Comment comprendre qu’un projet de loi visant à «instituer un enseignement du fait religieux» vient d’être déposé par des députés UMP alors que cet enseignement est d’ores et déjà dûment programmé à la suite de la loi «Fillon» de 2005 ? Une proposition de loi tendant à «renforcer les cours d’instruction civique et à instituer un enseignement du fait religieux» a été présentée par une quarantaine de députés UMP et a été enregistrée le 5 février à la présidence de l’Assemblée nationale. L’exposé des motifs souligne que cette proposition de loi " s’inscrit dans le cadre du débat sur l’identité nationale […]. Comment nos enfants pourraient-ils appréhender notre patrimoine littéraire, architectural, artistique, les débats intellectuels et les luttes qui ont jalonné notre histoire, sans un minimum de culture religieuse ? " est-il dit. Et l’exposé des motifs conclut : " Régis Debray a su démontrer que cet enseignement était clairement différent d’une démarche prosélyte ".
Et, en effet, à la demande du ministre de l’Education nationale Jack Lang, le philosophe Régis Debray a publié dès mars 2002 un rapport intitulé " L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque ". Régis Debray, partisan selon sa formule d’une laïcité non pas d’indifférence à l’égard des religions mais d’intelligence, se prononce pour que le fait religieux soit abordé à l’école publique au nom même de la laïcité.
Par ailleurs, lors du débat parlementaire de février 2005 sur la loi d’orientation pour l’avenir de l’école, le député communiste Jean-Pierre Brard a proposé un amendement ainsi rédigé : " Dans le monde d’aujourd’hui où le fait religieux marque tout à la fois l’actualité en permanence et constitue l’un des accès à la culture comme aux arts, la situation ne peut être jugée satisfaisante ". Et le député communiste Jean-Pierre Brard suggère donc " d’organiser dans l’enseignement public la transmission de connaissances et de références sur le fait religieux et son histoire, dans le respect de la liberté de conscience, et des principes de laïcité et de neutralité du service public ".
Cet amendement est approuvé par le ministre de l’Education nationale François Fillon, puis voté par les députés de toutes sensibilités politiques.
Si l’on en juge – par exemple - par ce qui est immédiatement le plus significatif, à savoir les programmes d’histoire pour le collège parus au BO du 28 août 2008, cet amendement a bien eu des retombées précises dans les programmes scolaires.
Il est dit dans l’introduction au programme d’histoire de la classe de sixième que " la quatrième partie est dédiée à l’émergence du judaïsme et du christianisme, situés dans leur contexte historique : les principaux éléments de croyance et les textes fondateurs sont mis en perspective avec le cadre politique et culturel qui fut celui de leur élaboration ".
Un dixième du temps dévolu à l’enseignement de l’histoire en classe de sixième doit être réservé aux débuts du judaïsme ( en s’appuyant en particulier sur quelques uns des grands récits de la Bible étudiés comme fondements du judaïsme ) et un autre dixième du temps doit être réservé aux débuts du christianisme ( quelques uns des grands écrits du Nouveau Testament étant eux aussi étudiés comme fondements du christianisme ). De la même façon, en cinquième, un dixième du temps dévolu à l’enseignement de l’histoire est réservé aux débuts de l’islam ( quelques uns des récits de la tradition – du Coran – étant étudiés également comme fondements de l’Islam ). Et l’on pourrait multiplier les exemples de mises en œuvre préconisées.
Quel peut donc être le sens de ce projet de loi qui prétend ‘’instituer’’ un enseignement du fait religieux à l’école alors qu’il est d’ores et déjà dûment programmé ?. Doit-on pour en saisir le sens faire un sort particulier ( et lequel ? ) à une partie de l’exposé des motifs en faisant très attention à la façon dont ils sont exprimés : " La présente loi a pour objectif d’instituer une enseignement dans le cadre scolaire des religions et de leur pratique. L’apparition de la burqa en France traduit l’émergence d’une conception de la femme qui est étrangère à notre République et à ses valeurs. Elle peut exprimer un rejet ou une méconnaissance de notre culture. Pour éviter ce phénomène de refus ou, inversement, de stigmatisation, il est nécessaire de permettre une meilleure connaissance des religions présentes en France […]. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, cet enseignement apparaît de plus en plus indispensable pour comprendre les valeurs humanistes de notre République ".