François Chérèque, transporté par décret divin à la tête de l'Agence pour le Service Civique, pensait sans doute pantoufler à l'aise dans les charentaises de Martin Hirsch. Patatras ! Voilà que Zeus, depuis son Olympe élyséen, souverain en sa platitude, lui ordonne de se préparer à une montée en puissance de la structure qu'il dirige : la nation a saigné. Si la nation a saigné, c'est que la jeunesse a failli, comme de bien entendu. Pour mémoire, les terroristes qui ont visé la France au cœur en janvier 2015 étaient des jeunes hommes égarés bien de chez nous - eh oui, on peut s'égarer chez soi - et leur courte carrière aura manqué de peu le label rouge : nés en France, élevés en France, abattus en France, mais conditionnés au Yémen (humour juif, tendance Charlie Hebdo). Pendant que François Chérèque réfléchira au moyen de créer miraculeusement, dans un contexte de chômage de masse, plus de 100 000 nouvelles missions pour les jeunes volontaires, alors que l'ASC n'arrive pas à satisfaire toutes les demandes, deux vieillards illustres, les Présidents du Sénat et de l'Assemblée Nationale, auront jusqu'en mars prochain pour élaborer et proposer des aménagements du système actuel. Il est de coutume, en notre Gaule chevelue, de confier à de vieux druides chenus le soin de disserter sur la jeunesse turbulente et de décider de ce qui est le meilleur pour eux, pardon, pour elle. Les cimetières militaires attestent à perte de vue de leur clairvoyance.
Union sacrée oblige, Zeus prête une oreille attentive aux voix à droite qui réclament un service civique obligatoire et à celles à gauche qui réclament la levée d'une garde nationale pour assurer la sécurité. Lui-même a bien sa petite idée : plus rapiat que Ploutos, Sa Majesté envisage de développer l'engagement civique bénévole, car c'est encore trop que de verser quelques centaines d'euros aux volontaires. Bref, on se consulte au sommet. Comme d'habitude, on se garde bien de consulter les acteurs du service civique existant. Des grincheux parmi eux osent déjà mettre en doute la pertinence d'obliger tous les jeunes citoyens à servir, comme si une servitude massive allait faciliter le difficile apprentissage du don de soi. D'autres poussent le mauvais esprit jusqu'à évoquer la pression que l'extension du service civique exercera sur les petits emplois salariés, si la forme rémunérée est maintenue. Quelques-uns, plus rétrogrades encore, attirent l'attention sur le fait qu'un service obligatoire risque d'être assimilé à du travail forcé par la Cour européenne des droits de l'homme.
Dans toute cette surenchère alimentée par la peur recuite qu'inspire la jeunesse, la palme du ridicule et de l'inquiétant revient - et j'en suis navré jusqu'aux tréfonds - à Jean-Luc Mélenchon. Celui-ci rêve de rétablir la conscription et de ressusciter la garde nationale avec du sang frais. Transformer en réserve de bons petits patriotes disciplinés toute une tranche d'âge qui incline plutôt à s'affranchir des codes imposés pour se les réapproprier ou s'en choisir de nouveaux, voilà qui vous pose un progressiste ! Si une jeunesse en armes est un signe de bonne santé civique, je veux bien être fusillé pour sédition. J'imagine déjà le préfet du Tarn déployant la bleusaille fraîchement embrigadée sur le site de Sivens pour y ramener l'ordre républicain : face à elle, la "tourbe" des zadistes anars-réfractaires-objecteurs-pacifistes-écolos-bobos-ou-marginaux, d'une moyenne d'âge équivalente... Faire réprimer les élans de la jeunesse par des jeunes, quel raffinement !
La formule actuelle du service civique me semble amplement suffisante en tant qu'illustration concrète des règles du vivre ensemble, de l'entr'épaulement bâtisseur. Il faudrait simplement veiller à ce qu'elle ne devienne pas une variable d'ajustement des chiffres du chômage et que la mixité sociale y soit plus poussée qu'elle ne l'est. Je suis favorable au bénévolat, mais à une condition : que le personnel politique, exemplaire donneur de leçons sur l'art de servir, serve lui aussi bénévolement. - Tiens, plus personne ? - Donc, conservons le principe d'une rémunération, puisqu'il nous est si difficile d'être complètement désintéressés. En revanche, pour purifier cette mesure de ses derniers relents nationalistes, mercantilistes et démophobes, il conviendrait de créer un service civique européen, financé par l'UE. Ce service civique européen serait consacré aux œuvres sociales et environnementales. Les volontaires seraient dirigés en priorité vers les pays de l'Union et les pays tiers ravagés par l'économie de marché, dont nous contribuons à répandre les standards mortifères. Pour ressouder et fortifier les solidarités intergénérationnelles, le service civique européen devrait être accessible à toutes les tranches d'âge. Il importe que l'entretien du bien commun ne soit plus cette activité secondaire, ce hobby des cœurs tendres que le capitalisme tolère aux abords d'une vie professionnelle pour mieux faire passer la sujétion complète qu'il exige du travailleur, une fois que celui-ci est entré dans la danse. En somme, un service civique ainsi conçu apporterait un démenti à Georges Bernanos, qui écrivait dans sa Lettre aux Anglais : "La démocratie est une forme politique du capitalisme dans le même sens que l'âme est la forme du corps selon Aristote, ou son idée, selon Spinoza."
Jeunes de France, la Grèce a besoin de vous, elle a besoin de nous tous. Aidons-la, soutenons-la, car elle soutient nos espérances !