Fin mai 2015, la situation en Syrie- Iraq évolue rapidement, mais dans le sens d'une grande complexité. Derrière une progression rapide et brutale sur tous les fronts, ISIS montre de premiers signes de fragilité qui devraient être rapidement exploités. De même, les intérêts et combats des différents en camps s'enremêlent, rendant la situation complexe et confuse.
Récapitulons donc pour les seuls acteurs directement présents en Iraq et au Syrie :
- Le pouvoir d'Assad : toujours soutenu par les Russes et l'Iran (par l'intermédiaire du Hezbolah libanais), il a subi des revers sérieux en perdant Palmyre, mais aussi la province d'Idlib. Il tient encore Deir ez-Zor, mais la retraite se replie face à l'avance d'ISIS (qui revendique des positions à Buzayri, à 87 km de Palmyre, vers Homs et Damas).
Pour autant, la stratégie de concentration contre les rebelles modérés et jihadistes anti-EI se poursuit, avec les bombardements aériens permanents et sanglants sur Alep, et l'appui au Hezbollah qui progresse dans la zone de Qalamoun, assurant la liaison avec le Liban.
Le vrai enjeux aujourd'hui pour un pouvoir qui a perdu de vastes portions de territoires mais maintient ses positions dans les zones les plus peuplées est double : maintenir l'intégrité des secteurs de Damas et du sanctuaire Alaouite (avec l'ouverture vers la Méditerranée), et continuer à chercher le soutien de la coalition occidentale (au moins une frappe aérienne des USA a soutenu l'effort sur Palmyre).
- le Hezbollah : soutien du régime d'Assad, il s'agit d'une force militaire importante mais qui a subi des pertes sérieuses en Syrie. Engagée pour l'instant contre le JAN et la coalition jihadiste anti-EI, elle a du désengager une partie de ses effectifs pour renforcer ses positions au Liban (pays de plus en plus menacé par la guerre civile et les tensions sunnites / chiites comme celles AQ/EI), et en Iraq.
- la rebellion dite "modérée" : formée d'une myriade de petits groupes, elle est en perte de vitesse, n'ayant jamais réussi à assurer sa légitimité à l'égard des Occidentaux, des Etats voisins, des groupes jihadistes et même des popultaions civiles (et particulièrement les communautés sunnites désormais séduites par ISIS). Les positions de la rebellion vers Alep sont aujourd'hui clairement menacées par ISIS (qui vient de passer à l'offensive et a pris Sawran, au coeur des positions de la rebellion) .
- la rebellion jihadiste anti-EI : coalition formée autour du JAN (groupe affilié à Al Qaida) qui a réussi à obtenir le soutien des Etats voisins (Turquie, Arabie Saoudite, Qatar, mais aussi Israël et les Occidentaux jusqu'à un certain point), et a conquis de vastes portions de territoire dans un secteurs menaçant pour Assad (Idlib - Jisr el Choughour). Cette coalition reste affaiblie par sa disparité et par la présence d'un mouvement affilié à Al Qaida (et donc combattu par les Occidentaux). Elle se heurte de plus en plus à ISIS, que ce soit au Liban ou dans le Qalamoun syrien.
- ISIS : le groupe est en pleine offensive en Syrie comme en Iraq. Il bénéfice aujourd'hui du soutien des populations syriennes sunnites, et multiplie les provocations à l'égard des Occidentaux dans l'espoir d'un engagement terrestre des "croisés". Soutenu officiellement par personne, il profite avec une redoutable habileté des erreurs politiques commises en Iraq comme ent Syrie, et sait saisir les moindres occasions de gains territoriaux aussi bien Syrie (en attaquant les plus faibles : rebelles modérées, Assad, JAN...) qu'en Iraq. Les dirigeants d'ISIS maîtrisent complètement les divergences entre les différents camps pour en tirer profit. Le territoire conquis n'est pas très peuplé mais recèle de nombreuses ressources stratégiques : pétrole, gaz, mines, eau potable, etc...
Pour autant, les forces Kurdes sont en train de lui infliger des revers au nord, en libérant des zones chrétiennes en Iraq, avec le soutien de la coalition aérienne occidentale.
De même, le soutien des populations reste fragile, et la résistance de certaines tribus sunnites plus tenace qu'attendu, malgré les errements du gouvernement iraquien.
Enfin, ISIS tente également d'exporter le conflit et la destabilisation en dehors des zones Iraq/Sham : en Libye où les succès sont importants, mais aussi au Sinaï (profitant de la répression de la dictature égyptienne), au Yemen et au KSA (avec des attentats ciblés contre les chiites).
- le gouvernement Iraquien : soutenu à bout de bras par les USA et l'Iran, il multiplie les erreurs face à ISIS, privilégiant les forces chiites aux sunnites anti-EI. Impossible à ce jour d'envisager une reconquête de Mossoul ou de Ramadi à brève échéance. Les tensions communtaires qui traversent l'Iraq et sont autant de renforcement de la position d'ISIS vont s'aggraver avec la période des pélerinages chiites (cibles vulnérables à des attentats suicides).
- les milices chiites iraquiennes : soutenues pour la plupart par l'Iran, elles sont prêtes à prendre l'offensive contre ISIS. Toutefois, il n'est pas certain qu'elles bénéficient du soutien aérien de la coalition occidentale. Et surtout, une offensive en zone sunnite rsque d'être contre-productive, car il n'est pas envisageable de "libérer" les sunnites du joug d'ISIS avec des milices chiites anti-sunnites...
En conclusion, la multiplicité des acteurs, des interventions extérieures, et des stratégies mises en oeuvre montre une situation confuse, évolutive et complexe, dans laquelle il est délicat d'affirmer avec certitude quelles seront les prochaines évolutions.
ISIS se révèle être un acteur majeur et le danger le plus important dans la zone, et la coalition occidentale va devoir choisir ses alliés sur le terrain pour le combattre : la dictature d'Assad, les milices pro-iraniennes ou les jihadistes d'Al Qaida ?
Chacune de ces options porte de tels renoncements ou de si grands dangers que les hésitations risquent de durer encore longtemps, pour le plus grand malheur des populations civiles prises dans une guerre terrible et hyper-violente.