POUR DOMINIQUE STRAUSS-KAHNPOUR DOMINIQUE STRAUSS-KAHN Que Dominique Strauss-Kahn fût considéré en France, sinon aux quatre coins de la planète, comme l’un des hommes politiques les plus brillants de sa génération, et non seulement pour ses incontestables compétences en matière de finances ou d’économie, c’est là un fait sur lequel tout le monde, ses amis proches comme ses ennemis idéologiques, s’accordent. Mais le pire, en cette funeste matinée du 15 mai 2011, est malheureusement arrivé : ce même homme, que tout le monde voyait déjà à la tête de la République lors des prochaines élections présidentielles, vient de se faire appréhendé à New York, arrêté en plein aéroport et emmené manu militari dans un sordide commissariat de Harlem, pour une obscure affaire de mœurs à l’encontre d’une femme de chambre âgée de 32 ans. Et, certes, les faits, s’ils sont avérés, sont graves : agression sexuelle, tentative de viol et séquestration de personne ; une cascade de délits qui, cumulés, ferait encourir à DSK, ainsi que le stipule le très strict et même très puritain code pénal américain, entre 30 et 50 ans de prison ! Soit : inutile de pérorer ici sur la véracité, ou non, de ce drame ; de se lancer en de vaines hypothèses au sujet d’un supposé complot ou de s’engager en de tout aussi stériles débats à propos de faits dont on ne sait encore rien de précis et sur lesquels, par conséquent, l’on pourrait légitimement émettre, jusqu’à preuve du contraire, de sérieux doutes. Mais une chose, toutefois, ne laisse de heurter, en la circonstance, ma conscience d’homme libre et attaché, plus encore qu’à toute autre valeur morale, à la dignité humaine : pourquoi avoir eu l’abjecte et cruelle indécence d’exhiber ainsi face aux caméras de télévision et les flashs des photographes du monde entier, avant même que toute vérité des faits ne fût établie, un Dominique Strauss-Kahn épuisé par des heures d’interrogatoire, humilié publiquement et menotté dans le dos, entouré de deux policiers le retenant par les bras, tel un vulgaire criminel, sinon un violeur aux allures de monstre ? Spectacle dégradant, où la procédure judiciaire inhérente à la plus grande « démocratie » du monde n’en sort pas grandie tant ce genre de méthode paraît, de sinistre mémoire, d’un autre âge ! Cette image-là, aussi révoltante que répugnante, franchement choquante et surtout en tous points contraire à cette présomption d’innocence dont la justice (y compris américaine) se gausse tant, suffit, à mes yeux, sinon à le disculper a priori, du moins à lui attirer toute ma compassion, cette « tendresse de pitié » dont parlait si bien, en des termes admirables, le grand Albert Cohen.Davantage : comment ne pas songer devant pareille tragédie humaine, par-delà le séisme politique et le clivage idéologique, à ces terribles mais justes mots de François Mitterrand lorsqu’il s’en prit directement, dans l’oraison funèbre qu’il prononça face à la dépouille de Pierre Bérégovoy, qui ventait de se suicider tant il avait été lui aussi accablé des pires ignominies, à ces « chiens » auxquels son Premier-Ministre d'alors (duquel DSK, précisément, fut nommé, en 1993, Ministre du Commerce Extérieur,) avait été lâchement livré en pâture, sans le moindre égard pour son honneur même ? Ainsi, qu’on rende au moins à DSK, avant son éventuel procès, sa liberté conditionnelle : c’est la moindre des choses pour un homme dont la culpabilité n’a pas encore été démontrée, loin s’en faut !
DANIEL SALVATORE SCHIFFER*
* Philosophe, écrivain, auteur de « La Philosophie d’Emmanuel Levinas » et « Philosophie du Dandysme » (essais publiés aux Presses Universitaires de France), professeur à l’Ecole Supérieure de l’Académie Royale des Beaux-Arts de Liège et au « Collège Belgique », sous l’égide de l’Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique et le parrainage du Collège de France.