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Billet de blog 22 août 2013

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Dali 2013 (II): l'extraordinaire vitalité de la scène photographique chinoise

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’ancienne usine où nous avions découvert le travail de 惠怀杰 Hui Haijie ( cf. Dali I: la folie vue du ciel) allait nous réserver plusieurs belles surprises. Et quelques déceptions aussi.

Une précision tout d’abord: le thème du festival photo de Dali retenu cette année  était très ouvert: “la vie est ailleurs”.  Jolie auberge espagnole.

Notre quête avait commencé à deux pas de l’usine, dans une suite de maisons désaffectées. Plafonds troués, poutres apparentes (!), murs chaulés, peu ou pas d’éclairage, une vraie vétusteté. Et beaucoup de charme.

La suite d’expositions noir et blanc ne laisse pas indifférente la petite équipe du jury.

Un travail nous intrigue et nous attire tout particulièrement. Intitulé 月 “lune”, il donne à voir un sol laiteux, des cratères, des mers et des monts, certains accidents de terrain.

Au fond, l’horizon, noir. Un lumière latérale vient lécher les reliefs. Neuf grandes images carrées diffusant une poésie subtile.

李智 Li Zhi, le jeune auteur de cette série, d’ailleurs natif de Dali, a conçu une oeuvre de pure imagination. Cette re-création à la fois minutieuse et fantaisiste laisse place à la contemplation.

Lui se réfère à Galilée. Nous songeons à Méliès…Il obtiendra le prix du meilleur jeune artiste.

Dans l’usine, des expositions par dizaines. Le marathon commence!

Personnellement, j’ai été sensible au travail ( n& b) de Peng Xianjie intitulé , 小人 国 mot à mot “Le pays des petits hommes”, l’histoire d’une communauté de nains vivant, travaillant et se produisant au sein d’un parc d’attractions au Yunnan.

Emouvant, respectueux de cette humanité. Un regard lucide et tendre. Peng ne sera pas récompensé car selon Wong Baoguo, l’un des cinq jurés, d’autres travaux similaires ont abondamment circulé en Chine. Nous croyons “Xiao Wong” sur parole.

Dans une autre salle: un jeune talent, 李勇 Li Yong, a saisi, en quelques grands formats couleur, certaines 新城 “nouvelles villes” chinoises perdues on ne sait où. 

Des images à la fois fascinantes et inquiétantes. Yi Hong, la très jeune commissaire de cette série et de trois autres photographes parmi lesquels l’ami Pan Yue, évoque à juste titre “le jeu entre l’irréel et le factuel, l’attirance provoquée par ces visions laissant malgré tout notre regard suspendu. Comme si un drame se jouait là”.

A deux pas de là, sur un long pan de mur, une suite d’images couleur magnifiques sur le thème de la route de la soie signée 李明, Li Ming.

Celui-ci a 39 ans. D’orgine tibétaine, il est architecte. L’ensemble s’intitule « Intervalles ». La composition de chaque image et de l’ensemble laisse pantois.

Li Ming a frôlé, et pour cause, le Prix du Meilleur Photographe. Un nom à retenir entre tous.

Dans un dernier bâtiment,  plusieurs grandes expositions collectives terminent ce premier long cycle.

La plus foisonnante rassemble pas moins de 28 photographes contemporains dont le trait commun est d’être originaires et de travailler à Chengdu, capitale historique du Sichuan, une province grande comme la France et peuplé de plus de 120 millions d’habitants.

Certains de ces artistes se voient reconnus en Chine et au-delà.

C’est le cas 孟瑾/方二 de Meng Jin et de Fang Er, qui se sont faits connaître avec 爱情宾馆 « Love Hotel ». Idée décapante : entasser, sauvagement, le mobilier d’une chambre ; pratiquer, à la Araki, un « bondage » pour tenir le tout et photographier celui-ci pleins feux. Il faut avouer que le résultat décoiffe ! 

Meng Jin et Fang Er seront mentionnés dans la catégorie « meilleure exposition ».

Autre “star” présente dans cette grande marmite, Luo Dan, l’un de mes photographes préférés, exposé par ailleurs à la galerie shanghaienne M 97 (1).

Utilisant encore et toujours un procédé archaïque – plaque de verre et collodion -, procédé qui avait fait merveille lorsqu’il avait entrepris de saisir le quotidien d’une communauté chrétienne du Yunnan, Luo Dan suit ici un chemin hasardeux, la route nationale 318 nord sud, un double hommage à Robert Frank et Jack Kerouac, travail déjà récompensé au festival de Lianzhou. Ou comment la beauté peut surgir du chaos.

Ce que nous dit cette exposition collective en provenance de Chengdu, comme celle consacrée à une nouvelle génération de photographes de la région de Guangzhou (Canton) sur le thème de la nature (自然而然), c’est l’extraordinaire vitalité de la scène photographique chinoise non seulement dans les deux grandes métropoles mais aussi dans d’autres régions phares. (Nous avons d’ailleurs mentionné le commissaire de cette dernière, 王昕伟, Wang Xinwei.)

Restaient trois autres grandes expositions collectives. La première, « Corée, au-delà de la limite » donnait à voir, parfois à entrevoir, grâce de longues focales, des paysages a priori interdits – Lee Sangyoup, « l’étrange forêt DMZ » – où se joue encore aujourd’hui un conflit à la fois idéologique et géographique. Ce photographe figurera au palmarès parmi les « jeunes artistes ».

Dans cette exposition coréenne, qui rassemble les travaux de cinq photographes, il y est question de frontières artificielles, de déchirement. De désolation. L'anxiété rôde. Le silence aussi. 

La seconde exposition, « Focus on the depth of America », présente des séquences d’une douzaines de photographes américains qui se sont attachés à montrer des individus réunis par un même thème. Ici celui de la passion des armes à feu, là des personnes en immersion aquatique quasi totale…Une « fenêtre sur le monde réel » oui, avec des ouvertures sur une poésie parfois hyperréaliste, parfois surréaliste. Un beau parcours.

La dernière exposition, montée en marge du festival, semblait être l’une des plus prometteuse.

Deux photographes locaux, Zhao Yu et Qiao Qi, du studio DATU, proposent l’année dernière à Jean Loh, grand connaisseur ès photographie, directeur de galerie shanghaienne Beaugeste, d’inviter des photographes chinois et occidentaux à venir en résidence travailler in situ.

Celui-ci en choisira onze : six chinois, une américaine, une brésilienne et trois français. Tous sont des « pros ». Tous connaissaient le pays. Certains en ont même fait le seul fond de commerce.

Et c’est peut-être là que le bat blesse. Trop de familiarité avec un sujet peut provoquer chez le photographe une certaine paresse de l’œil et chez le spectateur un sentiment de déjà vu.

Pire : certaines contributions, comme celle de Xiao Qan « immortalisant » Yang Liping, star que l'on dit au firmament, danseuse et chorégraphe yunnanaise, ou les « cartes postales » de Yann Layma, totalement insipides malgré l’effet kodachrome – où est passé le photographe au talent si prometteur ? – ont malheureusement coulé l’ensemble. 

Certains ont rempli leur contrat. Comme Lois Conner et ses panoramiques horizontaux, 魏壁 Wei Bi et ses panoramiques verticaux entre ciel et terre, même si le choix d'un style archaïsant rétro-sépia-rouleau de peinture à l’ancienne, ne se justifiait pas selon nous. 

Il n’empêche : le travail de Weibi décolle. Raison pour laquelle ce photographe hunanais et autodidacte figure en bonne place dans la liste du Meilleur Photographe, juste après Hui Haijie.

Deux de mes amis avaient accepté le « challenge », Thierry Girard et Patrick Zachmann. Pas facile de relever un tel défi en une petite dizaine de jours.

Fidèle à sa méthode, le premier a tenté une plongée dans les entrailles de Dali et de ses environs, nous faisant pénétrer dans certains intérieurs souvent délabrés, faisant le portrait, sur son chemin, de certains laobaixing, ces gens du peuple débonnaires.

乱, luan, « désordre », un mot fort de la langue chinoise, caractérise parfaitement cette recherche à dominante sociologique et topographique.

Désordre des rues et des intérieurs – ah ces rues défoncées, ces fauteuils à l’abandon, ces accumulations en tous genres : câbles, fagots, cochons, petits autels mêlant portraits d’ancêtres, inscriptions auspicieuses, télévision, thermos, images pieuses – et en regard de ce chaos,  la bonhommie placide et souriante des laissés pour compte du formidable développement chinois.

Ces images sont rassemblées, rythmées sous la forme de triptyques. (« Dali Tryptychs », tel est le titre de la séquence de Thierry Girard ).

Elles ont été redistribuées par le commissaire selon un critère de composition jouant, si nous avons bien compris, entre des associations ou au contraire des oppositions signifiantes. Quitte à provoquer des ruptures de sens…Et à casser en partie le fil rouge de ce travail.

Regrettable aussi l’effet de grande densité provoqué par un accrochage beaucoup trop serré. Dommage.

Patrick Zachmann, qui fréquente la Chine depuis une trentaine d’années, s’est dit fasciné par la jeunesse de Dali, sa liberté, son apparence parfois rock‘n roll. Il a voulu mener à bien un travail qu’il a intitulé « Transgénération », en espérant que ceux-ci entraineraient les anciens dans la danse.

Las. A l’exception d’une chanteuse s’accompagnant à la guitare électrique sous le regard ébahi de sa tante, ses portraits transgénérationnels s’avèrent statiques, voire empesés, figés.

Parfois il est vrai, une émotion passe, comme par exemple avec ce jeune paysan de 16 ans et son grand-père de 78 ans, tous deux tétanisés, tellement identiques.

Autour d’eux, la misère. Et sur le mur, entre leurs deux têtes, le caractère éclatant du double bonheur.  Humour –involontaire ?- quand tu nous tiens.

La seule artiste qui a mon sens aura vraiment su tirer son épingle du jeu se nomme Anna Kahn. Brésilienne, c’est la moins familière de la Chine. « Mémoire d’eau », tel est le thème développé. D’eau et de pierre aussi.

La plupart de ses prises de vue saisissent un fragment, un reflet, un détail, comme par effraction.

Une roche blanche sur un chemin. Une déclaration d’amour gravée au canif sur une agave.  Deux caractères sur un tableau noir. ( jizhu « retenir, garder en mémoire »). Le regard d’une gamine à travers une vitre embuée. Deux arbres morts sur le lac Er Hai. Un minuscule collage à même le mur dans une maison de paysan. En haut, le Fujiyama et un texte manuscrit nous renvoyant à l’année 1992. Puis une citation politique sur fond rouge, un vieux journal jauni. Une petite pendule dorée. Il est onze heures.

PS. A propos de l’exposition East West Dali, chacun pourra juger sur pièces : grâce à l’entêtement légendaire de Jean Loh et au soutien de ses amis de Dali, un catalogue existe, complété par des interviews menés par Qiao Qi. Et une vidéo que l’on pouvait découvrir au sein de l’expo.

Les artistes : Lu Yuanmin, Wei Bi, Lin Tianfu, An Ge, Chen Zhe, Xiao Quan, Thierry Girard, Yann Layma, Anna Kahn, Patrick Zachmann, Lois Conner.

(1) Plusieurs galeries et non des moindres sont venues à Dali pour tenter l’aventure. M 97, animée par Steven Harris, certainement la meilleure galerie photo en Chine, présentait l’un des ensembles les plus cohérents, avec notamment Robert Van der Hilst, Michael Kenna, Adou et Luodan.

Le festival, cette année, avait parfois des airs de musée international de la photographie, avec certains vintages des plus grands noms, couvrant pratiquemment toute l’histoire de celle-ci. Des Atget, Weston, Adams, Kertesz,  Cunningham en veux-tu en voilà, une expo entière consacrée à Edward Steichen…Un florilège impressionnant, un vrai régal. Le tout à l'air libre, sans aucune précaution d'ordre hydrométrique. Mais il est vrai que le festival ne durait que cinq jours...

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