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Billet de blog 5 avril 2015

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Le cas Tartonne : chassé croisé FN-FdG

Tartonne est un petit village des Alpes de Haute Provence, où je vis désormais, même si je suis assez souvent à Marseille, à Aix, à Paris et à l'étranger. En 2014, lors des élections européennes, le Front National a obtenu à Tartonne 36, 92% des voix et le Front de Gauche 13, 85% (le PS a obtenu 4, 62% et l'UMP 13, 85, autant que le FdG). En 2015, aux départementales, le Front de Gauche a obtenu 34, 21% des voix et le Front National 19, 74% (le PS a obtenu 15, 79% et l'UMP 27, 63%).

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Tartonne est un petit village des Alpes de Haute Provence, où je vis désormais, même si je suis assez souvent à Marseille, à Aix, à Paris et à l'étranger. En 2014, lors des élections européennes, le Front National a obtenu à Tartonne 36, 92% des voix et le Front de Gauche 13, 85% (le PS a obtenu 4, 62% et l'UMP 13, 85, autant que le FdG). En 2015, aux départementales, le Front de Gauche a obtenu 34, 21% des voix et le Front National 19, 74% (le PS a obtenu 15, 79% et l'UMP 27, 63%).

Autrement dit, en 2014, le FN est premier et le FdG, troisième. En 2015, c'est juste le contraire.

Comme je l'ai dit, Tartonne est un petit village avec une centaine de votants, je ne prétends donc pas faire de ce "chassé croisé" la base d'une théorie profonde, et d'un autre côté, le "Cas Tartonne" mérite d'être compris.

Les gens ici sont agriculteurs et éleveurs, des entreprises familiales, puis artisans (gros-oeuvre, électricité, isolation). De toutes petites entreprises. L'athosphère est chaleureuse, plusieurs fêtes par an réunissent le village. Mon épouse et moi, qui sommes originaires de grandes villes avons été très agréablement surpris de l'accueil. 

Je suppose que si l'on remontait les vingt dernières années ou davantage, on trouverait que c'est une terre "de droite". Comment expliquer le retournement observé ?

Par trois raisons, selon moi. Premièrement, le Front de Gauche a fait une réunion électorale à Tartonne. Aucune autre liste n'en a fait. Toute l'équipe de la mairie était présente et a participé à la réunion en posant des questions. Deuxièmement, il est apparu que les gens de Tartonne étaient concernés par les modifications de la loi sur les départements, et que les positions du FdG leur convenaient. Troisièmement, un artisan de Tartonne faisait partie de l'équipe (deux titulaires, deux remplaçants) qui se présentait.

Quoiqu'on pense de ce fait d'arithmétique électorale, il me semble compatible avec l'idée qu'une partie du vote FN peut assez facilement se transformer en vote FdG. Si l'on examine de près les déplacements de voix, il semble clair qu'entre un quart et un tiers des voix du FN se sont reportées sur le FdG. Une autre part est retournée vers la droite classique. 

Ceci peut renforcer l'idée que "les extrêmes se rencontrent", mais si cette formule est loin d'être complètement fausse, il reste à en préciser le contenu. Pour donner mon point de vue, je dois remonter assez loin (mais en peu de mots).

Je me suis longtemps considéré comme marxiste, léniniste et trotskiste. Depuis, disons 1986, ce n'est plus le cas. Pour en rester au premier mot : "marxiste", il faut savoir que le marxisme n'est pas considéré par ses défenseurs comme simplement une théorie sociale et économique : c'est une théorie-pratique, une praxis, totalement identifiable à l'action d'une classe, le prolétariat. Pour le dire à toute vitesse, c'est l'effacement relatif à la fois numérique et qualitatif (la concentration en grandes unités de travailleurs de l'industrie) du prolétariat qui fait qu'on ne peut plus (selon moi) être marxiste au sens premier, le plus fort.

Un marxiste russe, Plekhanov, se moquait (vers 1890) des théoriciens "petits-bourgeois" qui, disait-il, se considèrent comme appelés à conduire le processus révolutionnaire, du fait qu'ils sont moins liés à la propriété des moyens de production que les bourgeois, et d'autre part plus instruits que les prolétaires...

Plekhanov (et Lénine qui à cette époque l'admirait) avait sans doute raison en 1890, mais aujourd'hui nous sommes dans cette situation : beaucoup de choses dépendent de l'attitude de couches non bourgeoises et non prolétariennes. 

La difficulté de notre situation, si nous envisageons les choses du point de vue de l'émancipation, du renversement de la dictature du capital, c'est que ces couches sont politiquement assez versatiles.

Ces couches, non bourgeoises et non prolétariennes pèsent lourd dans tous les partis de la "vraie gauche" : du PCF jusqu'à EELV (et sans doute quelques socialistes).

Elles ont une vague conscience sociale du fait qu'elles contribuent à grossir chaque année la masse des déclassés, des sans travail, de ceux qui n'ont pas un VRAI travail, capable d'assurer une vie décente à leur famille, une vague conscience du fait que cette déchéance, si elles y échappent, menace certainement leurs enfants. Ces couches expriment d'une manière ou d'une autre (y compris électoralement) leur conscience du fait que la dictature du Capital mène l'humanité à un désastre généralisé.

Pour autant, elles n'ont pas d'attirance forte et résolue pour des mesures radicales comme par exemple le fait d'envoyer balader les traités européens qui empêchent toute politique sociale, de socialiser les grands secteurs de production vitaux pour la vie des citoyens (l'industrie pharmaceutique, le pétrole, etc), le plafonnement autoritaire des revenus indécents (plus de 300 000 euros par ans)  et la confiscation de très grands patrimoines (plus de vingt millions, par exemple).

C'est là, et nulle part ailleurs, qu'il faut chercher les difficultés du rassemblement des vraies gauches. C'est davantage la peur du succès que la peur de l'échec. Un phénomène Syriza en France est à portée de main, réalisable en moins de temps qu'il n'en a fallu en Grèce. La vraie gauche peut prendre la tête d'une coalition populaire dans un futur immédiat. Les difficultés ne sont pas dans les "désaccords". Qu'ils s'agisse de l'attitude à avoir devant Bruxelles, ou du chemin à prendre, qu'il s'agisse de partager le travail et les ressources, ou de s'engager dans la transition énergétique, les "désaccords" sont complètement artificiels : les incertitudes sur ces questions difficiles partagent TOUS LES PARTIS.

Rien n'empêche qu'avec prudence et bonne volonté, on en discute de manière à avancer ensemble.

Ce qui nous retient, je l'affirme, c'est la peur du succès : c'est le trac devant les mesures considérables qu'il nous faudrait être amenés à prendre, si nous parvenions au pouvoir. 

Deux obstacles, au moins, empêchent le rassemblement : le PCF craint de perdre de l'importance en donnant son accord à l'adhésion directe au rassemblement.

Et EELV craint d'être entrainée trop loin dans une direction trop anti libérale.

Deux craintes, auxquelles la nécessité retire toute réelle pertinence. Syriza a eu le courage d'aller au pouvoir. Aurons-nous ce courage ?

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