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Billet de blog 21 novembre 2012

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Front de Gauche : et maintenant ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ci-après une contribution aux débats de Claude DEBONS et Jacques RIGAUDIAT à l'issue des élections présidentielles et législatives sur le bilan et les perspectives pour le Front de Gauche.

Front de Gauche : et maintenant ? Premières réflexions à l’issue de la séquence présidentielles-législatives.

Claude Debons – Jacques Rigaudiat   

25 juin 2012.

La séquence électorale présidentielles-législatives est maintenant close. Le moins que l’on puisse dire est que la campagne du Front de Gauche aura connu des phases contrastées en passant du chaud au froid.

Le chaud, c’est la dynamique militante de la présidentielle, les grands meetings de masse, les liens tissés avec les entreprises en lutte et les syndicalistes, l’engouement populaire constaté ; même si, au final, il y a eu un décalage entre la dynamique militante forte et une dynamique électorale moindre. Il n’est pas anormal qu’après les échecs et déceptions accumulées depuis plusieurs années la remobilisation touche d’abord les franges les plus politisées ; pour les autres, il y faudra plus de temps.

Le froid, c’est le score des législatives, où le Front de Gauche progresse en voix et en pourcentage par rapport à 2007, mais recule sensiblement par rapport au score de la présidentielle — alors même que certains d’entre nous espéraient que la pression du « vote utile » serait moindre — et c’est la perte de députés sortants malgré des scores en progrès pour la plupart. Cela laisse le goût amer d’un groupe parlementaire diminué, d’un affaiblissement institutionnel rendant plus difficile de peser au quotidien sur le gouvernement, d’une image de défaite et d’échec propagée par les médias.   

Même si la réalité est toujours plus complexe et contradictoire, même si l’acquis engrangé dans ces mois de campagne n’a pas disparu et constitue un socle substantiel pour continuer, il n’en demeure pas moins que le Front de gauche devra affronter l’avenir avec ces handicaps.

 Il convient donc de se livrer à une analyse lucide de ce qui a conduit à un résultat bien éloigné de certaines affirmations (« nous serons en tête de la gauche », « nous allons devancer le Front national »), si l’on veut trouver les moyens de rebondir. Face à des militants troublés par les résultats, il est important de donner une grille de compréhension de ce qui s’est passé pour bâtir des perspectives. Nous avions déjà mis en garde, il y a un an, alors que nous prenions nos distances avec le Parti de gauche, contre « une analyse fantasmagorique de la situation française, décrite comme quasi-prérévolutionnaire » servant de « justification à une orientation protestataire-révolutionnariste » ne répondant pas aux attentes populaires réelles. Au vu de la séquence qui s’achève, nous n’avons rien à retirer à cette mise en garde qui nous apparaît au contraire prémonitoire. Dans ce texte, nous nous contenterons de souligner quelques aspects essentiels, considérant que d’autres contributions (rapport de Pierre Laurent, texte de Roger Martelli, remarques de Pierre Khalfa, etc.) complètent utilement l’analyse que nous proposons ici

1 - Le paysage politique ressort transformé de cette séquence électorale.

Nous ne développerons que brièvement et renvoyons aux textes ci-dessus évoqués.

 L’élection présidentielle a vu une forte participation nourrie par sa place de clé de voûte de la 5° République, amplifiée par la volonté large de tourner la page du sarkozysme, par la violence de la campagne de Sarkozy sous pression du Front national. Elle a, en retour suscité la mobilisation à gauche.

Au premier tour, la droite réalise son plus mauvais score depuis 1988 (56,4 %) : le recul de Sarkozy et l’effondrement de Bayrou n’étant pas compensé par la poussée de Marine Le Pen, qui a confirmé la prégnance du FN sur la société française depuis 1984. La gauche (43,6 %) se retrouve à un niveau supérieur à 1995, mais reste en dessous des scores de 1974, 1981 et 1988. Ce sont les divisions à droite qui lui permettent de l’emporter. Eva Joly n’a pas réussi à occuper pleinement l’espace de l’écologie politique. Jean Luc Mélenchon a réussi à cristalliser sur son nom un électorat auparavant dispersé à la gauche du PS, réalisant un score à deux chiffres jamais obtenu par un candidat à la gauche du PS depuis Georges Marchais en 1981. Son score est meilleur que le total des voix du PCF et de l’extrême gauche en 2007 (+ 3,7 %), mais reste inférieur au même total enregistré en 2002 (- 2,8 %) et en 1995 (- 2,8 %). C’est indiquer tout à la fois des potentialités… et le travail de conviction qui reste à faire pour aller au-delà.

Les élections législatives ont connu une abstention qui atteint un niveau historique, signe qu’une part de l’électorat a considéré que l’essentiel était déjà fait (inversion du calendrier et proximité des dates aidant), mais aussi, sans doute, persistance du scepticisme devant la capacité du politique à changer les choses. La période de « Trente Glorieuses » et ses conquêtes sociales avaient alimenté la mobilisation électorale à gauche, relayée et amplifiée par le programme commun. La crise économique et l’impuissance des politiques de droite et de gauche à apporter des réponses ont cassé cette dynamique et alimenté un retrait du politique, notamment dans les classes populaires. Pour ceux qui sont allés voter, en tout cas, ils se sont exprimés en faveur des deux formations jugées les plus aptes à exercer les responsabilités du pouvoir. A gauche, il y eu la volonté de donner au président élu les moyens de sa politique. A droite, le choix s’est porté sur le parti jugé le mieux à même de s’opposer à la gauche et de préparer l’alternance, restreignant par là même les espoirs du Front national. D’où une réaffirmation marquée de la bipolarisation partisane et le recul des autres forces par rapport à la présidentielle. Pour le Front de Gauche, il est sensible avec la perte de plus de la moitié des voix (abstention et vote PS), un recul en pourcentage de 4 points environ et la perte de sièges qui en découle. Par contre, le Front de Gauche progresse par rapport au PCF en 2007 et retrouve une audience plus homogène sur tout le territoire. Mais cette progression n’empêche pas plusieurs de nos sortants d’être dépassés par des candidats PS en plus forte progression.

 Ces campagnes auront permis à la gauche de l’emporter, mais Sarkozy a réussi à mieux résister qu’on ne l’imaginait malgré son discrédit. L’ampleur du vote PS aux législatives n’est-il que le produit de « la logique des institutions » et ne conduit-il pas à s’interroger à rebours sur la nature du vote Hollande : n’était-il que « par défaut », pour chasser Sarkozy, ou traduit-il une intériorisation de la gravité de la crise et une adhésion/résignation majoritaire à un changement mesuré ? La droite se trouve plongée dans la crise notamment sur l’attitude face au Front national : des digues sont tombées pour certains, alors que d’autres veulent les maintenir ; des recompositions s’annoncent. Le Front national a marqué des points, ce sont ses thématiques qui ont dominé le deuxième tour de la présidentielles, signe inquiétant que son travail d’élargissement de sa prégnance idéologique et politique se poursuit. Le Front de Gauche a confirmé sa place de deuxième force à gauche, mais n’a pas encore accédé à une crédibilité suffisante pour être considéré comme force pouvant conduire un changement concret à l’échelle du pays, cela reste à construire.

 2 - Pour le Front de Gauche, la situation est désormais compliquée.

 Il y a eu une progression électorale sur les trois ans écoulés, elle a validé la stratégie de rassemblement et permis d’installer le Front de Gauche comme deuxième force politique à gauche. Si le poids politique est conforté, le poids institutionnel s’est, par contre, affaibli avec la perte de la moitié des députés. Contrairement à ceux qui théorisent maintenant une ligne « extraparlementaire », pour mieux évacuer tout débat sur le bilan, nous considérons que, dans une société démocratique, notre affaiblissement parlementaire est un problème. Même si, dans notre conception, la lutte politique ne s’y réduit pas et inclut les mobilisations et interventions diverses, c’est bien l’articulation entre les différents niveaux qui peut donner une pleine efficacité. Quand l’un s’affaiblit, c’est l’ensemble qui se trouve fragilisé.

Bien sûr, il y a le mécanisme institutionnel de la 5° République et du scrutin majoritaire à deux tours qui rend difficile une existence autonome des deux partis dominants. S’il n’est pas idéologiquement et organiquement cristallisé (voir le jeu à quatre, voire cinq, à la présidentielle), le bipartisme PS/UMP ressort institutionnellement renforcé à l’Assemblée nationale. Quand la question du pouvoir est posée, il n’y a aujourd’hui que deux forces qui sont jugées crédibles par une majorité d’électeurs. Pendant longtemps, l’existence de « bastions » du Parti communiste a permis son affirmation autonome. Ce temps est désormais révolu, le Parti socialiste parvenant à évincer, élection après élection, plusieurs des sortants communistes. Bayrou et le Modem en ont aussi fait la douloureuse expérience. Force ascendante, le Front national a pu desserrer l’étau pour 2 ou 3 circonscriptions seulement ; ainsi il fera son entrée à l’assemblée et cela — c’est une première — sans le secours de la proportionnelle. Anticipant l’impossibilité pour eux d’avoir des élus par une voie autonome, Europe Ecologie Les Verts, MRC et Radicaux de gauche avaient négocié un accord programmatique et électoral les liant avec le PS. A droite, le parti radical et le nouveau centre avaient fait de même avec l’UMP. Cela aussi pose de redoutables questions stratégiques pour l’avenir et souligne l’urgence de la bataille pour un changement de mode de scrutin, mais le PS, à qui ce système donne la main sur ses partenaires, ira-t-il très loin dans la réforme promise ?

 Bien sûr, le rejet de Sarkozy a bénéficié avant tout au candidat PS, jugé mieux à même d’assurer sa défaite. Le même phénomène s’est reproduit aux législatives, contrairement à l’espoir que certains d’entre nous pouvaient avoir qu’il y aurait moins de pression pour un « vote utile » qu’à la présidentielle. Cela doit nous interroger sur les raisons pour lesquelles nous n’avons pas réussi à suffisamment crédibiliser l’utilité du vote Front de gauche aux législatives. Mais il faut souligner que Hollande et le PS ont su mener les deux campagnes avec des « marqueurs » identifiants qui ont fonctionné : contre la finance (discours du Bourget), pour l’égalité et la justice (héritage républicain fort), pour d’autres choix européens (renégociation du traité Merkozy). Pour modestes qu’elles soient, les mesures prises ou annoncées dans cette toute première phase (retraites, abrogation de la circulaire Guéant, retour à la justice des mineurs, texte sur le harcèlement sexuel, majoration de l’allocation de rentrée scolaire, promesse pour le SMIC) et le dialogue social renoué ont modifié la perception des acteurs sociaux par rapport au mépris antérieur. L’affrontement mis en scène avec l’Allemagne et les manœuvres pour contourner ses positions (réception d’émissaires du SPD allemand à l’Elysée, discussion en bilatéral avec Monti) ont été perçus comme une volonté bienvenue d’infléchir l’orientation européenne, même si cela reste à confirmer et concrétiser. Enfin le PS a mené une vraie campagne nationale, donnant ainsi aux législatives leur véritable dimension. Tout cela a favorisé l’élection de députés de la « majorité présidentielle », les électeurs de gauche souhaitant donner à Hollande les moyens de mettre en œuvre « le changement maintenant ». 

Pour autant, il y a des explications qui relèvent de la responsabilité propre du Front de Gauche, de ses limites et de ses choix.

- A la présidentielle, notre campagne a connu trois phases. Une première, « bruit et fureur », qui nous laissait scotché à un bas niveau. Une seconde, plus « propositionnelle », scandée par les grands meetings de masse, construisant notre utilité pour toute la gauche en remobilisant des abstentionnistes et en ancrant la gauche à gauche pour garantir le changement ; elle nous a permis d’atteindre des sommets sondagiers. Une troisième, où nous avons donné à penser que nous tablions par avance sur l’échec de Hollande (« je suis le recours »), que nous nous désintéressions du changement ici et maintenant (refus, par principe et non sous condition politique, de participer à un gouvernement qu’on ne dirigerait pas, affirmation que « nous serons au pouvoir avant dix ans ») et que notre préoccupation première était la compétition avec Le Pen. Cela — avec la pression du vote utile — a contribué à nous amener au score final.

- L’utilité du vote Front de Gauche n’a pas été construite de manière suffisamment crédible ayant oscillé aux présidentielles entre l’ambition de supplanter le PS ou d’en être l’aiguillon et étant largement minorée aux législatives par la faiblesse, sinon l’absence, d’une campagne nationale. La question de l’articulation au reste de la gauche a connu des réponses fluctuantes, au gré des personnes ou des moments, brouillant la perception de notre démarche et de notre visée. Le discours « révolutionnaire » permettait sans doute de soulever l’enthousiasme des franges politisées de l’électorat et de les faire adhérer à une certaine conception de la gauche : il ne pouvait — dans une situation qui n’est pas prérévolutionnaire — convaincre plus largement que nous constituions une alternative de pouvoir ou, plus modestement, que nous étions en capacité de changer la donne à gauche pour faire aboutir de meilleures propositions. La posture du ni-ni (ni dans l’opposition, ni dans la majorité) ne peut pas être comprise par des électeurs qui souhaitent que la gauche réussisse et peuvent être heurtés si l’on parie par avance sur son échec. Si, comme le disent certains sondages, 30 % des électeurs de Mélenchon ont voté PS aux législatives, cela doit nous interroger.

- Ce déficit de crédibilité a été renforcé par le choix fait, dès la présidentielle et prolongé par l’aventure téméraire d’Hénin Beaumont, d’une stratégie « front contre front » qui nous a déporté du message essentiel que nous devions porter : « Battre la droite et l’extrême droite et ancrer la gauche à gauche pour changer vraiment ». Pire, cela a conduit à une présentation médiatique du Front de gauche comme le « pendant » du Front national, ce qui n’était pas de nature à conforter notre crédibilité en termes de pouvoir. Ce « déport » a été d’autant plus sensible qu’il a manqué une visibilité nationale du Front de gauche dans la campagne des législatives. Ce sont essentiellement des campagnes locales qui ont été menées, privilégiant les « bons » représentants de circonscriptions, mais minorant ainsi l’enjeu national de ces élections. Au total, le résultat d’Hénin Beaumont où, en dépit des efforts militants, l’abstention a progressé et où l’audience du FN n’a pas été érodée doit servir de leçon pour l’avenir et nous interroger sur la meilleure manière de combattre le Front national.

- Enfin, il faut s’interroger sur la pertinence du concept de « révolution citoyenne », qui ne fait écho à aucune tradition historique nationale. Son caractère abstrait fait que les gens ne retiennent que le premier terme associé au « bruit et à la fureur », ce qui suscite nombre d’inquiétudes. Nous lui préférons pour notre part celui de « nouveau front populaire » impliquant une articulation entre luttes sociales et politiques.

En soulignant ces traits, nous ne méconnaissons pas l’ampleur de l’engouement et de la mobilisation permis par une campagne unitaire et dynamique avec un candidat au talent tribunicien incontestable. Il y a eu une nationalisation de l’audience du Front de Gauche sur tout le territoire, qui permet d’envisager une reconstruction plus ample ; mais cette dernière n’a toutefois pas permis d’enrayer l’usure des bastions communistes, ce qui complique la volonté d’autonomie par rapport au PS. Mais si nous voulons que le capital ainsi rassemblé ne soit pas érodé par la déception immédiate, il est absolument nécessaire d’avoir un réel examen critique de ce qui n’a pas fonctionné pour pouvoir le corriger utilement.

3 - Revenir aux contradictions réelles pour bâtir une stratégie crédible.

D’abord comprendre la nature spécifique de l’affrontement de classe qui se joue sur le continent européen et qui n’est pas réductible à une transposition mimétique des révolutions latino-américaines ou arabes. Il s’agit, pour la bourgeoisie, d’imposer un ordre nouveau, celui du capitalisme mondialisé, impliquant la remise en cause du “modèle social” hérité des rapports de forces de l’après seconde guerre mondiale. Or, cette confrontation intervient à l’issue de près de trois décennies d’offensives libérales, de défaites subies, de fragmentation sociale et de recul de la conscience de classe. Il faut bien mesurer que nous ne sommes plus dans la situation des « Trente Glorieuses » et des rapports de forces issus de la Résistance et de la Libération. Nous sommes dans le contexte de la mondialisation, de la mise en concurrence des systèmes sociaux et des régimes fiscaux compétitifs pour parler comme David Cameron, et du tournant libéral de l’Union européenne devenue instrument coordonné de démantèlement social, auxquels s’ajoute de surcroît le surgissement de la question écologique. Nous avons connu une dégradation profonde des rapports de forces, matérialisée par la modification de la répartition des richesses au détriment du travail, un recul des systèmes de solidarité et des services publics, une fragmentation du salariat sous l’effet du chômage de masse et de la précarité, la mise en concurrence des salariés entre eux par les nouvelles organisations productives. Ceci intervenant dans un contexte de désindustrialisation qui a décimé la classe ouvrière, par ailleurs désarmée de sa vision du monde et de son projet historique par la faillite du « socialisme réel » et le ralliement de la social-démocratie européenne au libéralisme. Le tout, enfin, baignant dans l’idéologie libérale, relayée par tous les grands médias comme par une large partie du monde intellectuel. Elle a profondément bousculé les valeurs, les repères et les représentations héritées de l’histoire du mouvement ouvrier et démocratique dans notre pays et ailleurs en Europe. Excusez du peu ! Comment imaginer que cela n’aurait eu aucune conséquence sur ce que nous appelions la « conscience de classe », sur les voies et les moyens de la mobilisation populaire, sur les conditions de la transformation sociale dans le capitalisme contemporain ! C’est bien cette réalité-là que nous devons absolument regarder en face plutôt que de continuer de la fuir dans des constructions imaginaires qui s’avèreront nécessairement des échecs.

Les mouvements sociaux de ces dernières années en France et en Europe témoignent du refus d’accepter les politiques libérales. Leur persistance est exceptionnelle eu égard aux reculs et défaites subies depuis plus de deux décennies. Ils montrent des potentialités et constituent des points d’appui pour construire une contre-offensive politique et sociale, mais ils butent sur la difficulté de l’alternative. Ces mouvements disent le refus de mesures injustes et brutales. Ils expriment une prise de consciences des méfaits du néo-libéralisme. Ils manifestent le rejet « des banquiers et des politiciens ». Ils indiquent une aspiration à la justice et à la démocratie, c’est-à-dire à un autre partage des richesses et à la maîtrise par les citoyens de leur avenir. C’est un point d’appui décisif pour combattre le néo-libéralisme et ouvrir des perspectives et il faut être au cœur de ces mouvements et encourager leur développement.

Mais ces mouvements butent sur la question de la perspective politique alternative que, dans la plupart de ces pays, ils ne sont pas en capacité de résoudre à court terme pour des raisons profondes (voir ci-dessus), du fait de la faiblesse de la gauche de transformation et de la difficulté pour que, dans ces conditions, l’irruption sociale se transforme en construction politique.

Le dernier mouvement social sur les retraites a ainsi confirmé une capacité de mobilisation forte qui montre que le pays n’est pas résigné à l’acceptation de réformes inégalitaires et injustes Pour une fraction croissante (mais plus réduite que la masse de ceux qui ont rejeté la réforme des retraites), cela s’est accompagné d’un rejet plus global du « sarkozysme », des politiques libérales et, plus largement, du « modèle » libéral (cette prise de conscience a bien évidemment été amplifiée par l’éclatement de la crise qui discrédite profondément ce qui nous avait été présenté comme « la seule politique possible »). Mais quand il s’agit de la conscience politique de l’alternative, là, les choses sont beaucoup plus confuses comme l’avaient déjà montré les élections cantonales — ou à leur manière les sondages — et maintenant les derniers résultats électoraux. 

Dans la situation actuelle, il y a donc des potentialités et des limites ; exploiter au mieux les premières suppose de ne pas ignorer les secondes. Cette réalité dessine les tâches politiques qui devraient être les nôtres pour surmonter ces difficultés.

 Si la crise signe la faillite du modèle libéral et interdit une adhésion de masse à son projet, le brouillage et la prégnance idéologiques demeurent largement. Le libéralisme n’est pas fort par ses résultats, qui le discréditent, mais par l’inexistence d’un « modèle » alternatif crédible (et nous ne pensons pas que « L’Humain d’abord » y suffise). La question de l’alternative à construire est loin d’être résolue, justement du fait de ce que nous avons énoncé plus haut. Il ne suffit pas de recycler des mots d’ordre anciens pour être crédible. Imaginons un peu que trente ans de libéralisme dominant signifie que la plupart de celles et ceux qui ont moins de 45 ans — si on situe l’âge de raison politique à 15 ans ! — n’ont baigné dans aucune autre « ambiance » ! Il y a donc un travail à faire d’analyse de tout ce qui a changé depuis trois décennies et d’élaboration de réponses qui pour une part doivent se renouveler en s’enracinant dans les réalités et les consciences d’aujourd’hui. Nous avons au Front de Gauche les expériences et capacités militantes et intellectuelles pour mener ce travail. Encore faut-il prendre conscience de son importance pour l’entreprendre.

4 - Tout de suite, répondre à la nouvelle situation.

Dans la nouvelle situation, certains pronostiquent que, confronté à la crise et à ses engagements de réduire le déficit budgétaire, François Hollande va mener une brutale politique d’austérité (“Hollandréou”), qui va provoquer une révolte populaire qui ne manquera pas de se tourner vers nous comme “recours” pour nous porter au pouvoir “avant dix ans”. Dès lors, il suffirait de se pré-positionner comme “opposition de gauche” en attendant la “trahison” social-libérale qui ne manquera pas d’intervenir rapidement pour pouvoir “rafler la mise”. Nous ne croyons pas à ce scénario : si la gauche devait échouer, craignons que la déception ne se tourne vers l’extrême droite. Si nous devions adopter ces analyses et orientations néo-NPA nous finirions dans la même marginalité. Attention aux hypothèses trop unilatérales ou aux déterminismes trop simplistes en Histoire !

La crise est profonde et durable, mais les marges de manœuvre pour y faire face ne sont pas équivalentes selon les pays. En France, la pression des marchés ne s’exerce pas via les emprunts, pour l’instant toujours contractés par notre pays à des taux historiquement bas. Cela peut bien sûr évoluer mais la France n’est pas la Grèce, ni même l’Espagne. Les engagements de retour à un déficit de 3 % en 2013 sont une contrainte poussant à l’austérité, mais il peut toujours y avoir des aménagements de calendrier, surtout si la croissance n’est pas au rendez-vous (on va bien le faire pour la Grèce et sans doute aussi pour l’Espagne, puis le Portugal, puis l’Irlande… !), les réformes fiscales peuvent apporter des recettes supplémentaires, et l’étau européen peut se desserrer quelque peu à l’issue de la confrontation politique en cours. Et si d’aventure la zone euro venait à éclater du fait de la Grèce, de l’Espagne ou autre, Hollande n’en serait pas tenu pour responsable et beaucoup croiseraient les doigts pour qu’il nous sorte au mieux de la difficulté, avant d’envisager de se mobiliser contre lui. Rappelons que si Syriza a dépassé le PASOK c’est à l’issue d’un gouvernement Papandréou ayant mené une politique antisociale inouïe. Ni en Espagne, ni au Portugal, les politiques d’austérité de Zapatero et de Socrates n’ont permis à la gauche radicale de devancer les partis socialistes dans ces pays, en dépit de mobilisations sociales de grande ampleur.

Dès lors, le gouvernement français peut-il parvenir à mener une politique de “rigueur juste”, voire d’austérité mesurée, accompagnée de mesures de justice sociale limitées (voire très limitée si l’on en croit les rumeurs sur la hausse du SMIC !), d’une réforme fiscale permettant d’améliorer les recettes, s’accompagnant d’une inflexion partielle du dogmatisme libéral européen ou sera-t-il contraint par l’aggravation de la crise à des mesures plus brutales ? Comment des citoyens soumis au matraquage médiatique déployé pour expliquer la gravité de la crise et l’inéluctabilité des “efforts” ressentiraient ils cela : comme un “moindre mal” ou comme une agression insupportable ? Quelle pourrait être alors, selon les hypothèses, la dynamique du mouvement social, ses rythmes, ses thèmes, son ampleur ? Hormis les entreprises confrontées à des licenciements et qui n’ont d’autre choix que de se mobiliser, quels secteurs professionnels seraient susceptibles d’une dynamique revendicative forte à la rentrée ? La ponction d’effectifs sur certains ministères pour compenser les créations de postes dans l’Education nationale, la Police et la Justice suscitera-t-elle une mobilisation dans les secteurs les plus touchés ? Et sur le plan interprofessionnel, quelles possibilités d’action dans le contexte actuel de division syndicale et de crise de succession à la CGT ? Nous nous garderons bien de trancher de manière péremptoire…

Indépendamment des hypothèses de travail que l’on peut formuler sur les scénarios de la politique gouvernementale ou du mouvement social, c’est la question de notre stratégie et du rapport dynamique au reste de la gauche qui est essentielle si nous voulons éviter le piège de la marginalisation qui résulterait d’une posture d’extériorité purement dénonciatoire et protestataire, ou le piège de la dilution qui résulterait d’une démarche opportuniste insuffisamment critique et distanciée

C’est une approche dynamique qui nous semble nécessaire. Nous avons été des acteurs de la défaite de Sarkozy et de la victoire de Hollande, nous avons participé, au travers du désistement républicain, au front commun de la gauche au deuxième tour des présidentielles et législatives pour battre la droite et l’extrême droite. Nous sommes donc dans le camp de la gauche, dans la majorité de gauche qui a triomphé de la droite et de l’extrême droite. Mais nous ne sommes pas dans la majorité présidentielle rassemblée autour des “60 propositions”, ni dans la majorité gouvernementale chargée de les mettre en oeuvre ; position illustrée aujourd’hui par notre refus de participer au gouvernement et, demain, par la nécessité de ne pas voter en faveur du discours de politique générale du premier ministre ou du prochain budget.

Nous ne pouvons être audibles de l’immense majorité des électeurs de gauche que si nous parlons du cœur de la gauche et non de l’extérieur, que si nous apparaissons animés de la volonté de réussir le changement en formulant des propositions politiques qui aillent dans ce sens et en mobilisant pour les faire aboutir, en portant à l’Assemblée et au Sénat des revendications du mouvement social, en articulant travail parlementaire et mobilisations citoyennes. Bref, en participant à la construction d’une dynamique de changement. En même temps, nous devons affirmer notre disponibilité à agir avec toute la gauche pour affronter la droite et l’extrême droite, le patronat et la finance, les gouvernements libéraux et la commission européenne, pour desserrer la “contrainte extérieure”, modifier la répartition des richesses et des pouvoirs, satisfaire les besoins sociaux, etc.

La clé pour bousculer la situation, c’est l’intervention du peuple et du mouvement social nous en sommes convaincus, mais nous savons d’expérience que cela ne se décrète pas et que nous ne devons donc pas faire comme si c’était déjà acquis. Il ne suffit pas d’attendre l’irruption populaire, il faut prendre des initiatives politiques pour y contribuer. Certes, ce sont d’abord les syndicats (et associations) qui ont la main dans ce domaine, mais le Front de Gauche doit prendre des initiatives et formuler des propositions crédibles susceptibles de nourrir la mobilisation. Indépendamment de sa propre activité, il doit savoir s’impliquer dans les mobilisations unitaires porteuses d’objectifs convergents. 

Plusieurs thèmes de campagnes, d’initiatives, d’actions, viennent à l’esprit :

- contre la ratification du traité “Merkozy”, pour changer les traités, modifier les statuts de la banque centrale européenne, pour une banque publique d’investissement européenne…

- pour un pôle public financier puissant et pas seulement une banque publique d’investissement marginale…

- pour une réforme fiscale ambitieuse et une remise à plat des aides aux entreprises…

- pour des droits et pouvoirs nouveaux pour les salariés dans les entreprises…

- pour la proportionnelle, vers la 6° République…

- pour une politique de l’emploi combinant investissement public, réindustrialisation et transition écologique, réponse aux besoins sociaux par les services publics, réduction du temps de travail, sécurité sociale professionnelle…

- pour un ensemble de mesures en faveur du pouvoir d’achat (smic, loyers, prix…)…

- pour l’élargissement du financement de la protection sociale permettant la garantie des droits…

- etc.

Le Front de Gauche doit être porteur de mesures qui répondent aux nécessités de l’heure, à la fois pour desserrer l’étau de la “contrainte extérieure” et pour répondre aux besoins sociaux. Il doit développer de larges campagnes de masse pour les faire connaître dans la population et mener la bataille politique et parlementaire en direction de la majorité gouvernementale pour leur prise en compte. C’est en apparaissant les plus déterminés à gauche pour réussir un vrai changement que le Front de Gauche apparaîtra utile à la gauche et au peuple et renforcera sa crédibilité.     

CD/JR- 25 juin 2012

ANNEXE                               Texte écrit il y un an…  (extraits)                     Mardi 31 mai 2011

CONTRIBUTION AU DÉBAT

Claude DEBONS - Jacques RIGAUDIAT

A/ Une analyse erronée de la situation ne peut pas fonder une orientation cohérente

(…) En France, la situation politique est plus proche de celle des autres pays européens que des révolutions démocratiques d’Amérique latine ou des pays arabes : des mobilisations sociales vigoureuses — mais défensives — cohabitent avec une gauche atone et une extrême droite offensive, sur fond de désengagement électoral de larges fractions populaires.

Le mouvement des « indignados » espagnols, au-delà de certaines particularités (une austérité brutale, un chômage qui est plus du double de la France et qui bouche l’horizon de la jeunesse par exemple), s’inscrit dans les diverses mobilisations qui secouent successivement différents pays d’Europe suite à la crise et à ses conséquences sur les populations. Il confirme ce que nous venons de vivre en France avec le mouvement des retraites, ce qui s’est passé en Grèce ou au Portugal face aux plans d’austérité brutaux, ce qui s’était passé en Grande Bretagne et ailleurs. Et d’autres mouvements similaires peuvent surgir dans toute l’Europe. Ces mouvements disent le refus de mesures injustes et brutales. Ils expriment une prise de consciences des méfaits du néo-libéralisme. Ils manifestent le rejet « des banquiers et des politiciens ». Ils indiquent une aspiration à la justice et à la démocratie, c’est-à-dire à un autre partage des richesses et à la maîtrise par les citoyens de leur avenir. C’est un point d’appui décisif pour combattre le néo-libéralisme et ouvrir des perspectives et il faut être au cœur de ces mouvements et encourager leur développement.

Mais ces mouvements butent sur la question de la perspective politique alternative que, dans la plupart de ces pays, ils ne sont pas en capacité de résoudre à court terme vu la faiblesse de la gauche de transformation et la difficulté pour que, dans ces conditions, l’irruption sociale se transforme en construction politique. Parce qu’il y a un véritable saut qualitatif pour se hisser à la hauteur d’un « projet » et d’une « force » pour le porter. Parce qu’il s’agit de rien moins que de construire une perspective et une organisation à même de se substituer à l’effondrement des partis communistes et à la débâcle des social-démocraties comme outils de transformation/dépassement du capitalisme. (…) Il faut pour dépasser ces difficultés un travail politique spécifique, et cela prendra du temps pour faire émerger le mouvement social dans le politique et le structurer. C’est de cela que nous devrions discuter concrètement en termes de stratégie. (…)

B/ La réalité de la situation française : des mobilisations sociales vigoureuses, mais qui échouent ; un rejet du libéralisme croissant, mais une conscience obscurcie des alternatives ; une progression de l’abstention et du FN inquiétantes.

Une grande mobilisation sociale a bien eu lieu à l’automne contre la réforme des retraites — d’ailleurs plus importante par le nombre mobilisé et la durée que bien d’autres mouvements actuels en Europe — mais elle a été battue. La réforme est passée et la consolation d’avoir mis le discours du pouvoir en difficulté n’en est une que pour les franges les plus militantes et politisées. Il en avait auparavant été de même en 2009 sur l’emploi et le pouvoir d’achat… C’est cette réalité française là qu’il faut savoir regarder en face : des mobilisations fortes, très fortes, mais sans résultats ! Cela ne peut être — et cela d’ailleurs n’est pas — sans conséquences : le front unitaire syndical n’est plus, il a éclaté sur les nouveaux dossiers en débat (UNEDIC) comme sur les suites à donner à l’action sur les retraites. Comme lors d’échecs précédents, celui-ci mettra du temps à être digéré. C’est par exemple, le cas de la mobilisation en retrait des enseignant, qui n’ont pas encore digéré 2003 (retraites fonctionnaires), comme des cheminots, qui n’ont, eux, pas digéré 2007 (régimes spéciaux) et 2009 (réforme du fret). Voir encore les résultats des élections professionnelles qui se sont tenues après le mouvement dans de grandes entreprises : la CGT est en recul, le plus souvent au profit d’UNSA/CFDT, bien plus que de Solidaires. Et s’il n’y a pas de déterminisme direct de cette situation sur l’expression électorale politique, il n’y a pas non plus toute absence de lien.

Nous avions déjà mis en garde contre l’illusion qu’un mouvement social, même d’ampleur, pouvait suffire à effacer les effets de plus de deux décennies d’offensives libérales, de défaites subies, de fragmentation sociale et de recul de la conscience de classe. (…)

Le mouvement social a confirmé une capacité de mobilisation forte qui montre que le pays n’est pas résigné à l’acceptation de réformes inégalitaires et injustes (c’est exceptionnel eu égard aux reculs et défaites subies depuis plus de deux décennies, c’est un point d’appui inestimable pour la suite). Pour une fraction croissante (mais plus réduite que la masse de ceux qui ont rejeté la réforme des retraites), cela s’accompagne d’un rejet plus global du « sarkozysme », des politiques libérales, du « modèle » libéral (cette prise de conscience a bien évidemment été amplifiée par l’éclatement de la crise qui discrédite profondément ce qui nous avait été présenté comme « la seule politique possible »). Mais quand il s’agit de la conscience politique de l’alternative, là, les choses sont beaucoup plus confuses comme viennent de le montrer les élections cantonales ou, à leur manière, les sondages.

Dans la situation, il y a donc des potentialités et des limites ; exploiter au mieux les premières suppose de ne pas ignorer les secondes. Cette réalité dessine les tâches politiques qui devraient être les nôtres pour surmonter ces difficultés.

C – Le résultat des cantonales confirme qu’entre « combativité sociale », « discrédit du libéralisme » et « conscience de l’alternative » il n’y a pas de linéarité mais des fossés à combler. Les ignorer revient à passer à côté de ce que devraient être nos tâches politiques.

 (…) Nous ne sous-estimons pas le résultat des cantonales, il exprime une dynamique réelle  : 10.4% sur les 1616 cantons où le FdG était présent, 10.5% sur les 1461 cantons où le PC était présent en 2004 et où il avait fait 9.2%. Il valide la stratégie du Front de Gauche, en démontre à tous la nécessité, et permet de remobiliser des militants, des sympathisants, des électeurs, qui ne se seraient pas investis sans cette démarche unitaire. La construction Front de Gauche est un plus politique évident et le résultat doit permettre son élargissement et son enracinement. Symboliquement, politiquement, psychologiquement, le fait d’être en deuxième position à gauche est de grande importance pour la suite.

Pour autant, cela ne doit pas occulter les très grandes difficultés politiques que révèle ou plutôt confirme cette élection : abstention massive, signe de la profondeur du discrédit du politique, rejet profond du parti du président et tensions politiques à droite, vérification de la menace du FN et, contrairement à la présidentielle de 2002, absence de sursaut significatif face à lui au second tour, porosité inquiétante de son électorat avec une partie de celui de droite, faible « victoire » du PS, plus par défaut que par adhésion convaincue, renforcement mesuré au sein de la gauche du FdG et d’EELV….

Le fait premier inquiétant est bien l’abstention massive. D’autant plus qu’elle intervient au lendemain d’un grand mouvement social, qui a bénéficié d’un soutien très majoritaire dans la population, dont tout le monde a dit qu’il allait au-delà des revendications immédiates. Comment ne pas s’inquiéter que de nombreux salariés et citoyens n’aient pas voulu prolonger leur combat social et leur rejet du libéralisme en s’emparant massivement d’un bulletin de vote. C’est bien le signe que nombre d’entre eux ne croient pas (plus) à la capacité du politique et de la gauche à changer leurs conditions de vie. Ce phénomène vient de loin. Depuis le « tournant de la rigueur » de 1983, de « désinflation compétitive » en acceptation du Traité constitutionnel européen, le fossé s’est creusé. Pour de larges fractions populaires, la gauche n’est plus synonyme de progrès social, ni même de défense réelle de leurs intérêts. Et il n’y a pas que le PS qui soit victime à gauche de cette perte de crédit et de confiance découlant des déceptions des politiques menées par la gauche au gouvernement. C’est le résultat d’une histoire, qui n’est d’ailleurs pas propre à la France.

La deuxième source d’inquiétude, c’est la place prise par le Front National sur le champ politique au point de s’inscrire dans le trio de tête. Ce ne sont pas seulement les cantonales et les sondages qui le disent. Les dirigeants syndicaux aussi s’inquiètent de la progression des idées du FN dans les milieux ouvriers et employés par exemple. Marine Le Pen a pris à bras le corps la question sociale en lien avec la question de la mondialisation libérale et elle en recueille des fruits. Son discours mêlant propositions sociales et préférence nationale cherche à construire une cohérence globale, le repli national étant censé protéger le progrès social. Les contradictions de ce type de réponse ne seront pas mises à nu par la seule dénonciation tant qu’une autre perspective crédible ne sera pas sérieusement défendue. Le Parti socialiste a déjà pris la pente du renoncement. Son programme est bâti pour être compatible avec le « cercle de la raison » libéral ; il ne se pose donc même pas la question de « desserrer les contraintes » et de réorienter la construction européenne. Mais le Front de Gauche, de son côté n’a pas encore réussi à construire un discours populaire cohérent en la matière et ce n’est pas uniquement à cause du retard de publication du « programme partagé ».

D/ Le retrait des classes populaires du politique, rend encore plus exigeante la nécessité de la crédibilité des propositions et de leur faisabilité.

Ce qui devrait le plus préoccuper la gauche, c’est que les cantonales confirment ainsi la relation pour le moins ténue qu’entretiennent désormais les couches populaires avec l’expression politique et, partant, avec la gauche elle-même. Ce n’est pas un motif de satisfaction que ces cantonales doivent d’abord nous donner. Au-delà du score du FdG, avec l’abstention massive, en particulier des couches populaires et le score du Front national, elles ont, au contraire, envoyé un nouveau signal d’alarme.

Entre non inscription des jeunes sur les listes électorales, abstention massive (67.3% en Seine St Denis) et vote FN, qu’y représente au final le vote pour des partis supposés de gouvernement, et, a fortiori, pour la gauche et le FdG ? La révolution citoyenne sans le peuple ? Pourquoi se voiler la face ? Le constat est cruel, mais il a déjà été fait au lendemain de 2002, et il persiste aujourd’hui encore. Comment s’étonner qu’il puisse désespérer ?

Certains, Terra Nova en l’espèce, ont cru pouvoir en tirer la conclusion — cynique mais arithmétiquement logique — que les couches populaires n’étaient plus le cœur de l’électorat socialiste. Ils prenaient acte d’une réalité — et signifiaient ainsi sans le dire l’abandon de fait des ambitions de transformation sociale profonde. Ils ont ainsi déclenché l’opprobre. Il n’ont pourtant ainsi rien fait d’autre que théoriser la pratique d’une certaine gauche et proposé d’importer un modèle déjà depuis longtemps en vigueur dans la « grande démocratie » que sont les Etats-Unis et que le PS a d’ores et déjà commencé à instiller avec ses primaires… C’est un risque sérieux dont il faut s’inquiéter. (…)

Au lendemain d’un mouvement social d’envergure qui a généré une prise de conscience allant au-delà du rejet d’une réforme injuste, on pouvait espérer que le rejet massif de la réforme des retraites suscite la volonté de prolonger la lutte par le bulletin de vote. Tel n’a pas été le cas. Comment ne pas y voir et pourquoi ne pas vouloir reconnaître que, pour les couches populaires, la mobilisation sociale se conjugue aujourd’hui à l’immobilisation politique : elles savent et osent exprimer leurs revendications, mais elles désespèrent qu’une réponse politique leur soit apportée. Pire, elles ne croient plus que la politique leur apporte des solutions ; cette immobilité est un retrait. C’est à ce problème qu’il faut s’attaquer. 

Les couches populaires ne sont pas des terres de mission ; le problème est de notre côté, celui du politique. Il est celui de nos propositions et, plus encore, de la crédibilité du projet qu’elles proposent. Comme le dit à juste titre un éditorial récent « la gauche est exsangue d’impuissance »

Ainsi, ce ne sont pas des formules générales qu’attendent celles et ceux qui aspirent au changement. Ce sont des propositions ambitieuses concrètes étroitement articulées aux moyens de leur réalisation. Les citoyen-ne-s savent que la « contrainte extérieure » existe. Ils en ont fait la brutale expérience dans le travail, à coup de délocalisations, de pressions à la baisse de l’emploi et des conditions sociales « au nom de la compétitivité face à la concurrence internationale ». D’où la nécessité d’articuler la question sociale avec des mesures pour desserrer les contraintes de la mondialisation. La question vaut d’ailleurs tout autant pour la crédibilité des reconversions écologiques, et des autres points de notre programme. Une proposition est crédible si elle s’accompagne de réponses pour en garantir la réalisation. Sans cette articulation concrète du « que faire » avec le « comment faire », aucun discours ne porte. (…)

II. LES PROBLEMES A RESOUDRE

La crédibilité de l’utilité de la candidature du Front de Gauche à la présidentielle n’est pas à ce jour consolidée. Nous ne voulons pas seulement exprimer la « protestation ». L’utilité du vote Front de Gauche c’est autre chose : proposer une perspective de changement pour le pays et créer les conditions de sa mise en œuvre. Pour cela, il faut un programme ambitieux et une majorité déterminée. Le programme, nous pouvons le proposer, mais l’état de la gauche ne permet pas une majorité pour rompre avec le libéralisme. C’est cet état de fait qu’il faut chercher à bousculer. Le vote Front de Gauche, en modifiant les rapports de forces à gauche, est le seul moyen de garantir une politique de gauche. Voilà ce que nous voulons réaliser et que nous devons faire comprendre à l’électorat.

Ce n’est pas une tâche facile dans un contexte de crise majeure du système, qui appelle des mesures de rupture qui doivent être crédibles aux yeux du plus grand nombre. Ce n’est pas non plus facile dans un contexte où la volonté de battre Sarkozy est forte et où le syndrome du 21 avril 2002 est ravivé par la menace de M. Le Pen. Il s’agit de suivre une ligne de crête. D’un côté nous devons être partie prenante de la volonté unitaire pour battre Sarkozy – Le Pen. De l’autre, nous devons proposer un programme de rupture concrète pour changer vraiment. Marcher séparément (les différences de programme), frapper ensemble (battre la droite et l’extrême droite). Si l’on n’articule pas en permanence ces deux dimensions, on tombe soit dans le sectarisme, soit dans l’opportunisme.

C’est la question du rapport au PS et à toute la gauche qui cristallise les problèmes. Certains discours flirtent souvent avec celui du NPA (rien avec le PS) à coup de dénonciation globale de ce parti ou de certaines personnalités. Mais, du coup, la dénonciation du PS y est parfois plus forte que celle de Sarkozy, au risque de donner l’impression de régler des comptes avec le passé, de diviser la gauche face à la droite et l’extrême-droite, de sous-estimer l’enjeu de la défaite de la droite ; fermant d’ailleurs ainsi la porte à tout espoir de changement dans le pays, au risque d’être assimilé à une posture étroitement protestataire … avec au bout le score qui va avec.

Parallèlement, il y a sous-estimation de l’importance de la bataille programmatique concrète pour à la fois crédibiliser les changements proposés et illustrer les différences avec la gauche d’accompagnement. Nous le redisons, c’est par la confrontation programmatique concrète que nous devons illustrer les deux voies à gauche et non par des dénonciations globalisantes qui seront perçues comme un sectarisme a priori et ne créent aucune dynamique pour changer la donne.

A/ Battre la droite et l’extrême droite : on ne peut s’abstraire de la nécessité d’une stratégie majoritaire pour 2012 au risque d’être marginalisé. 

Rarement un président sortant n’aura atteint un tel discrédit. Pourtant Nicolas Sarkozy n’a pas encore perdu l’élection présidentielle. Dans un contexte social ravagé par la crise et un climat politique délétère, où la conscience de classe est diluée et le clivage droite/gauche brouillé, tout est possible. Il est urgent de remettre de l’ordre dans nos priorités, et d’affirmer clairement que notre objectif est de battre Sarkozy et d’éloigner la menace que représente l’extrême droite. Il ne doit y avoir aucune ambiguïté de notre expression à ce sujet.

Il ne s’agit donc pas seulement de dénoncer la politique de Sarkozy et la menace que représente M. Le Pen, même si cela doit, bien sûr, prendre une place éminente dans notre expression publique. Mais cela n’aurait aucun sens que de continuer à nous en tenir là et à ne lui donner aucun contenu politique réel. Il est grand temps que nous proposions une stratégie qui le permette. Nous devons nous situer au cœur du mouvement populaire qui veut battre Sarkozy et sa politique, en l’éclairant sur les conditions à réunir pour que la défaite de la droite ouvre la voie à une politique alternative.

Or, c’est là que le bât blesse.

La démarche stratégique de construction du FdG vise à bâtir un rapport de forces permettant à la gauche de transformation de faire entendre et prévaloir sa voix, d’imposer à terme son hégémonie à gauche et de retrouver ainsi un nouvel élan pour l’émancipation humaine. Cette démarche est juste et nous la partageons, totalement. Pour autant, elle sera, nous le savons, de longue durée. Même s’il y a parfois des accélérations de l’Histoire, on ne reconstruit pas — après la débâcle du communisme et de la social-démocratie — en quelques mois, ni même en quelques années, une alternative équivalente, dans l’espoir populaire suscité, à ce que fut le socialisme.

Dans l’immédiat, cette perspective historique ne nous libère pas par magie de la réalité du rapport de forces interne à la gauche aujourd’hui et aux problèmes qu’elle pose. Or, en prétendant, par exemple, pouvoir être en tête de la gauche dès 2012, nous nous sommes affranchis de cette réalité là. Tout le monde sait que ce ne sera pas le cas en 2012. Dès lors, en en restant à cette posture nous sommes en train de construire l’inutilité du vote JLM (si sa seule utilité, c’est à condition d’être en tête, comme ce n’est pas possible, cela devient un vote inutile pour le changement). C’est d’autant plus le cas qu’en refusant par ailleurs toute confrontation programmatique avec le PS, nous donnons à penser qu’il n’y a aucune perspective de changement possible. En ne proposant aucune construction politique à vocation majoritaire pour 2012 on ne répond pas à l’aspiration à battre la droite. Or une immense majorité de citoyens veut battre Sarkozy et aspire au changement. Si nous nous mettons en dehors de ce mouvement nous serons marginalisés ; alors, la volonté d’alternance l’emportera sur le besoin d’alternative.

(...) Nous devons apparaître comme ceux qui veulent « gouverner à gauche » et pour cela proposent des bases programmatiques transformatrices ambitieuses ET de construire autour un rassemblement majoritaire pour leur mise en œuvre.

Une perspective politique majoritaire, car il s’agit de battre la droite sans quoi aucun changement n’est possible; une perspective de changement profond, car il s’agit de rompre avec les politiques libérales. Ces deux perspectives n’en font qu’une. Une perspective majoritaire sans contenu programmatique de changement profond risquerait de ne pas mobiliser les classes populaires ou, en cas malgré tout de victoire fondée sur le seul antisarkozysme, de décevoir profondément. Un programme de changement ne s’accompagnant pas d’une perspective majoritaire pour sa mise en œuvre perdrait ipso facto sa crédibilité. (…) 

B/ Des propositions programmatiques radicales et crédibles et les conditions de leur mise en œuvre.

Ce qu’attendent nos concitoyen-ne-s ce sont des propositions concrètes de changement réel de leur vie quotidienne et la démonstration tout aussi concrète de leur faisabilité. Ils n’attendent pas de nous des formules générales et un volontarisme abstrait. C’est ce qui ressort de toutes les enquêtes qualitatives effectuées pendant le mouvement sur ce que « voulaient dire » les manifestants. Ils ne rejetaient pas toute idée de « réforme » mais les réformes « injustes ». Et si la nécessité d’une autre politique est souhaitée, il y a un doute profond sur la possibilité de sa réalisation. Parce que la « pédagogie » a été brutale à coup de délocalisations, de dumping social, etc., il y a dans l’opinion une conscience aigüe des « contraintes » de la mondialisation libérale. D’où l’importance de dire : « comment on fait » pour réaliser des réformes progressistes et pour desserrer les contraintes des marchés, de la concurrence, de l’Europe libérale, etc.

Avec plus de 8 millions de victimes du chômage ou de la précarité et un quart des salariés gagnant moins de 9000 euros annuels, la question sociale est au cœur des préoccupations ; elle doit être au cœur de notre démarche et de notre projet politique, avec au premier chef la lutte contre le chômage, l’insécurité sociale et le déclassement ; mais elle ne peut être posée qu’articulée à celle de la mondialisation. 

Pour les salarié-e-s, une autre politique est assurément souhaitable, mais une autre question est tout aussi omniprésente pour eux : comment faire pour desserrer la “contrainte extérieure“ qui pèserait sur une politique progressiste. Sans articuler le « comment faire » avec le « quoi faire », nul ne peut être politiquement audible. (…)

Car si nul ne contestera le bien fondé de diverses propositions prises une à une, la crédibilité du projet pris dans son ensemble reste à établir. Cela signifie travailler dans deux directions.

La première direction est évidente : il faut établir les urgences, organiser les priorités et fixer une marche temporelle à la législature à venir. Bref, il s’agit de donner une cohérence d’ensemble, politique, sociale et macroéconomique ; il s’agit d’écrire un programme. (…)

La seconde direction est à nos yeux absolument majeure, essentielle même, car c’est là que se jouera vraiment notre crédibilité : comment faire pour desserrer l’étau de la mondialisation ?  (…)

C’est évidemment la question de l’Europe qui est ainsi posée, celle du cadre qui pourrait et devrait organiser les digues et les écluses qui nous sont nécessaires.Or, les moyens d’une « sortie du Traité de Lisbonne » restent très excessivement flous et beaucoup l’entendent comme sortie de l’Union européenne. En ces temps de crise économique, de chômage de masse et de poussée de l’extrême droite, la réponse ne peut pas être du côté du repli nationaliste ; ce serait politiquement dangereux. La position la plus cohérente reste : critique de la construction libérale synthétisée dans le Traité de Lisbonne / bataille pour une réorientation globale / ruptures partielles (par exemple sur le refus d’appliquer les directives de libéralisation des services publics — rappel : Blair l’avait fait pour la Charte sociale). Cette question est de plus centrale dans notre confrontation avec les autres composantes de la gauche.

La question du programme et du projet n’est pas une question mineure ou secondaire. C’est cela qui doit permettre de convaincre les électeurs et électrices que nous avons des solutions concrètes pour notre pays et que nous sommes utiles pour battre Sarkozy tout en changeant vraiment de politique. C’est autour d’un socle de mesures concrètes de changement que nous devons viser à rassembler le plus largement. D’où l’importance de mener le débat à gauche sur ces questions en direction des électeurs et en interpellant, à partir de nos propositions, PS et EELV sur leurs positions réelles. La confrontation programmatique au sein de la gauche, en particulier sur la question européenne, permettra d’éclairer le choix des électeurs et électrices en illustrant concrètement à leurs yeux les « deux voies offertes  à gauche ». (…)

C/ Une nouvelle articulation à construire entre mouvement social et perspectives politiques, entre demande sociale et réponses politiques.

On ne réussira pas à sortir de la situation défensive face au capital, que nous connaissons depuis trois décennies, pour passer à la contre-offensive, sans une articulation entre mouvement social et dynamique électorale. Une dynamique de « front populaire » si on veut une référence historique. Or, les élections cantonales ont illustré le fossé existant entre mouvement social et perspectives politiques, entre demande sociale et réponses politiques. C’est à combler ce fossé qu’il faut travailler. (…)

L’expérience des « années libérales » illustre le problème. Il y a eu des luttes, dans les entreprises, dans les professions et au niveau interprofessionnel, souvent défensives face aux attaques libérales. Malheureusement, la plupart du temps, dès lors qu’elles portaient sur de grandes questions, elles n’ont pas gagné, à l’image du dernier conflit sur les retraites. D’un autre côté, la gauche, dès lors qu’elle a renoncé à s’appuyer sur les mouvements sociaux et à porter leurs aspirations, a connu plusieurs défaites faute de dynamique populaire. Les luttes se sont heurtées aux logiques du capitalisme d’aujourd’hui et à l’offensive libérale de déconstruction du modèle social, donc à un projet politique global mis en œuvre par un pouvoir intransigeant qui trouve dans les institutions de la V° République les moyens de gouverner malgré l’opposition populaire. Faute de trouver une alternative politique à ces projets libéraux, les luttes n’ont pu franchir le pas vers un affrontement plus large qui aurait pu ouvrir une crise politique. La question de l’alternative politique se pose dans le prolongement même des luttes, en articulation avec elles, pour espérer pouvoir passer de la défensive à l’offensive. (…)

Pour cela, il faut dépasser la coupure entre le « social » et le « politique ». Les partis doivent en finir avec leur conception d’une soi-disant supériorité du politique. Les associations et syndicats doivent se libérer de la subordination intériorisée du « social » au « politique ». Un dialogue dans l’égalité doit pouvoir s’établir autour des alternatives à proposer aux politiques libérales. Le Front de Gauche doit prendre des initiatives en ce sens. (…)

Le 31 mai 2011.

CD/JR

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