C’est sans doute la pensée que Nicolas Estrosi, maire UMP de la ville de Nice avait derrière la tête lorsqu’il décida de prendre un arrêté sans précédent interdisant ni plus ni moins « l’utilisation ostentatoire de tous les drapeaux étrangers sur l’hypercentre » de la ville de Nice pendant la durée de la coupe du monde de football.
Cet arrêté a été pris juste avant la rencontre du match Allemagne-Algérie, et quelques jours après les débordements et les violences accompagnant la qualification de l’Algérie pour les premières huitièmes de finale de son histoire. A moins de faire preuve de mauvaise foi ou d’une navrante naïveté on comprend très bien que la volonté de cet arrêté est d’interdire « l’utilisation ostentatoire de drapeaux algériens sur l’hyper centre » de la ville de Nice.
En prenant cet arrêté Mr Estrosi place sa ville, et malheureusement le pays entier au même niveau qu’un régime dictatorial décrétant soudainement une loi d’une part profondément liberticide, mais surtout dont le but est de stigmatiser une partie de la population et donc de diviser les gens entre eux pour mieux régner, ou dans ce cas là pour se faire de la com’ et préparer sa prochaine élection.
La coupe du monde de football est un événement qui pourrait être utilisé pour rapprocher les nations d’une manière festive, ce qui est d’ailleurs souvent le cas, mais malheureusement cette fois-ci Estrosi, dont on ne sait plus vraiment s’il appartient à l’UMP ou au FN instrumentalise cette dernière afin de montrer du doigt une partie de la population française à savoir les français d’origine algérienne, et plus généralement les français qui ont des liens de parenté avec les pays du Maghreb.
Le ridicule de cet arrêté pourrait prêter à sourire si ce n’était la dernière trouvaille d’une liste sans fin cherchant à stigmatiser et à accuser de maux imaginaires les français ayant une origine algérienne, et les musulmans en général.
Les algériens, les français d’origine algérienne et les français aimant l’Algérie ont déjà suffisamment honte du comportement d’une petite bande de jeunes gens profitant des manifestations de joie des supporters algériens pour défouler leurs frustrations en cassant ou vandalisant ce qu’ils ont sous la main. La honte s’amplifie d’un cran supplémentaire lorsque les médias parlent plus de ces dérapages que des performances historiques de l’équipe d’Algérie. La honte s’accompagne enfin de consternation et de désespoir lorsque pour une fois que l’actualité associait l’Algérie à un événement joyeux et positif, on en retiendra encore que du négatif.
Certes, il faut parler des dérapages, mais il faudrait en même temps souligner que dans la grande majorité des cas, les manifestations de joie des supporters n’étaient pas violentes. Lorsque les supporters de l’équipe de France envahissaient les rues à chaque victoire de l’équipe de France en 98 et 2006, on n’entendait aucun homme politique condamner ces troubles à l’ordre public. C’est dans ce cas du deux poids deux mesures.
Et on touche maintenant le cœur du problème. Mr Estrosi en fin politicien a pris cet arrêté non pas pour éviter les troubles à l’ordre public mais pour surfer sur la xénophobie d’une partie des français en parfaite cohérence avec la stratégie de l’UMP de conquérir les terres du front national. Parce qu’il faut bien le dire, une partie des français supportent mal de voir des supporters algériens défiler tous klaxons hurlants dans les rues, exhibant avec joie et fierté le drapeau de l’Algérie. Ils refusent que des citoyens français ayant des origines algériennes soient fiers et heureux pour le pays de leurs parents ou de leur grands-parents.
Estrosi ayant compris cela, il lance un nouveau petit slogan coup de poing : « Soutenez l’équipe de France ou cassez vous, pov cons ! ». Car c’est bien ce que signifie toute cette mascarade. Dans la droite ligne du slogan précédant « la France tu l’aime ou tu la quitte ». Dans la même ligne que la polémique qui fit suite aux déclarations de Karim Benzema déclarant que l’Algérie est dans son cœur ou que c’est le pays de son cœur, peu importe. Les politiques jouent sur l’inclinaison qu’a le cerveau humain à voir les choses en noir et blanc. Soit tu supportes l’équipe d’Algérie, soit tu supportes l’équipe de France. Soit ton cœur est en France soit il est en Algérie.
La richesse (et la difficulté devant l’animosité que cela provoque) des français ayant des parents d’une autre nationalité, ou des parents de deux nationalités différentes est justement qu’ils peuvent s’identifier à des cultures et des pays différents. Je peux aimer le pays d’origine de mes parents et aimer le pays dans lequel je suis. Où est la contradiction ici ? Pourquoi devrait-il y avoir un choix là où nul choix ne s’impose ? C’est comme de demander à quelqu’un de choisir entre sa mère et son père. On peut aimer son père et non sa mère, et inversement et on peut aussi aimer ni l’un ni l’autre mais en général, heureusement, on aime les deux.
Pour conclure, cet arrêté est très inquiétant et surtout révoltant.
Très inquiétant car il touche à une liberté fondamentale en démocratie, la liberté d'expression, ni plus ni moins que la base sur laquelle repose tout notre système sociétal.
Révoltant car il cherche à diviser et à exclure. Là où tous les français pourraient se réjouir ensemble de la victoire de l’Algérie, pays d’origine de beaucoup d’entre eux, ils sont divisés par des politiques attisant la peur de l’autre. Révoltant, car c’est encore une occasion manquée pour célébrer la richesse de la France en terme d’origine et de mélange. Révoltant car tous les français d’origine algérienne qui veulent se sentir chez eux en France, constatent encore une fois combien il y a de méfiance et de préjugés à leurs égards.
Révoltant enfin, car au moment où j’écris ces lignes il n'y a presqu’aucune prise de positions condamnant de la manière la plus totale cette arrêté liberticide et honteux rappelant l’époque sombre des années 1960.
J’espère simplement de tout mon cœur que cet arrêté sera annulé par le tribunal administratif suite à la plainte déposée par un niçois.