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Quelques réflexions sur la situation délétère du pays

et les vents mauvais qui y soufflent - 22.11.2013.

 Par Claude DEBONS

Au sein même d’une crise européenne profonde qui voit les pays les plus fragiles soumis à une austérité destructrice de leur modèle social, notre pays est traversé par de multiples éléments de crise qui, s’ils s’assemblent, risquent de conduire à un désastre. Crise économique, crise sociale, crise identitaire, crise de la perspective, crise du sens, etc. 

Le mouvement social à la peine

 On a vu ces images terribles des affrontements entre ouvriers de deux usines du groupe Gad en Bretagne, l’une vouée à la fermeture et ses salariés aux licenciements, l’autre appelée à poursuivre son activité et ses salariés s’opposant au blocage de cette dernière. Le désespoir qui poussait à l’action les uns s’est heurté à la peur du chômage des autres. La solidarité ouvrière n’a pas résisté au sauve-qui-peut localiste au niveau de chacun des sites d’une même entreprise.

 Tout aussi révélateurs les accords de compétitivité signés à Renault et PSA, prévoyant des mesures de flexibilité et de gel des salaires en échange d’une promesse temporaire de maintien des emplois. La pression d’un accord plus défavorable signé à Renault Espagne ou la crainte pour l’avenir du groupe Peugeot ont placé les salariés dans la peur du lendemain et l’impuissance à agir contre ces régressions sociales. Et des centaines d’accords du même type se signent sans bruit dans le cadre de la nouvelle loi de « sécurisation de l’emploi ».

 Enfin il y eut la réforme des retraites, prolongeant la logique régressive de la réforme Fillon que ne parvient pas à atténuer un trop maigre compte pénibilité. Après un baroud d’honneur syndical, l’intériorisation de la défaite prit le dessus. Quoi d’étonnant que la succession des défaites dans toutes les réformes menées par la droite (1993, 2003, 2007, 2010) ait provoqué un profond fatalisme dès lors que c’est un gouvernement de gauche qui reprend les mêmes recettes.

Le secteur privé qui représente une grande majorité des salariés est depuis longtemps sur la défensive, et le secteur public sous pression ; cette réalité a de lourdes implications politiques. Cela ne veut pas dire qu’il ne peut pas y avoir des explosions sociales face aux fermetures d’entreprises par exemple, mais qu’une dynamique interprofessionnelle nationale est devenue plus difficile et que ces mouvements ne sont pas en capacité aujourd’hui de produire, par leur propre dynamique, de la perspective politique à gauche. Cela renforce la responsabilité de la gauche de transformation pour proposer une perspective alternative crédible susceptible d’éviter la désespérance sociale.

 Le président de la République et son gouvernement auraient grand tort de se réjouir de cette désespérance du mouvement social et des difficultés revendicatives qui leur permettent de faire passer des mesures de régressions sociales majeures. L’accumulation des défaites conduit à la désagrégation sociale et à la perte de centralité des revendications ouvrières ouvrant l’espace pour d’autres expressions du mécontentement. Et puis, si les luttes sont impuissantes, alors la colère rentrée fera irruption sous la forme de l’abstention ou du vote Front national. Craignons la secousse électorale que provoqueront l’approfondissement de la politique économique actuelle et l’impéritie d’une gouvernance illisible.

 Un ras-le-bol multiforme

 Le mouvement de mécontentement qui s’est développé en Bretagne illustre les dérives qui menacent. Au départ, il y eut les revendications des salariés pour la défense de l’emploi en réaction à la multiplication des plans de licenciements, lutte animée par les syndicats ouvriers. A l’arrivée, il y eut un mouvement de « bonnets rouges », interclassiste et confusionniste, instrumentalisé par les petits patrons et agriculteurs, submergeant le mécontentement ouvrier sous des revendications disparates exprimant un ras-le-bol multiforme, le déclencheur étant l’écotaxe. La question de la conquête de l’hégémonie sur un tel mouvement a été posée et difficilement maitrisée à gauche et par le mouvement syndical. Imaginons l’ampleur du défi si un tel mouvement de ras-le-bol venait à prendre une dimension nationale. Ce ne serait pas Mai 68, où l’hégémonie sur le mouvement était clairement à gauche contre un gouvernement de droite !

 L’accumulation des mécontentement et la perte de centralité de la « question sociale » nourrit des formes de contestations inquiétantes : « Manif pour tous » homophobe et conservatrice, jacquerie bretonne récupérant des symboles révolutionnaires locaux et cultivant une identité régionaliste, radicalisation extrême du petit et moyen patronat illustré lors de l’assemblée du Medef à Lyon, ras-le-bol fiscal multiforme et multi-catégoriel, campagne ignoble menée contre la Garde des Sceaux, etc.

 Toutes ces contestations se développent largement hors de contrôle de la droite traditionnelle et sont souvent travaillées de l’intérieur par des courants « identitaires » de l’extrême-droite. Se développent aussi un procès en illégitimité du pouvoir en place issu du suffrage universel, un rejet du consentement à l’impôt, une désobéissance de maires à la loi (mariage pour tous, rythmes scolaires) pourtant votée par une majorité parlementaire. Ce n’est pas le 6 février 1934, où les Ligues marchaient sur l’Assemblée nationale, mais plutôt une contre-révolution antirépublicaine rampante, par en bas, s’instillant dans les esprits, ce qui n’est pas moins dangereux.

 Le mélange de ces contestations entre elles, dans une période où la seule force en dynamique conquérante pour offrir une perspective politique est le Front National, peut conduire à un désastre politique. C’est pourquoi, il faut se féliciter que Thierry Le Paon de la CGT et Laurent Berger de la CFDT, ait su surmonter leurs désaccords, pour appeler ensemble à la vigilance et à la mobilisation contre les périls qui menacent.

 L’échec annoncé de la politique de compétitivité

 Beaucoup d’observateurs soulignent l’illisibilité de la politique gouvernementale. Pourtant derrière le fatras de mesures disparates et le bricolage fiscal, il y a une ligne de force cohérente. C’est la « ligne Schroeder », célébrée par François Hollande au printemps, à Leipzig, à l’occasion du 150° anniversaire de la fondation de la social-démocratie allemande, en présence de la chancelière Angela Merkel. C’est l’articulation « austérité budgétaire – baisse du coût du travail – flexibilité du travail », justifiée par la soumission aux traités européens et au dogme de la baisse des déficits publics. Il faut d’ailleurs noter le silence assourdissant des ténors du grand patronat français (Beffa, Bolloré, etc) ; eux comprennent que Hollande « fait le job » pour casser les « rigidités » (entendez les protections) du modèle social français, ce qu’un pouvoir de droite n’aurait pu faire sans susciter de bien plus vives réactions.

 Et ce n’est pas fini puisque le ministre du budget Cazeneuve a annoncé un programme d’économies budgétaires de 15 milliards chaque année jusqu’en 2017. S’ajoutant à la hausse programmée de la TVA, c’est une véritable purge qui ne peut que déprimer encore plus l’activité et l’emploi. La conjonction des politiques d’austérité en Europe (alors que la majorité des échanges commerciaux s’effectue en son sein) déprime la demande globale et l’activité globale et entretient un chômage de masse élevé. L’échec annoncé d’un retournement durable de la courbe du chômage (la multiplication des emplois aidés ne peut se substituer durablement à une reprise de l’activité économique) va priver François Hollande de toute justification des « efforts » demandés, puisque le seul objectif « social » annoncé ne sera pas réalisé au cours des prochains mois. Pas plus d’ailleurs que la baisse des déficits publics faute de recettes fiscales suffisantes, elles aussi déprimées par l’activité atone. De quoi approfondir encore la désaffection populaire.

 Comment interpréter dès lors la remise à plat fiscale annoncée par le Premier ministre ? D’abord comme un coup tactique pour détourner la grogne fiscale et donner un sursis supplémentaire à ce gouvernement et à ce Premier ministre à bout de souffle. A tout le moins la vigilance s’impose et il serait bien hasardeux de se féliciter trop précipitamment de cette annonce, bien tardive par ailleurs. Car cette dernière s’inscrit dans le cadre de la poursuite de la politique actuelle. Réforme fiscale peut tout aussi bien rimer avec réforme libérale que réforme sociale. Tout dépend de la philosophie qui l’inspire et des objectifs poursuivis. La gauche progressiste serait donc bien inspirée de demander des clarifications et de formuler ses exigences pour une vraie réforme fiscale progressiste qui reste à construire.

 La catastrophe annoncée et les moyens de la conjurer

 La politique de François Hollande déstabilise l’ensemble du jeu politique. La droite traditionnelle voit son espace politique habituel rétréci par la politique économique et sociale menée. Dès lors, elle est poussée à la surenchère vers un mélange d’ultralibéralisme — mais c’est au détriment de sa capacité à retrouver une base populaire — et de populisme droitier pour répondre à la montée des « paniques morales » — mais cela fait le jeu du Front national. Quant aux partis de gauche, ceux qui participent au gouvernement sont paralysés et ceux qui sont à l’extérieur ne parviennent pas à peser sur le cours politique suivi. Cette situation, qui voit un pays en état d’incandescence, où le chômage et la précarité s’aggravent, où le modèle libéral-européiste est massivement rejeté et où la rupture avec les élites s’approfondit, intervient dans un contexte où la gauche et le mouvement ouvrier sont eux mêmes en crise et en difficulté pour apporter des réponses susceptibles d’entraîner une dynamique populaire. C’est de ce terreau déstabilisé que le Front National tire sa substance.

 Il n’y a qu’une seule réponse qui vaille face à la montée des périls. Ce n’est pas le discours moraliste ou l’appel aux valeurs républicaines qui feront obstacle à la montée du Front National. C’est une réponse politique : un changement de cap programmatique et un nouveau pacte majoritaire pour le porter. Il devient urgent de construire une nouvelle offre politique crédible à gauche !

22 novembre 2013

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