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Billet de blog 23 août 2015

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NON L'ETAT ISLAMIQUE N'EST PAS SUR LA DEFENSIVE

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Depuis plusieurs jours les articles fleurissent dans la presse présentant l'EI comme "sur la défensive", "sur le déclin", en recul...

Tout a commencé par une conférence de presse le 21/08 du Chief of Joint Operations de l'armée Australienne, le Vice-amiral David Johnston (voir aussi ici pour une relation plus complète), qui a déclaré notamment que l'EI était plus centralisé qu'avant, et que ses efforts portaient désormais sur la défense des territoires conquis. Il ajoute que les pertes infligées seraient de 7000 soldats tués en un an.

Il n'en faut pas plus pour que les commentateurs glosent à l'infini sur la défaite de l'EI.

 Ce n'est malheureusement pas nouveau, les militaires occidentaux et les journalistes ayant déjà annoncé le "recul" ou la "défaite" de Daech depuis longtemps.

Par exemple en septembre 2014, l’armée irakienne poursuit son offensive, l’EI recule.

en novembre 2014, en recul sur le terrain, l’Etat islamique contre-attaque sur le front de la terreur.

en janvier 2015, le monde (le journal) s'interrogeait : l'Etat islamique sort-il affaibli de la bataille de Kobané ?

en avril 2015, la presse anglo-saxonne glosait même sur les défaites de l'EI dans la Province d'Al-Anbar face aux forces iraqiennes (en mai, Ramadi capitale de cette province tombait aux mains d'ISIS).

La propagande est donc évidente, l'EI n'étant ni sur la défensive, ni sur le recul militairement.

Il faut à ce stade rappeler que l'analyse des opérations de l'EI depuis 3 ans montre :

- que les périodes de conquêtes fulgurantes sont rares, et espacées dans le temps

- que les pertes infligées par les raids de la coalition, et les combats au sol sont difficilement évaluables. L'armée australienne annonce 7-8000 morts en 12 mois sur des effectifs évalués entre 20-31.000 hommes pour l'EI.

Le ratio présenté par les Occidentaux (25-35%) est intenable sur le long terme et on se demande comment l'EI pourrait tenir encore.

Or, les forces de l'EI sont structurées sur deux niveaux : des combattants, souvent jihadistes étrangers, mobiles et déployables en Iraq comme en Syrie (et sur plusieurs fronts en même temps), et des milices locales, souvent tirées des tribus ralliées, et chargées de la défense (et du contrôle) des territoires.

On voit bien que comme au Vietnam (ou en Algérie) le "body count" ne signifie rien et ne permet aucune prévision sur la situation militaire. Les soldats de l'EI tués sont-ils des jihadistes étrangers ou des locaux (s'agit-il de soldats ou de civils d'ailleurs ?).

Si l'on observe des évènements de cet été, il est difficile d'adhérer au discours "officiel" selon lequel l'EI serait en train de vivre "le début de la fin" :

- l'EI a encore étendu ses positions au fur et à mesure de la décomposition des autres mouvements rebelles, aussi bien dans le secteur nord (Alep) que l'EI avait abandonné en 2014 et dans lequel il est à l'offensive contre les rebelles (profitant de leur affaiblissement face aux attaques des troupes d'Assad, qui rappelons-le, restent concentrées contre les autres mouvements rebelles plutôt que contre l'EI) que sur le secteur frontalier avec le Liban (l'EI vient de conquérir un poste-frontière libanais à Al-qusayr - profitant là encore des défaites des autres mouvements rebelles face aux Hezbollah et aux milices d'Assad).

- l'EI semble bloqué devant Hassaké, par les troupes d'Assad et les Kurdes, mais les raids turques affaiblissent les milices kurdes (qui ont perdu en quelques semaines 775 morts d'après les chiffres turcs).

- l'extension internationale de l'EI n'a cessé : au Mali (qui est devenue la mission de paix la plus meurtrière de toute l'histoire de l'ONU - de quoi relativiser la victoire "chimiquement pure" des troupes françaises en janvier 2013), en Algérie/Tunisie (les ralliements se multiplient), en Libye où l'EI a définitivement conquis Sirte (et massacré les opposants)... mais aussi en Egypte, à Gaza et au Liban (en ce moment même des combats ont lieu dans les camps palestiniens de Saida entre des factions jihadistes - dont au moins une s'est ralliée à l'EI - et le Fatah). Il n'y a guère qu'en Arabie Saoudite et en Turquie où l'EI semble avoir échoué.

Enfin, au Yemen, la faction s'étant ralliée au Califat de Baghdadi étend son emprise, profitant des défaites des Houthis face aux forces des royaumes de la péninsule arabique. Là encore, comme en Syrie, l'EI peut profiter des "failles" créées par la complexité de la situation et les erreurs de leurs ennemis qui s'affaiblissent mutuellement en leur laissant ensuite leur champ libre. Après la défaite des Houthis face aux troupes régulières yéménites (renforcées par leurs alliés des pétro-monarchies - dont des forces blindées armées de notre char Leclerc), puis l'engagement des raids aériens US et Saoudiens ne s'engagent que contre les "concurrents" d'Al Qaida.

Et surtout, l'EI dispose encore de "marges de progression" territoriales aussi bien en Iraq (face aux troupes iraqiennes moribondes) qu'en Syrie (Deir ez-Zor est sa priorité tactique évidente).

L'objectif principal de l'EI à court terme est donc désormais Damas, dernière zone où il va pouvoir bénéficier d'une forte assise au sein de la population sunnite (rappelons que les informations données sur la chute de Mossoul montrent qu'il s'agit autant d'une conquête militaire que d'un soulèvement populaire récupéré ensuite par les milices de l'EI).

Donc méfions-nous des propagandistes de tous bords, aussi bien ceux qui veulent nous faire croire que le régime d'Assad est la "solution" à la guerre contre l' EI (alors qu'il n'en est rien) comme ceux qui veulent nous "vendre" que des F-16 et des drones suffiront à vaincre ce projet messianique et totalitaire qui est loin d'être sur la défensive (même si pour des postures de propagandes jihadistes, l'EI se présente comme "seul contre tous" et comme le "défenseur" et "l'agressé").