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Billet de blog 24 août 2015

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La longue marche éducative de Juppé

Alain Juppé vient de présenter son projet de réforme de l'Education nationale en vue de l'élection présidentielle à venir, une réforme de l'Ecole annoncée comme la « mère de toutes les réformes »  (si ce n'est la ''mère des batailles'').

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Alain Juppé vient de présenter son projet de réforme de l'Education nationale en vue de l'élection présidentielle à venir, une réforme de l'Ecole annoncée comme la « mère de toutes les réformes »  (si ce n'est la ''mère des batailles'').

Contrairement à ce que pensent (ou donnent à croire) certains, Alain Juppé n'est nullement novice en la matière.

Le 17 octobre 1991, Alain Juppé (alors secrétaire général du RPR) et Armand Pécheul (secrétaire national à l'éducation du RPR) s'en prennent publiquement aux « féodalités corporatistes, au conservatisme et aux archaïsmes du milieu enseignan», ainsi qu'aux « effets pervers de la démocratisation de l'école ». Pour « obtenir l'assentiment populaire » sur les grandes orientations du RPR, ils préconisent un élargissement du champ d'application de l'article 11 de la Constitution (qui limite le champ possible du référendum) afin de « soumettre au peule français  l'ensemble de ces orientations par voie de référendum ».

Il s'agit notamment de « casser le collège unique » et d'organiser « différents parcours de réussite », d'ouvrir la voie de l'apprentissage « dès la quatrième », de « laisser une place à l'entreprise dans l'oeuvre de formation ». Il s'agit de passer en force face au monde enseignant, et d'en haut. Bien que l'idée de ce référendum ait été approuvée et reprise à son compte par Jacques Chirac lors des élections présidentielles de 1995, ce référendum ne sera pas finalement mis en œuvre (en raison notamment de l'opposition résolue à ce sujet d'un certain...François Bayrou, ministre de l'Education nationale en exercice).

En 1999, nouvelle initiative (et un certain changement de ton et de posture) du même Alain Juppé qui organise « les entretiens de Bordeaux » des 7 et 8 octobre: « Quels enjeux éducatifs pourles vingt ans à venir ?». La parole est donnée notamment à Alain Finkielkraut et Philippe Meirieu, à François Dubet et à Roger Fauroux, à la dirigeante du SNES Monique Vuaillat (qui indique que « l'on ne va pas dynamiser l'institution éducation nationale en mettant chef sur chef sur le dos des professeurs ») et à l'ex-dirigeant de la FSU Michel Deschamps (qui pose la question : « Qui décide des découpages horaires entre les disciplines ? Qui a décidé de la hiérarchie entre elles ? »).

Dans son discours de clôture, Alain Juppé déclare que certaines oppositions sont dépassées, notamment celle opposant « unicité et diversité » : « il y a quelques années, on se serait étripé sur le collège unique ; mais il faut le collège pour tous, tout en diversifiant l'offre de formation ». Pour l'avenir, selon Alain Juppé, la question des contenus (qui n'est pas tranchée) doit occuper une place essentielle. La deuxième piste fondamentale à explorer (déjà tranchée, elle, chez les libéraux) est celle de l'autonomie des établissements. Pour Alain Juppé, s'il faut être très audacieux pour les universités, la prudence convient dans le second degré en raison du risque d'un accroissement des inégalités. Corollaire obligé de l'autonomie, l'évaluation.. Il est finalement prévu « la mise au clair d'un corps de propositions, sans doute d'ici à l'été de l'an 2000 ». On attend encore.

Troisième acte : la parution, ce 26 août, du livre d'Alain Juppé : « Mes chemins pour l'école » ( JC Lattès, 306 pages). Il ne s'agit plus formellement de passer en force et d'en imposer d'en haut. Alain Juppé « souhaite que l'on expérimente sur la base du volontariat avant de généraliser les changements s'ils s'avèrent efficaces. On ne va pas imposer le même schéma dans tous les établissements » . C'est ainsi, par exemple, que la revalorisation proposée d'augmenter de 10% le salaire des enseignants du premier degré apparaît conditionnée par une présence accrue (et éventuellement diversifiée) des professeurs des écoles dans leurs établissements. Pour ce qui concerne les enseignants affectés aux réseaux d'éducation prioritaire, il faut selon Alain Juppé « créer les conditions pour que les enseignants en aient envie, une bonne équipe pédagogique, des moyens accrus, une meilleure rémunération. Il faut arriver à rebattre les cartes ; mais, là aussi, sur la base du volontariat ».

Il n'est pas question non plus pour Alain Juppé (contrairement au Juppé de 1991 et aux autres dirigeants de droite actuels décidés à participer aux primaires) de s'en prendre à tout ce qui a été mis en place par la gauche en matière d'éducation : « Je ne compte pas revenir sur toutes les réformes du quinquennat précédent au motif qu'elles ont été menées par un gouvernement socialiste. On fera une évaluation des programmes, il y aura quelques aménagements, mais je ne vais sûrement pas remettre en chantier la totalité des programmes scolaires. Quant à la réforme des rythmes scolaires, l'enjeu est budgétaire plus que pédagogique ». Par ailleurs, à certains égards, son slogan de base : « mettre le paquet sur le début du cursus scolaire, c'est à dire l'école maternelle et l'école élémentaire » s'inscrit dans le droit fil de la philosophie de la « refondation de l'Ecole » (refonder l'Ecole à partir de sa fondation et de son fondement: l'école primaire).

Il n'en reste pas moins, comme le reconnaît d'ailleurs Alain Juppé, que bien des  « controverses » sont à venir : en particulier sur les questions de financement ou du nombre de postes (et de leurs déplacements proposés, du secondaire vers le primaire) ; et aussi sur l'ampleur inédite des autonomies proposées aux établissements (sur le plan pédagogique, mais aussi programmatique et organisationnel, voire statutaire).

« Je vais beaucoup plus loin que la réforme du collège de Najat Vallaud-Belkacem qui prévoit 20% d'autonomie dans la gestion des emplois du temps . Quant au recrutement, je propose d'avoir une vraie politique de ressources humaines, aujourd'hui totalement absente de l'Education nationale . Vous connaissez une entreprise où il n'y a jamais d'entretien d'embauche ? Où l'on recrute les gens à partir d'un barème informatique ? Il faut développer la notion de ''postes à profil'' : on définit le profil du poste vacant, on regarde le CV, on fait passer un entretien et on vérifie ainsi qu'on recrute le bon enseignant pour le bon poste ».

Pour ce faire les collèges et lycées seraient dotés, à côté du conseil d'administration, d'un « conseil éducatif d'établissement » qui assumerait la gestion de l'autonomie. Cette instance présidée par le chef d'établissement, serait composée de 6 à 15 enseignants élus par leurs pairs.

Le Alain Juppé de 1999 avait conclu qu'en matière d'autonomie « la prudence convient dans le second degré en raison du risque d'accroissement des inégalités »...

PS : selon les fortes paroles du sociologue Pierre Bourdieu, « l'indifférence à la différence » engendre de la différence. Mais une trop grande « déférence aux différences» » aussi. La ligne de crête est difficile à tracer, et se trouve être l'un des problèmes cruciaux à résoudre. 

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