La séquence d'hier et d'aujourd'hui montre clairement les conséquences de l'entrée dans le "Grand Jeu" du Proche-Orient d'ISIS.
Après avoir pris pied au sein de la jeunesse palestinienne dans la Bande de Gaza, ce qui a engendré une vague d'arrestation de sympathisants ou d'activistes d'ISIS par le Hamas, puis une série d'attentats revendiqués par ISIS contre des postes du Hamas, ISIS entame la tactique qui lui a si bien réussi en Syrie.
Récapitulons la séquence :
- le 6 juin 2015, la Brigade Omar Hadid (qui serait une unité relevant d'ISIS même s'il n'y rien d'officiel encore) a lancé une roquette Katiouchka de 130mm à 21h35 sur un terrain vague d'Ashkelon.
La revendication de ce tir est dédidée "aux détenus en Israël et à Gaza". Le Hamas est donc visé autant qu'Israël par cette action redoutable.
- le 7 juin 2015 : Israël riposte ("officiellement à plusieurs tirs de roquettes à Ashkelon") par des raids aériens contre un centre d'entraînement du Hamas dans le nord de la bande de Gaza, et en fermant les points de passage entre Israël et la bande de Gaza d'Erez pour les passagers et de Kerem Shalom, pour les marchandises (mesure de rétorsion classique qui frappe essentiellement les civils et contribue à l'asphyxie économique et à la radicalisation des populations vivant dans des conditions matérielles difficiles).
Vous avez donc bien lu : un mouvement proche d'ISIS frappe Israël pour se venger du Hamas, et obtient qu'Israël riposte contre... le Hamas.
La tactique, qui a si bien marché en Syrie, fonctionne donc à merveille, et il est fort probable qu'à mesure qu'ISIS développe ses actions à Gaza (ce qui est probable au regard du renforcement de ses positions dans le Sinaï, dont des secteurs entiers échappent à l'armée égyptienne du dictateur Sissi), cela provoque un affaiblissement de ses ennemis, avec l'aide de l'ennemi "suprême" dans l'imaginaire jihadiste (le régime sioniste abhorré).
Le jeu est dangereux, et il appartient à Israël d'être plus intelligente dans ses réactions aux provocations grossières que ne l'a été le régime d'Assad par exemple.
L'opposition irréductible de deux forces se neutralisant permet ainsi à ISIS de s'infiltrer dans le conflit et de se renforcer des coups que chaque ennemi inflige à l'autre, souvent suite à des provocations. ISIS concentrant ses efforts d'abord dans l'alimentation du conflit, puis en attaquant le plus faible des deux pour conquérir une position dominante et inexpugnable.
Cette séquence illustre également le caractère infondé des théories complotistes faisant d'ISIS un "agent" d'Israël. Elle illustre aussi le caractère inéluctable d'un rapprochement Israël / Arabie Séoudite, alliance tactique objective pouvant arrêter l'avance d'ISIS, mais en réalité qui vise à contrer l'influence iranienne, et les ambiguités de plus en plus flagrantes des USA à l'égard de l'Iran.
Enfin, ISIS montre à nouveau un remarquable sens tactique, en concevant des méthodes de combats qui par les moyens, le choix des cibles et du tempo des opérations démontre une compréhension exceptionnelle de la situation diplomatico-stratégique. Ces qualités s'appuient aussi sur les erreurs des autres opérateurs, à commencer par l'Occident et Israël.