amarres pourrissantes.

J’ai bien conscience qu’un appel, par définition, ne peut entrer dans le détail des mesures qu’il préconise et que le vôtre, en particulier, s’il veut survivre à l’épreuve du débat public, se doit de laisser un certain nombre de fenêtres ouvertes pour ventiler les pensées qui s’y déploient. Toutefois, quelques tendances se dessinent ici, dont certaines m’attirent et dont d’autres me repoussent. Je ne commenterai pas les premières, bien qu’elles soient perfectibles. Je vous dirai les secondes.

- Tout d’abord, vous signez votre appel de vos noms, accompagnés de vos titres professionnels, ceux qui vous constituent médiatiquement, aux yeux de certain(e)s, en poissons-pilotes obligés d’un socialisme de plus en plus déboussolé. Vous qui appelez de vos vœux, dès l’entame, une République nouvelle, pourquoi n’abandonnez-vous pas ces titres-là pour la simple qualité de citoyen/de citoyenne, comme c’était l’usage durant la Révolution et sous la Première République ? C’est par la citoyenneté que nous faisons peuple et non par le métier ou par le rang.

- Vous écrivez qu’il faut une République nouvelle, peu importe sa numérotation. La formulation est étrange. C’est précisément la numérotation qui nous permet de souligner les différences entre les Constitutions successives de notre République. Cette numérotation nous invite également à sonder la densité démocratique de chaque variante. La chronologie fournit des points de comparaison. La table rase est impossible en la matière. Parler d’une VIe République, c’est se mettre dans l’obligation de franchir un seuil. Ne pas se préoccuper de marquer ce seuil, c’est donner à la Ve une chance de prolonger son agonie au-delà du soutenable. Pensez-vous qu’elle mérite cette chance ?

- Par ailleurs, à aucun moment vous ne faites allusion à une base de travail et d’échanges collectifs déjà existante, très riche, dont la Fondation Copernic ou l’Association pour une constituante sont les parties émergées, comme si votre idée d’une République nouvelle avait germé hors sol. Vous êtes-vous penchés sur ce terreau remué depuis quelques lustres par des hommes et des femmes de tous horizons ?

- Vous prenez pour modèle de gouvernance parlementaire les coalitions à l’allemande. Pensez-vous que le bilan des coalitions à l’allemande soit si positif que cela, surtout si quasiment rien ne discrimine les partis majoritaires dans leurs orientations idéologiques ? En face d’une coalition CDU-SPD qui vote un salaire minimum, avec des aménagements dilatoires dans une quinzaine de secteurs, nous pouvons dresser le monstre du consensus SPD-CDU autour des lois Hartz. Pensez-vous que le consensus soit le mode de fonctionnement naturel et exclusif d’une démocratie, quand il apparaît partout qu’il sert surtout les intérêts des partisans du « Il faut que tout change (un peu) pour que rien ne change » ? Pensez-vous que le parlementarisme, si on le saupoudre de proportionnelle, sera guéri des maux qui l’affectent et qui tiennent, pour une part, à la professionnalisation des représentant(e)s et pour l’autre, à leur irresponsabilité ?

- Vous valorisez, avec raison, le principe athénien de la « participation citoyenne permanente », mais, dans le même instant, vous défendez la République des partis, héritière de la République des brigues dénoncée par Rousseau, laquelle fait précisément obstacle, à tous les niveaux de consultation et de décision, à la « participation citoyenne permanente ». Ne serait-il pas temps d’interroger l’utilité des partis ? Le rapport un citoyen/une citoyenne, une voix, quand le citoyen/la citoyenne a dûment pesé son choix, en conscience et après examen des avis contradictoires, n’est-il pas plus décisif que les prises de position des lourdes machineries partisanes ?

- Vous réclamez une plus grande représentativité et une plus grande implication du peuple, mais vous continuez d’en appeler, dans les dernières lignes, à un sursaut du monarque-président, comme s’il lui restait une once de légitimité pour ce qui est de la refondation de la République. Est-ce donc si difficile que cela de concevoir un régime dont la capacité de bouger ou de s’endurcir ne serait pas tout entière déterminée par les mouvements de sa tête ? Pourquoi s’acharner à faire se rencontrer la tête et le corps de notre République, alors qu’il devient évident que la tête ne répond plus et qu’elle ne répondait déjà plus avant la présidence Hollande ? « Peuple, reprends corps ! Tête, reprends peuple ! » Tel devrait être votre mot d’ordre.

- Vous terminez votre appel par une adresse « aux citoyens », à « ceux » qui partagent votre conviction. Que faites-vous des citoyennes, de celles qui s’estiment partie prenante de l’activité démocratique et qui se souviennent qu’elles en ont été exclues jusqu’à une date récente ?

Dans l’attente de réponses de votre part, je vous prie de croire qu’en tant que simple membre de ce peuple si courtisé et si peu en cour, je ne demande qu’à participer à l’élaboration collective d’un projet de société qui garantisse la survie de l’espèce. Sachez cependant que je fuis les marchés de dupes. C’est une autre leçon paradoxale que l’on peut tirer des dernières élections européennes, et peut-être un motif d’espoir pour vous comme pour moi : le demos a repris corps dans l’abstention record. Il existe. Venez le voir sur son terrain. La démocratie est déjà son affaire. Il pense, il essaie des choses et il a bien des choses à vous dire.

Laissez-vous toucher comme vous m’avez touché.

Bien à vous,

Bertrand Rouziès-Léonardi, citoyen.

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