La conjugaison du débat sur les règles de représentativité et sur le temps de travail est utilisée ces jours-ci à des fins très politiciennes. Mais il faut bien admettre que le terrain s’y prête et ce pour des raisons tout à fait structurelles. Il est difficile de séparer représentativité et représentation, contrats de travail et formes de travail, relations individuelles et relations collectives. Je prendrais à dessein l’exemple du télétravail qui gagne du terrain en Europe.14 millions de personnes sont aujourd’hui concernées contre 4,5 millions seulement en 2002. Résultant des technologies de l'information, cette nouvelle forme de travail s'est développée en rapport étroit avec les exigences de flexibilité. Touchant 7 % des salariés français, elle est devenue très populaire en Pologne et en République Tchèque – devenues championnes de l’UE en la matière avec respectivement 17% et 11% des actifs œuvrant sous cette forme – mais aussi au Royaume Uni, en Irlande, aux Pays Bas. Son incidence semble encore faible en Autriche, dans les pays méditerranéens et même dans certains pays nordiques. Pourtant, le télétravail n’est pas totalement neuf ; le travail à domicile était largement établi dans nos pays depuis la révolution industrielle et donnait lieu à une règlementation sociale ancienne et détaillée. Longtemps, nombre d’ouvrières du textile l’ont pratiqué, souvent avec l’aide de leurs enfants. De nos jours, en Irlande, au Portugal, en Europe centrale et, à un degré moindre un peu partout ailleurs, il prospère dans la bijouterie, la chaussure, les souvenirs ou l’envoi postal. Comme l’a fait l’accord-cadre signé en 2002 par les partenaires sociaux européens et transposé depuis dans la grande majorité des pays membres, dont la France, il est d’usage de distinguer le télétravail du travail à domicile. Le premier passe nécessairement par l’usage des technologies de l’information alors que le second est caractérisé par une tâche matérielle mais il est vraisemblable que l’évolution des techniques, mêlant de plus en plus immatériel et virtuel, rendra cette différence de moins en moins pertinente. Le télétravail crée des opportunités peu négligeables. Il permet de faciliter l’activité de certaines catégories de personnes handicapées physiquement ou socialement, de mieux concilier des vies professionnelles et familiales, sans parler de sa contribution au développement durable par les économies réalisées notamment en matière de transports. Son extension se heurte pourtant à de multiples obstacles en matière de conditions du travail : aménagement des locaux, du temps, de la sécurité, égalité salariale, les dispositions légales sont peu appliquées et une étude irlandaise montre que les télétravailleurs sont systématiquement moins bien payés que leurs collègues sédentaires dans l’entreprise. En outre, il se combine parfois à des formes de travail dites indépendantes, qui s’affranchissent de la législation du travail et de nombreuses cotisations sociales. Mais il y a surtout la question de l’autonomie et de la liberté, et donc du lien et des formes de subordination au travail. Certains salariés se sentent moins encadrés et encore plus livrés à eux-mêmes, l’autonomie moderne se traduisant par une pression maximale sur les résultats et une mise à disposition minimale de moyens. Du côté des dirigeants, les réticences sont plus fortes encore. Le télétravail suppose une confiance envers les salariés et l’apprentissage d’un nouveau mode de gestion. Dans les pays comme le nôtre où la défiance entre dirigés et dirigeants est une des plus prononcées en Europe, une telle liberté fait peur. Enfin, le syndicalisme ne s’y retrouve guère pour l’instant : quoiqu’ayant négocié les règles du télétravail au niveau communautaire comme au niveau national, il continue à privilégier les communautés de travail sédentaires et les formes traditionnelles d’activité. Le télétravail n’est qu’une des voies de cette transformation de l’emploi que l’Europe pratique désormais à grande échelle. CFDT, CGT et MEDEF viennent d’accoucher de nouvelles règles de représentativité que le gouvernement semble vouloir manipuler dans des jeux politiciens pour pouvoir régler – définitivement ? – leur compte aux 35 heures. Les partenaires sociaux sauront-ils sortir la tête haute de ce qui semble être un piège ? Sauront-ils, ensuite, faire évoluer la représentativité et donc les représentations du travail en faisant une place équitable aux nouvelles formes de travail ? Avec un syndicalisme et une représentation collective faible pour plus de 40 millions d’Européens en CDD, 39 millions à temps partiel, 22 millions en auto-emploi, sans parler des télétravailleurs, des intérimaires et du travail informel, qui s’est fortement développé, la représentation collective est sacrément bousculée. On peut pester, sans doute à raison, contre le faux-débat que certains veulent mener autour des 35 heures. Mais en proposant de nouvelles règles de représentativité, les partenaires sociaux ont ouvert, courageusement, des questions multiples qui touchent à l’ensemble de notre modèle social. Les vagues que cela provoque – aujourd’hui en matière de temps de travail - ne sont sans doute que les premières.
Billet de blog 30 mai 2008
Représentativité, temps et nouvelles formes de travail : débat politicien, débat structurel
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